L'essai – en forme de trèfle – que publie ces jours-ci Laure Limongi vient se poser en pleine rentrée littéraire un peu comme cette mésange qui sautille devant un molosse, et dont l'auteur nous dit qu'en contemplant ce spectacle elle eut le désir de s'intéresser "aux choses qui font battre le cœur". Qui sont ces Indociles? Quatre écrivains (ou chamanes, medicine women/men, sorciers déchus…), donc, ont été choisis par Limongi dans un but très précis: non seulement nous donner envie de les lire, mais nous donner envie de lire, de lire autrement. Qu'est-ce que la littérature expérimentale? On a envie de demander: qu'est-ce qu'une littérature non expérimentale, une littérature qui n'essaie rien, ne se confronte ni à l'inconnu ni à l'échec. Très vite, en lisant l'essai de Limongi, on comprend que l'expérimental existe surtout au stade de la lecture. C'est en lisant qu'on apprend à lire. En lisant, en expérimentant, dirait l'autre…
Hélène Bessette, Denis Roche, Kathy Acker et B.S. Johnson. Au-delà de la parité, on notera un seul vivant: Denis Roche. Un écrivain qui n'a jamais roulé des épaules mais qui a, comme Butor et quelques rares autres (Pinget, Guyotat…), poussé son soc dans des sillons qu'on n'avais pas encore osé remuer. Devant à Denis Roche d'être devenu traducteur, j'apprécie d'autant plus la démarche qui est celle de Laure Limongi, et qu'elle offre au lecteur pour l'aider à s'aventurer: comment découvre-t-on un auteur? quel instant de vie nous jette en travers de son chemin, nous propulse dans son œuvre. Comment le cœur bat à même la page nouvelle? Il faut dire aussi combien certains auteurs, en plus de l'admiration qu'on porte à leur œuvre, nous séduisent par la faculté qu'ils ont de diffracter les œuvres d'autres explorateurs. Que Limongi nous explique comment Bessette est arrivée jusqu'à elle au bout d'un fil tendu entre "B7" et Claude Royet-Journoud, ou comment Acker l'a saisie grâce au travail éditorial exceptionnel et indispensable de Laurence Viallet, elle sait restituer cette magie des rencontres, cette épiphanie de la transmission, qui font que les livres nous parviennent toujours par des voies/voix amies, ou qui le deviendront.
Ce n'est pas là le moindre mérite de cet ouvrage intitulé Indociles. L'indocilité, ou l'art d'ériger l'indiscipline en pratique. Une indiscipline envers l'autre comme envers soi. L'indocile ne se laisse pas intimider par la masse, le courant, il nage à contre-courant, et si la noyade est à l'horizon, peu importe. Les grands écrivains ont une façon assez astucieuse de ne jamais mourir tout à fait.
Il y a une méthode Limongi, et qui consiste à faire entrer l'auteur par la porte dérobée du hasard, de la curiosité, avant d'en déplier les exigences pour mieux nous en révéler la succulence et l'irrespect. Et puis il y a l'humour, sans lequel toute littérature n'est que vases non communicants. On apprend ainsi, au fil des pages, lors de digressions pas si digressives que ça, qu'il existe une revue portant le doux nom de llanfairpwllgwyngyllgoogerrychwyrndrobwlllantysiliogogogoch [j'ai glissé une coquille dans le nom pour voir si l'auteur s'en apercevra…].
Si Hélène Bessette est maintenant assez connue, en revanche Acker reste un peu la cousine maudite de Burroughs ; quant à B.S. Johnson, malgré le travail salvateur de Pascal Arnaud, son éditeur français, il n'a pas encore l'aura qu'il mérite. Est-ce parce qu'ils sont indociles? Ou parce qu'un vieux réflexe crispatoire semble, depuis disons les années 80, jeter un voile méfiant sur tout ce qui, en littérature, est "mû par la nécessité" au lieu de se "lover dans la facilité à la mode" ? Le fait est que nous avons peur de certaines œuvres, parce qu'elles arrivent précédées d'un parfum non seulement indocile mais inquiétant. On les suppose difficiles avant même de les avoir frôlées. Et pourtant, il suffit d'ouvrir Bessette ou Johnson au hasard pour entendre, en un même accord dédoublé, le rire de la fronde et le cri de la plaie.
S'il fallait trouver une devise à ces écrivains hors champ, ce serait peut-être cette phrase de Caroline Bergvall que cite Limongi : "Write as a dog, not like a dog." Dans la nuance, fine comme un rasoir amoureux des formes scindées, entre "as" et "like". Ecris en tant que chien / pas comme un chien. On comprend pourquoi l'auteur nous parle au début de son livre de la mésange. Car afin de mieux servir ces quatre cavaliers d'une étrange apocalypse, on peut aussi écrire en tant que mésange. Ce que fait, avec enthousiasme, passion et obstination, Laure Limongi. Parce que les livres créent le lecteur, et qu'un lecteur crée aussi les livres, comme un oiseau qui danse toujours deux danses: la danse de l'indocilité à deux temps, quand lire et écrire, tels deux transes indistinctes, se frottent et s'excitent.
Laure Limongi aurait pu faire d'autres chapitres, et peut-être le fera-t-elle, pour nous donner à aimer encore et encore (ou déplier découvrir) José Agrippino de Paula, Bernard Heidsieck, Hocquard, Tarkos, Federman, etc. (elle cite elle-même ses auteurs dans une belle liste de possibles, constellation indispensable). Mais le chapitre qu'elle n'écrira pas mériterait d'y figurer également, et qui celui où l'on parlerait des livres de Laure Limongi elle-même, qui n'est pas en reste en terme d'indocilité.
Maintenant, lecteur, sois docile un instant et suis ce conseil qu'on aimerait presque un ordre : lis ce livre. Il y va de ton devenir-mésange.
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Laure Limongi, Indociles (essai littéraire sur Denis Roche, Hélène Bessette, Kathy Acker, B.S. Johnson), éditions Léo Scheer (mais pas tant que ça: seulement 18 euros).
"la danse de l'indocilité à deux temps, quand lire et écrire, tels deux transes indistinctes, se frottent et s'excitent."
RépondreSupprimerOui, Claro, oui - et ça vaut (dans tous les sens du verbe "valoir"!) pour toi comme pour elle...
facile ya pas 2 o dans gogery
RépondreSupprimeret ya pas de dent dans la machoire a jean