mercredi 2 avril 2014

De l'éducation des Volkswagen: Boucher au volant


Pour leur résurrection, les éditions Le Nouvel Attila nous proposent un texte à la fois virtuose et poignant, où la mécanique rejoint l’organique dans la célébration d’un deuil impossible : Comment élever votre Volkswagen, de Christopher Boucher. Si j’étais critique littéraire (et pressé), je dirais que c’est L’écume des jours revu et corrigé par Ben Marcus, mais pourquoi aller aussi vite, la besogne ne fait que commencer. Il était une fois un narrateur dont le père venait de succomber à une crise cardiaque et qui, pour surmonter cette épreuve, décida d’avoir un fils, et plus précisément une Volkswagen modèle 1971. Le père a été attaqué par un Arbre à Infarctus et son fils cherche à réparer vainement la douleur générée par cette agression. Il s’invente donc un rejeton, une Coccinelle, et ça semble une bonne idée, les voitures ne meurent pas, elles, elles tombent parfois en panne, c’est vrai, mais on peut toujours les réparer, d’ailleurs il existe des manuels d’entretien, il suffit de les compulser, et c’est ce que fait le narrateur, et nous avec, puisque le roman lui-même se présente sous la forme fallacieuse et inventive d’un manuel, d’un guide de survie de la Volkswagen, qui est une voiture un peu fofolle, comme chacun le sait, mais doté d’un bon fond et de solides suspensions. A quoi marche un fils-voiture ? Il carbure aux histoires, bien sûr !
« J’ai élevé une Volkswagen, de nouveau-né jusqu’à son débridage complet, je l’ai conduit dans tout l’Ouest du Massachusetts, ensemble nous avons connu toutes les pannes, sur presque toutes les pages. J’ai combattu les nouvelles et la nature, je lui ai raconté des secrets, puis j’ai retiré ces mêmes secrets de ses filtres, je l’ai appareillé pour les voyages en mer et pour la guerre. »
Bien sûr, la lecture de ce roman nécessite un certain apprentissage, sans quoi ça serait moins drôle, convenez-en. Il faut apprendre à conduire le livre, qui est un enfant mais aussi un véhicule, et qui donc est gage de transports en tout genre (pas toujours de repos, hein).  Le langage, heureusement, aime la mécanique, et Christopher Boucher (secondé dans la version française par l’épatante aisance du traducteur, Théophile Sersison) sait trouver les mots qui expliquent et combattent les maux : il sera donc question, tout au long du trajet de ce livre épris d’embardées, de livremoteur, de livroter, de fermaillerie, dé déboulosion, de câbles matinaux, de bobine mémoire, de volant d’inertie, de cœurmoteur, etc.
La force du livre, outre son inventivité langagière, consiste à échapper aux ruses de la mécanique. Boucher ne plaque rien, ne procède pas par simples équivalences et translations, tantôt le fils est un fils, tantôt c’est une voiture (et un fils), tantôt un livre avide de récits, on avance sur un terrain mouvant, mais pas traître, car l’on comprend vite que ce rejeton de ferraille et de récits est là pour détourner le chagrin de son créateur, qui en perdant son père se retrouve orphelin, donc fils à sens unique, attention aux dérapages. Il naît de ce flottement, de cet éparpillement des affects sous couvert de mécanique salvatrice, une tension permanente, à la fois drôle et triste, comme si, sous le texte écrit par Boucher, palpitait un autre texte, plus profondément endeuillé, de même qu’un cœurmoteur irremplaçable pulse sous la carrosserie attendrissante du fils-bolide. De là une magie permanente, une musique incessamment surréaliste, et un lien jamais rompu avec le lecteur, un dialogue tordu mais attentif, qui fait que nous gobons tout, et que ce qui à première vue semble relever de la fantaisie la plus débridée finit par s’inscrire dans la poignante logique d’une leçon de vie. L’homme peut-il tomber en panne ? Et si oui, que faire ? Les stratégies d’évitement son nombreuses, mais aucune n’empêchera le filtre du souvenir de s’encrasser ou la pompe à récits de s’engorger :
« Comme je l’ai dit, conduire une Coccinelle est un acte de lecture : vous voyez une histoire (la route) et vous réagissez (pédale narrative, embrayage de scène, feuille-volant). Si vous vous y prenez bien, c’est vous qui allez déterminer votre vitesse, votre direction et votre attitude. Votre boulot est de faire attention aux règles de circulation (les panneaux), et de bien surveiller où vous êtes et vous espérez allez. »
Alors n’hésitez pas : tombez dans le panneau. Roulez en Boucher.
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Christopher Boucher, Comment élever votre Volskwagen, traduit par Théophile Sersiron, éditions Le Nouvel Attila (parution le 10 avril)
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INFO: Soirée "carte blanche" consacrée au NOUVEL ATTILA  le vendredi 4 avril à 19h à la Maison de la Poésie — c'est mieux de réserver. Il y aura des lectures, de la musique et des surprises! Avec la participation de Jörg Stickan, Henning Wagenbreth, Frédéric Pierrot et Sophie Quetteville.

2 commentaires:

  1. Boucher reste utopiste comme si le respect des règles s'écrivait de façon uniforme pour chacun d'entre nous, comme si subsistait l'espérance dans chacune des unités de stabulation, comme si les animaux qui traversent la route au petit matin voyaient que le véhicule qui vient à leur rencontre disposait d'une puissance de freinage équivalente à éros.

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  2. Je ne serai pas là le vendredi 4 avril, j'aurai regagné ma Bretagne presque natale, mais si cet ouvrage doit me procurer autant de plaisir que la lecture du Traité du Zen et de l'entretien des motocyclettes (Robert M. Pirsig, éditions du Seuil), je fonce le commander chez ma libraire parisienne préférée pour le trouver à mon prochain retour à Paris... au passage, c'est quand même un peu "hard" de nous allécher avec des bouquins qui ne sont pas encore sortis, après nous devons prendre notre mal en patience jusqu'à la sortie en librairie, tout le monde n'a pas droit aux bonnes feuilles des éditeurs !

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