Si je cherche l'origine, le déchirement, de mon faible pour une certaine écriture américaine, je ne puis qu'en trouver l'étincelle dans l'enregistrement du terriblement modulé Howl d'Allen Ginsberg, que j'ai entendu à la radio, à l'époque où les mots "france" et "culture" savaient copuler pour le pire et le meilleur et ce peu de temps après avoir, bien trop jeune, assisté à à l'irruption in vivo de Ginsberg lui-même au Centre Culturel américain. L'écoute de Howl, ce poème qui fait de la déclamation une réclamation, et roule comme un train sans roue sur les rails d'autre chose que la conscience, m'avait, je crois, incroyablement électrisé dans ma médiocre existence de banlieusard presque étonné de découvrir que le soldat inconnu n'était pas Artaud. Ce fut mon discours de la méthode assimile-la-langue-puis-tu-verras. Ginsberg, grâce à l'indispensable Ferlinghetti, y lit, incarnée, au milieux des toux et grincements de cul, un texte qui, bien que cruellement whitmanien dans son déploiement, invente autre chose, que nous autres drogués surréalistes parvenions à, par à-coups troublés, capter. Comme un hymne cardiokarmatique venu célébrer la non-nation de nos déjà suicidées aspirations. La poésie n'est jamais salut. Elle est funéraire jusque dans ses plus sépulcrales exaltations. Et Ginsberg, lors de cette lecture historique, et politique, réussit à faire rire son auditoire. Il sait qu'il a écrit l'odyssée des déchus volontaires. Il sait, et sent, que chaque syllabe, même privée de ce souffle qu'il ne prend pas la peine de reprendre, est une brique sur la route radioactive qui mène non seulement à Haight-Ashbury, mais au cœur de l'arc en ciel de ce qu'est n'est plus l'Amérique, et ce "howl", qui résonnera de nouveau dans le sésame qu'est la ritournelle Moloch – solitude, filth, ugliness –, ce howl qui devient pure pulsation, cascade d'hosties impossibles, ce howl qu'il martèle comme un prêtre refusant acceptant le sacrifice, il le suce à même un micro irradié, en mollah lysergique, plus nu qu'il ne le sera jamais par la suite, sans chapeau oncle sam, sans aucune provocation, puisque ce "Howl" soudain se découvre partition, rampe de lancement, lieu d'où s'élancer, non dans la pure poésie, dans le lyrisme urbain, mais dans la narratif enfin piétiné de la nouvelle littérature. Crispé et généreux, s'immolant à même l'élocution électrique de ce poème qui, quand nous l'avons entendu, nous a marqué au fer rouge de son exigence rythmique, Howl est, avec d'autres lectures, la pierre chauffée où ne cessent de brûler l'épicée madeleine de notre mémoire littéraire, cette fébrile ADN dont chaque brin ne peut que revivre quand l'heure d'écrire, non pas sonne, mais résonne. Qu'importe le ridicule de Ginsberg, auquel nous n'avons plus accès (pas plus qu'au ridicule des dirigeants de l'époque, bistouille coincée entre partouze et rites électoraux. Howl reste. Il reste comme une grammaire en pleine exploration, foutrement éminente entre blancheur folle à la moby-dick et défenestration with the beatles.
Tu l'as pas en mp3 ?
RépondreSupprimerA ton avis, Zenga-Ma.
RépondreSupprimerTraduction et Lecture/ Jacques Darras http://www.tierslivre.net/media/lab/080513_Darras.htm
RépondreSupprimerA mon avis si, mais c'est bon j'en ai choppé une de lecture en mpthree... je sais pas si c'est la life-changing version dont tu parles mais ça m'a l'air tout bon tout ça..
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