Retour de Manosque, ni définitif ni durable, on l'espère. Les Correspondances, conduites à merveille de scène en salle, ont permis moments et rencontres, voix et regards. Il y a eu cet échange avec Arno Bertina, assez magique, où, passé quelques tâtonnements autour de nos deux livres (ce qu'ils, malgré eux, disent), chacun s'est autorisé à décrire le mouvement de l'écriture, Arno expliquant, avec en contrepoint les précises arabesques laissées dans l'air par ses mains, quel moteur est le doute, et combien la recherche d'une adéquation entre vitesses de pensée et d'écriture sous-tend son travail, ce que progresser veut dire pour un écrivain. Car oui, Manosque est un des rares festivals où on peut parler écriture, et non raconter ce qui l'est déjà (merci à Yann Nicol et Pascal Jourdana, entre autres, de laisser se déployer les intermittences et les métaphores). Il y a eu cette parole tenue et quasi nocturne de Bernard Comment sur son ami Tabucchi, impeccable, tout en boucles et écarts, accompagnée de longs extraits dont il était difficile de se défaire. Il y a eu Emmanuelle Pireyre, distillant sa note juste à bonne et généreuse distance du public, extorquant rires et sourires, légère, prudente dans ses audaces et audacieuses dans ses prudences, parce que la féérie, parce que la musique. Et puis des rencontres, entre deux moments, dans la rue, à une terrasse, au bar-librairie du Théâtre… François Bon le premier vu et qui vous prend en photo comme on vous serre contre lui. Sylvain Prudhomme, qui non seulement ne craint personne au bras de fer, mais dont le sourire, tout juste revenu d'Afrique, vous ouvre les pages de son livre. Joy Sorman, Frédéric Forte, les libraires, les bénévoles, les éditeurs…
Mais impossible de rapporter tous les croisements, échanges, marques de confiance, dons et rires. Juste évoquer un grand moment, celui que fut la lecture d'Olivier Cadiot le dimanche à 11h. On a pensé évidemment au piano préparé de John Cage, quand Cadiot s'est mis à lire des morceaux de son Mage et d'un travail en cours (intitulé "Balzac", et s'échouant à Ruffec…), les commentant parfois à même les plis de sa lecture, montrant toutes les coutures et les cachant toutes, tant son art du bégaiement et du ressort rendait justice au trépignement même des mots. Cadiot, exposant le chantier en cours, nous en faisant partager les éboulements et obstacles, jonglant avec ses hésitations, tantôt hilarantes tantôt poignantes, à nu dans les invisibles déguisements de l'empereur, mécanicien génial ne parlant finalement que musique, tension, respiration, sa voix toujours en construction, s'interdisant les élans, revenant sans cesse sur la feuille, qu'on tourne, et tourne encore, consistante jusque dans le silence. Cadiot qui prend son temps, habité, comme Bertina et quelques autres, par le doute, ou plutôt la force du doute. Leçon. De lumière.
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