Très récemment encore, l’insomnie était un problème. On se retournait dans le noir,
on comptait les étoiles, les draps devenaient vampires. C’est désormais fini.
L’insomnie est aujourd’hui un chef d’œuvre. En écrivant Nothing, son auteur – Blake Butler – vient non pas d’ouvrir un peu
plus les portes de la perception mais de les pulvériser littéralement. On
n’avait pas lu une prose aussi intense, aussi ingénieuse, aussi viscéralement
belle et intellectuellement poignante depuis William H. Gass. Le sommeil de la
raison engendre-t-il des monstres ? C’est possible, mais ce qui est
certain c’est que l’insomnie de l’écrivain, l’insomnie de Butler, engendre une
réflexion à nulle autre pareille. Partant dans un double mouvement hélicoïdal
de son expérience personnelle et de ses recherches sur le sujet, Blake Butler,
qui nous avait déjà médusés avec Scorch
Atlas et There Is No Year –, fait
de l’insomnie un incroyable piano préparé
sur lequel il semble capable de jouer les airs les plus insensés : ceux,
toujours recommencés, mobiles ritournelles, de la folie, du père, de la maison,
du clavier dévorant. On reconnaît la phrase de Butler à ce qu’elle cannibalise
amoureusement son sujet. Son phrasé est un perpétuel événement, à mi chemin entre
la catastrophe et la révélation, imbibé des spectres d’Artaud, Deleuze, John
Cage… La lecture de Nothing ne
ressemble à aucune autre lecture, car le lecteur s’enfonce dans la prose de
Butler comme dans l’étang même de l’être. Quand avons-nous ressenti un tel choc
littéraire ? Oh, ça doit remonter à la découverte des premières pages de Purple America, de Rick Moody. Ou à l’expérience
Vollmann. L’insomnie, on le sait, produit à la longue des effets étranges. Nothing produit, mais encore plus vite,
de bouleversantes épiphanies, tant langagières qu’intellectuelles et
émotionnelles. Ce n’est pas un livre expérimental, mais une expérience en soi,
celle que fera le lecteur en découvrant, les yeux à jamais écarquillés, ce
qu’un écrivain peut faire d’une notion qui touche au limites même de la
conscience et du corps. Le cauchemar était naguère climatisé, le voilà
cartographié. Le silence de la nuit vibre enfin d’une musique inédite. N’allez
plus vous coucher. Lisez Butler. En anglais, pour l'instant. Et bientôt chez Actes Sud.
Je ferai un saut dès que possible chez Galignani pour voir si je le trouve tout de suite (plus que fasciné par cette constellation d'écrivains insomniaques dont Kafka est l'archétype...)
RépondreSupprimerbientôt chez actes sud mais quand ? mon niveau d'anglais ne me permet pas de tenter l'aventure en vo ....... un détail le scénariste du Insomnia de chris nolan a t-il volontairement nommé le héros insomniaque Dormer ?
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