Le film d'Oliver Laxe, Sirat réussit à cocher toutes les cases qu'il semble imprudent de cocher au cinéma. Psychologie évacuée, intrigue expédiée en un quart de tour, relations humaines réduites à la portion congrue, émotions volatiles, douleurs rentrées, quête explosée, destins condamnés, fuite vaine, drames repliés sur eux-mêmes – et pourtant, malgré tout cela, le "récit" fracturé auquel nous assistons dans l'impuissance la plus vibrante, est plus que jamais éloquent: dans une ambiance désincarnée où les raves seraient les vestiges d'un désir collectif, où le désastre planétaire se double d'une interdiction de fêter la fin du monde, des individus acculés dans leur ultime désarroi décident d'avancer, d'avancer encore, quitte à errer dans le désert et danser sur des mines.
C'est bien sûr désespérant, mais d'un désespoir qui semble faire de l'insistance à respirer et marcher une forme souveraine de résistance.
Alors que la plupart des films s'ingénient péniblement à agencer des dialectiques fumeuses ou à jongler avec de fastidieux renversements, Sirat fonce dans une nuit à jamais transfigurée, où des humains-particules explorent à leur âme défendante d'absurdes mouvements browniens, livrés à un éco-système décharné. Rongé par une musique trance, le décor tremble de tout son vide ocre. Les corps oscillent ou carambolent, les enfants disparaissent, l'éternelle police sévit. La radio crache ses défaites. On est dans les faubourgs du néant, et seule la liberté du corps reste à fêter
Eloge de la fuite dans tous les sens du terme – fuir sa condition, ses affects, ses proches, jusqu'au Temps et l'Espace –, le film s'affranchit de tout message pour offrir une vision radicale de notre déjà-après-monde. En arabe, 'sirat' désigne le "chemin droit" – libre au spectateur de donner un sens adéquat à cette "droiture" suggérée.
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