La chose est connue : Graham Greene était ami avec Kim Philby, cet important officier des services secrets britanniques qui se révéla être un agent russe. Philby avait deux autres complices, infiltrés comme lui au MI6, et quand ces derniers furent démasqués (mais après avoir été exfiltrés en Union soviétique), les soupçons se portèrent alors sur un mystérieux «troisième homme », qui n’était autre que Philby. Ce dernier, qui avait huit ans de moins que Green, avait été son superviseur lorsque l’écrivain, recruté par les services secrets, était chargé de surveiller les activités de l’Abwehr allemande au Portugal en 1943. Démasqué à son tour, Philby alla se réfugier en URSS où il passa le reste de sa vie, et où Greene lui rendit visite. En 1968, Greene préfacera le livre de Philby, My silent war, et écrira ceci :
« La fin, bien sûr, justifie les moyens aux yeux de Kim Philby, mais c’est là une conception adoptée, peut-être moins ouvertement, par la plupart des hommes impliqués dans la politique, si l’on juge par leurs actes, que ces hommes politiques soient un Disraeli ou un Wilson. ‘Il a trahi son pays’ – oui, peut-être l’a-t-il fait, mais qui parmi nous n’a pas trahi quelque chose ou quelqu’un qui soit plus important que son pays ? »
Le fait est que Le Troisième homme n’est pas sans lien avec la personnalité de Philby. Rappelons tout d’abord que Philby avait été présent à Vienne en février 34, et qu’il avait contribué à cacher des gens dans les égouts de la ville avant de réussir à les faire sortir d’Autriche clandestinement – nul doute qu’il en avait parlé à son ami Graham. Et puis il y a les conditions dans lesquelles Greene recueillit des informations sur Vienne.
A son arrivée, à la mi-février 1948, seulement doté d’une vague idée de l’histoire qu’il compte écrire – une phrase notée au dos d’une enveloppe en septembre 47 –, il déjeune avec le colonel Charles Beauclerk, un contact du SIS (le fameux MI6), qui l’emmène entre autres escapades faire une visite des égouts, et l’informe également de l’existence d’un trafic de pénicilline. C’est du moins la version « officielle », que donne Greene des sources de son inspiration dans le second volume de son autobiographie, Ways of Escape.
Mais le fait est que c’est une autre rencontre qui l’aide à bâtir son récit. En effet, à l’instigation d’Elizabeth Montagu, une assistante du producteur Korda, Greene rencontre un correspondant du Times, Peter Smollett. Ce dernier, de son vrai nom autrichien Hans Smolka, a travaillé pour le département russe du Ministère de l’information, où il a fort bien pu croiser le chemin de Greene. C’est surtout un espion russe, proche de Philby. Et il a déjà rédigé plusieurs articles sur les égouts, les patrouilles de police dans Vienne, et le trafic de pénicilline.
Or, quand Elizabeth Montagu lit le premier jet de Greene – que celui-ci rédige rapidement, en Italie, entre le 2 mars et le 24 avril 48 –, elle s’inquiète de ce que le journaliste puisse faire un procès à son producteur pour plagiat. Il s’en suivit un contrat signé avec Smollett, où moyennant 210 £, il s’engage à ne pas chercher de noises à la production. (Pour l’anecdote, dans une scène du film, on entend le colonel ordonner au chauffeur de sa jeep de l’emmener dans un bar. « Smolka », lance-t-il pour seule indication…)
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