Un
projet titanesque voit enfin le jour aux éditions Verdier, le genre de
projet dont on rêvait, qu'on attendait et qui fera date. Il s'agit ni
plus ni moins d'une Histoire des traductions en langue française.
Ce mastodonte comprendra 4 volumes, et s'occupera des traductions
depuis le XVème siècle jusqu'au XXème. Un premier volume est sorti le 4
octobre, sous la direction d'Yves Chevrel, Lieven D'hulst et Christine
Lombez. 1376 pages, 67 collaborateurs dans 10 pays répartis sur 40
établissements, 2400 auteurs et critiques cités, 1900 traducteurs
répertoriés… Prolongeant le souhait émis par Antoine Berman ("La
constitution d'une histoire de la traduction est la première tache d'une
théorie moderne de la traduction"), cette entreprise se révèle d'ores
et déjà passionnante, bien décidée à explorer les plis et affres de ceux
que Blanchot appelait "les maîtres cachés de notre culture".
Ce
premier volume est déjà une bible en soi, et traite aussi bien de
l'évolution de la théorie de la traduction, du statut des traducteurs
eux-mêmes (une série de portraits vient donner vie et pétillance à la
longue cohorte des langues fourchues), du traitement des textes
antiques, de l'approche bibliométrique (des chiffres, donc, qui nous
permettent de découvrir qu'Ivanohé a franchi la barre des 20 000 exemplaires, arrivant ainsi sur le classement data-livre de l'époque juste après Robinson Crusoé…),
de la poésie (on y verra comment et pourquoi Hyppolyte Fauche aborda
"la centurie des stances érotiques de Bhartrihari en 'soldat résolu'",
du théâtre (ah, les premiers vers de l'Agamemnon traduit par Leconte de
Lisle…), de prose (ah, si Balzac n'avait pas lu Melmoth, allez
savoir où on serait aujourd'hui…), avec là encore de beaux portraits de
traducteur, comme cet Amédée Pichot qui, en plus d'écrire un Aperçu sur les diverses espèces de pays marécageux et sur la ville d'Arles en Provence,
se lance dans la traduction de Byron et Walter Scott. D'autres domaines
sont également passés au crible: la jeunesse (découvrez Max Buchon, qui
s'attaque à Grimm), le panthéon (autrement dit, les grands best-sellers
of all time: la bible, Don Quichotte, La divine comédie, etc.), les historiens, les sciences, les philosophes, les textes juridiques, les récits de voyage, les religions…
Loin
d'être rébarbatif, l'ouvrage se dévore littéralement, et impressionne à
la fois par l'envergure de sa tâche et la délicieuse précision des
exemples donnés. Par exemple, on lit, fasciné, la guerre que mène
Voltaire contre les traductions de Shakespeare. Car là où Guizot
traduisait, dans Othello: "En ce moment, à l'heure même, un vieux et noir vautour se repaît de votre blanche colombe", l'auteur de Zadig
se permet de rectifier : "Dans ce moment, oui, dans ce moment un vieux
bélier noir saillit votre brebis blanche". Le lecteur appréciera le
hiatus animalier qui sépare ces deux versions.
C'est
donc une histoire de colombe et de bélier à laquelle nous invite ce
livre, et c'est peu de dire qu'on a hâte de découvrir les prochains
volumes, en particulier celui sur le XXème siècle.
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Histoire des traductions en langue française, XIXème siècle (1815-1914), 48 euros (et croyez-moi, ça les vaut largement!)
la trahison, toute la trahison, rien que la trahison?^^
RépondreSupprimerc'est prétexte à des discussions sans fin sur le sexe des anges en fait; les grands textes ne meurent jamais: quelles que soient les traductions, ce qui a contribué à leur émergence brille toujours malgré les contingences imposées par les différents changements d'idiomes locaux.
de toute façon, le propos principal n'est qu'un immense radotage (dans le même ordre d'idée que l'art est une sottise), donc aucun souci particulier à se faire^^
un petit exemple de conversation de ce genre sur le sonnet 11 se shakespeare:
http://nonihil.icyp.fr/2011/01/10/menjelang-upacara-penerjemahan-1/