vendredi 21 octobre 2016

Cartonner n'est pas jouer

Mon livre va cartonner. Ne voyez dans cette phrase aucun pronostic audacieux ni quelque vaine promesse. Non, il s'agit là purement d'un exemple. D'une utilisation du verbe "cartonner". On l'emploie encore assez souvent, sans avoir devant les yeux en permanence un cube marron clair à rabats où ranger des choses en vue d'un déménagement. Cartonner, au départ, ça veut juste dire "garnir de carton". Mais très vite, ce verbe assez ingrat et bas du front, comme tout verbe formé à partir d'une matière brute et vile, va connaître d'étranges tribulations sémantiques. Cartonner, au fil du temps, va signifier des choses très diverses : critiquer; posséder sexuellement; courir un danger; entrer en collision; jouer aux cartes… Ainsi, on pouvait il y a peu se faire cartonner par la critiquer – aujourd'hui, on dit éreinter. 

En fait, l'usage de cartonner au sens de décrocher le pompon est assez récent – et n'est pas sans lorgner également du côté forain. Imaginez un stand de tir dans une foire. Carabine à plomb en main, vous visez un petit carré de carton, cible de toutes vos espérances. Dans le mille? Bingo. Vous êtes en train de gagner. Et voilà notre "cartonner" qui devient synonyme de succès – et comme par hasard, ce sens apparaît dans les années 1980…

Que retenir de tout cela? Eh bien, que le succès est lié à une certaine conception de l'objectif à atteindre. Qu'il ne peut être atteint que si l'on a en tête une cible. Si vous voulez que votre livre se vende, imaginez votre lecteur avant, et mettez-lui du plomb dans l'aile, le bon plomb dans la bonne aile. Bon, ce qui est sûr, c'est qu'on est ici assez loin du fameux "échouer mieux" de Beckett. Il faudrait d'ailleurs trouver un terme, un verbe qui soit le contraire de ce "cartonner" et qui puisse désigner l'écriture d'un livre dès lors qu'elle s'est affranchie de toute "visée".

Je propose: bredouiller. Une sorte de mix entre "rentrer bredouille" et "bégayer". Essayons pour voir. Eh, tu sais quoi? Mon livre va bredouiller. Oui. Je trouve que c'est mieux. Plus proche de la langue, de la langue bifide, saliveuse, patraque, fiévreuse, que du carton, dans lequel finira de toute façon le livre au bout de trois mois quand le libraire le retournera à l'éditeur.






1 commentaire: