Je vous parlais hier du livre de Christos Chryssopoulos, Une lampe entre les dents (Actes Sud). Un livre qui s'interroge sur la ville et ses nouveaux orphelins, à l'heure de la crise, à la lumière (ou l'ombre?) de la flânerie. Et qui, bien que discret et respectueux de l'inachevé, en dit plus sur la misère que tout ce que pourra en dire jamais le futur président du Salon du livre de Québec, Marc Lévy, lui qui pourtant écrivait dans La première nuit cette phrase-limite qui semble davantage une ode à la synonymie et aux adverbes qu'une chétive tentative avortée de presque pensée:
Mais passons. La même nuit n'habite pas tous les écrivains, et certains ont des ampoules aux doigts tandis que d'autres les ont seulement dans les yeux, d'où une certaine difficulté à voir au-delà de leur cornée. Revenons à nos moutons errants. A un moment, Chryssopoulos, abordant la question de la violence, se risque à l'aphorisme, même s'il sait que la violence "est une partie constitutive de la vie courante" et donc rétive à la démarche aphoristique. Pourtant, il tente la chose (p. 56 - 57):"Un milliard et demi d'êtres humains vivent dans une misère intolérable, inacceptable, insupportable." (in La première nuit)
• La violence est souvent l'autre face de l'identité.
• La violence se loge dans la langue
• La violence produit des symboles
• La violence est toujours celle de l'autre [etc.]
En lisant ces phrases distinctes, qui oscillent entre définition et formule, et tentent plutôt de faire sens par leur amoncellement, même paradoxal, je repensais à un poème de l'américain Charles Bernstein que j'avais lu la veille, "War Stories", un poème écrit, ou en tout cas paru en 2006 dans le recueil Girly Man. Il me semble répondre assez bien aux questionnements de Chryssopoulos, même s'il leur répond (mais comme un écho) par la poésie; en tout cas il les prolonge, formellement, dans cette gare de triage qu'est l'esprit sciemment bombardé du lecteur:
La guerre est l'extension de la prose par d'autres moyens.
La guerre c'est ne jamais avoir à dire qu'on est désolé.
La guerre est l'issue logique de certitude morale.
La guerre est la résolution par le conflit pour les handicapés esthétiques.
La guerre est un bateau qui va lentement au ciel et un train qui fonce en enfer.
La guerre est soit l'échec à communiquer soit la forme d'expression la plus directe possible.
La guerre est le premier recours des scélérats.
La guerre est le droit légitime des impuissants à résister à la violence des puissants.
La guerre est illusion tout comme la paix est imaginaire.
J'arrête là, ce qui n'est pas le cas, loin s'en faut, de la guerre, qui est sûrement, à bien y regarder, intolérable, inacceptable, insupportable, voire inadmissible. "La violence est toujours celle de l'autre"? CQFD
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