Si j’allais dans le temps, si dans le temps je savais aller, m’en aller, dans le passé je glisserais, me coulerais, en divers points et croisées du temps, dans tous les ici et les là qui forment cette constellation d’impossibles étoiles à partir de laquelle feindre de lire le passé. A partir de laquelle le relier à d’autres passés.
Dans le passé lointain, le passé écarté, celui qui ne me comprend ni ne me voit pas. Dans le passé invinciblement dépassé où jamais je n’ai marché du vivant de ma vie, j’irais d’un pas égal, sans attirer l’attention, afin que les futurs morts ne sentent jamais sur moi l’odeur de l’autre temps, mon relent de présent différent. Un pas devant l’autre, comme on marche dans la rue, j’irais, dans le temps doux et figé d’autrefois, la longue rue du fini. J’irais chargé, de choses, dans mes grandes poches ou dans un sac. Je les déposerais, ces choses, les laisserais aussi bien ici que là, des choses de mon temps à venir.
Dans le passé des gens pour qui mourir n’est qu’avenir, guère plus, je laisserai ces choses du temps autre, en espérant qu’un jour elles passent à l’attaque, et se prennent d’amour pour ceux et celles qui, par hasard ou curiosité, les découvriraient. Je me vois poser une lampe électrique sur la table de nuit d’un meunier de mille huit cent vingt, et dans la besace du voleur de onze cent trente glisser un téléphone portable, dans la caisse à jouets de la fillette d’un comte de mille six cent trente enfouir un réveille-matin, sur une pierre dans la grotte du chasseur néanderthalien un sachet de cocaïne, dans la bibliothèque d’un lettré du temps de Marignan (1515) un roman de gare ou de Flaubert.
Si j’allais et venais dans le temps, je ferais tout cela puis reviendrais dans mon clair présent et j’attendrais. J’attendrais qu’il se passe quelque chose qui atteste que ces gestes par moi accomplis n’ont pas été vains, pas anodins. Je serais patient. Je serais impatient. J’attendrais d’entendre la musique des morts, des morts imperceptiblement contrariés.
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