Le site words without border – revue en ligne consacrée à la littérature internationale – a eu la bonne idée de demander à une trentaine traducteurs de proposer une métaphore afin de cerner leur travail, d'en donner une idée imagée, sensuelle, technique, etc. La diversité des réponses est à l'image du processus – trop fluide et feuilleté pour se laisser embrigader dans une forme –, mais c'est précisément cette diversité qui, par touches plus ou moins incongrues, permet d'approcher par l'imagination le travail consistant à "transformer" un texte.
Quelles images retenir? Il y celle du conduit, de la galerie des glaces, de l'horticulteur – "arracher une plante rare à son environnement naturel et la faire revivre et s'épanouir dans un terreau étranger" (John Balcom). On parle souvent aussi de proposer un autre "moule", mais pour Alfred Birnbaum, il s'agit en fait de recréer un moule. Autres métaphores: la poignée de main, aider des gens à traverser une rivière – bon, là, on est moins convaincu par ces versions un peu trop charitables, et on préfère l'image de la partie d'échecs, que propose Sean Cotter, qui parle du sentiment de "jouer avec un adversaire plus doué, qui se livre à un roque en apparence mystérieux"… La métaphore musicale revient, bien sûr. Ming Di parle de "diriger un orchestre de mots", tandis qu'Edith Grossman souligne le caractère "auditif" de la traduction. Musique? Oui, bien sûr, mais aussi peinture:
"Traduire est comme copier un tableau avec une palette différente." (Tess Lewis)
Retenons l'image d'Ellen Elias-Bursac, intrigante, celle d'une carte imaginaire".
Michael Emmerich, lui, voit le traducteur comme un fantôme appartenant à deux mondes, ce qui bien sûr rappelle ce que disait Gregory Rabassa, quand il disait que le traducteur est une sorte de Mr. Hyde. On n'insistera pas sur la métaphore de l'acteur, plus banale, même si bien sûr elle reste opérante. J'avoue avoir un faible pour la proposition, malicieuse, d'Etgar Keret:
"Les traducteurs sont comme des ninjas – on ne les remarque que quand ils ne sont pas bons."
Quittons le ninja pour le cycliste, puisque, selon Breon Mitchell, "traduire c'est comme de faire du vélo sans forcément connaître les lois qui régissent votre avancée". Le ninja et le cycliste? Oui, mais aussi le graveur, l'amant, et encore, et toujours… le chef d'orchestre… Si l'on veut des métaphores plus osées, il faut aller sans doute voir du côté de Stephen Snyder, qui parle, lui, de "presser la méduse"… Je vous laisse visualiser la chose.
Ah, il y a aussi l'adoption, selon Russel Valentino. Une traduction qui s'élève comme un enfant adopté. Hum. Hélas, Valentino oublie de mentionner les éventuels châtiments corporels auxquels nous soumettons le pauvre petit orphelin… J'avais autrefois proposé quelques métaphores – le faussaire, le magicien, la passoire plutôt que le passeur, le fornicateur, etc. A vous d'y aller de vos suggestions si l'exercice vous inspire. Oui, lâchez-vous ! Pressez le ninja jusqu'à la lie !
Et pourquoi pas un ninja en vélo !! J'aime bien cette idée de passoire... mais je reste fidèle à celle du traître un peu éculé certes, mais pertinente. Ce qui est sûr, c'est qu'à cet exercice les possibles s'étirent sans fin - du même coup remettent en question l'exercice même de la traduction. Quid ?
RépondreSupprimerTraduire ? Contempler le banquet et consommer son idéal en bon platonicien, faire une sieste, par chance rêver, et transformer l'après-midi d'informe en crépuscule d'un dieu.
RépondreSupprimerÉchouer, pour rassurer tout le monde, et laisser la nuit étancher les soifs.
Au matin faire deuil des étoiles, fixer le soleil, trancher le segment qui relie tête et tronc.
Recommencer souvent.
Échouer encore, croître et multiplier.
Faire feu de tout texte à foison.
N'attendre pas récolte.
Le traducteur est le client maso du Grand Bordel de la Littérature.
RépondreSupprimerEt pourquoi pas la métaphore de la métaphore ?
RépondreSupprimerSi la métaphore fondée sur l'analogie consiste à établir que A est à B ce que C est à D (et moins B et D n'ont de rapport a priori, plus c'est intéressant), c'est un peu de cela qu'il s'agit lorsque, traduisant Hamlet par exemple, on essaie d'écrire un texte qui soit à la langue française ce que celui de Shakespeare est à la langue anglaise : la même chose, qui n'a pourtant rien à voir...
Rêver le rêve de l'auteur dans le sommeil du lecteur
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