Imaginez deux langues entrelacées : baiser bilingue ? Les
choses peuvent-elles infiltrer les mots ? Quelle musique tirer des soupirs
de la sainte et des cris de la fée ? Disons que le nouveau livre auteur de
Jody Pou (dont on avait évoqué ici le livre précédent), I thought j’irais en bloom,
modifie notre approche du nuancier linguistique. Que fait Pou ? Ecrit-elle
en français en convoquant l’anglais ? Ecrit-elle en anglais en laissant le
français y prendre ses aises. S’agit-il d’une écriture croisée, greffée ?
Il faudrait, plus exactement, mais aussi plus extatiquement, convoquer la
pulsion baroque. Musique, donc :
« les mains qui tombent à ses côtés, la tête en arrière pour traduire earthly pleasure douleur, ripping ses entrailles dont elle, la sainte, dit qu’elles sont tombées en dehors de son corps, lips parted in ecstasy, eyelids half closed, voluptuous but saintly extase dont l’église précise qu’elle est au-delà d’any earthly, explainable, understandable, rational, real, véritable, verifiable, logical, à posteriori, analytique, convaincante […]. »
Le milieu des choses, on le sait depuis au moins Deleuze, est nomade,
il est à la fois point de tension en perpétuel déplacement et feu follet épris
de lignes de fuite. En écrivant deux langues à la fois, Jody Pou instaure une
rythmique du mitan qui lui permet d’ausculter plusieurs régions
indécidables : l’extase, qu’incarne à jamais sainte Thérèse, dont la
vibratile pâmoison – telle que mise en vagues par le Bernin – dit la tresse du
oui et du non ; le théâtre baroque, où la torsion du poignet et
l’inclinaison des doigts sont de subtiles valeurs propices aux
modulations ; la chrysanthème qui ici joue le rôle non de l’absente de
tout bouquet, mais d’indices de noces (celles du rose et du blanc) ; la
notion d’espèce selon Darwin et la théorie du groupe ; la notion de
sublime, etc.
S’il fallait nommer l’opération à laquelle recourt Jody Pou pour aider
à la fusion du français et de l’anglais, on pourrait prononcer celui
qu’elle-même démonte et déboite : transverberation. « Trans » voyage alors,
passant de la notion d’au-delà au
verbe « transir », tandis que verberare
penche d’abord du côté de la torsion, du coup de fouet, avant d’être fracturé
en « verb » (dire, parler »), puis enfin « ver » +
« berate » : la foi + le blâme. On assiste ici à une étymologie
proprement extatique, puisque la raison cherche à se perdre dans des torsions
échappant même à la foi. Mais cette « transverbération » – qui
rappelle le fameux « transvertébration » de Proust – joue aussi comme
un opérateur magique : le reflet pris dans le reflet démultiplie le
visible et fait paniquer le sens.
I thought j’irais en bloom
pourrait se dissoudre dans une échappée gnostique. Mais tel le chérubin
veillant au désordre assoupi de Thérèse, son arc possède plus d’une flèche. On
croisera donc aussi une boîte mystérieuse dans ce livre, qui n’est pas celle de
Pandore, mais un contenant à la couleur changeante, un signifiant qui passe du
rouge au rose-blanchâtre, comme un sang devenant chair puis os ; ainsi qu’une
mystérieuse inscription sur le mur d’une cellule vénitienne, dont Byron aurait
gardé souvenir.
Les six dernières pages du livre, comme inséminées par les avancées et
écarts des pages précédentes, se laissent entraîner dans l’ADN d’un véloce
monologue extérieur, où les motifs, comme brassés par Bach, peuvent se frôler
et se répondre :
« […] masculin ou féminin, dans la nuit américaine ou nuit ou jour, Small et all askew on a seemingly symmetrical sphere that n’en est pas and sings its own vibration, nommant ce they that are with us here mais non pas nous, that are naming par nécessité ensemble what it is we are, rhizome, fluttering and vibrating, witnessing same or other, tuning on itself, spiraling in its painted, mutli-colored auto-portrait, reliques strewn, poussière, spinning,matterin bloom. »
La transverbération comme stade transi de la traduction ? We nous
too l’espérons.
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Jody Pour, I thought j’irais en
bloom, suivi de Ecrire Teinture,
éd. Le Bleu du Ciel, 16 €
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