mercredi 3 décembre 2014

Rêvons un peu

On donne à mon avis une place trop importante aux nécrologies d'écrivain, ce qui n'est pas difficile, puisque tout ayant été écrit, par eux et sur eux, la matière abonde et, de fait, les lauriers pleuvent. Chaque année, bizarrement, ils sont quelques-uns, bons ou médiocres, à disparaître dans la non-indifférence générale. Oui, car casser sa pipe reste l'ultime plan média pour un écrivain, ça vend plus qu'un prix même si, comme pour un prix, on n'y est pour rien. Et puis, mort, un écrivain est assuré d'être loué, de se voir pardonner ses bluettes, de refourguer ses fonds de tiroir qu'on usera sur les tables des librairies comme des fonds de culotte sur les bancs de la communale – j'ai essayé de proposer une variante de cette image en recourant à "fond de veau", mais ça n'a pas marché. Bref, aujourd'hui je préfère célébrer la naissance d'un écrivain. La vraie naissance, pas celle liée à la parution d'un livre, la naissance dans le sang, entre les fèces et les urines, dans le confort d'une petite clinique privée, quelque part en France.

Il s'appelle Gaétan Mouret Jr. Gros comme un potimarron, et sensiblement de la même couleur à l'heure où je vous parle, long comme un concombre qui rêve déjà d'être débité, dardant sur le monde immaculé des yeux bleus dont la nuance pôlaire rappelle le plus efficace des produits wc, un nez en forme de cadenas qu'il ferait bon crocheter, il gazouille déjà. Ses premiers mots seront d'ici quelques mois hashtagués pieusement sur un cahier toilé numérique. A cinq ans, il aura des idées de roman dignes de passer à La Grande Librairie. A douze, il écrira des nouvelles percluses de mimétisme, embaumant le compte d'auteur. A seize ans, ses premiers poèmes, chiches en rimes mais riches en frime. Puis il connaîtra la vie, dans sa rotondité carrée, son immanence flottante. Le vice l'interpellera, intrigué par sa naïveté. Il tâtera des drogues et des mars glacés. Fera une rencontre qui changera le cours de son existence pendant deux mois et demi. Comprendra qu'il est fait pour le roman et surtout que le roman est fait pour lui. Il écrira comme on respire: mal mais avec entêtement. Un premier livre sortira bientôt, tel un têtard têtu, des presses troubles d'un éditeur courageux. En bon talent déniché, Gaétan Mouret saura trouver, j'en suis sûr, un public. Et même: son public. Il récidivera au point d'être envoyé en bibliothèque après un rapide procès à la télévision. On lui décernera des prix capillairement littéraires qui provoqueront chez lui cette sympathique érection du muscle zygomatique, signe d'une humilité périmable. Une rubrique lui sera confiée, et il n'en lâchera plus la laisse. On le comparera à d'autres Gaétan Mouret, et il n'en prendra pas ombrage. Il écrira pour les enfants, les adultes, les vieux, ainsi que pour les plantes, hélas à son insu. On l'achètera plus qu'on le lira. Avec un peu de chance, il aura un jour une impasse à son nom.

Mais pour l'instant, c'est juste un enfançon qui chie et vagit, ne tient pas debout, fait des bulles avec la bouche et n'a aucune idée de ce qui l'attend. Il sait juste, au fond de lui, que l'expérience ne fera que confirmer ce dont il se doute déjà: écrivain, quel destin ! Alors tiens bon, Gaétan, l'aventure ne fait que commencer !

4 commentaires:

  1. Ah ah, excellent. Si je me souviens bien, il y a de nombreuses années, Chronic'art avait imaginé un truc du même genre. C'était l'époque où sortaient des bouquins écrits par des nanas de 15, 16 ans, et ils avaient inventé la critique du premier roman in-utéro de l'histoire, alors que l'auteur était encore non né.

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  2. Gaétan Mouret Jr, tiens cela me rappelle le Gaétan Mouret Sr (le cousin de l'abbé du même tonneau)
    mais avant que le Jr écrive (si tant est que l'on écrive encore).....
    reste à féliciter le Sr et la Senorita
    il y a t'il eu un incipit ?, une prière d'insérer ?, des traductions en cours ?

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  3. Le retour de Gaétan Mouret ? Déjà ? Au secours, les vacance de Noël approchent, Claro va encore nous laisser lâchement tomber pendant au moins deux semaines tout en laissant Mouret pirater son blog... mais pourquoi tant de haine ?

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