Il y a 33 ans, Hervé Prudon publiait Tarzan malade. Mais bon, Philip José Farmer avait déjà ouvert le bal 7 ans plus tôt avec Tarzan alive. L'homme au slip panthère a toujours titillé les neurones des écrivains. Son cri, sa liane, sa Jane. Ecrit à la truelle par un Edgar Rice qui jamais ou presque ne mit les pieds en Afrique, décliné très vite en BD par Hogarth et consorts, mais toujours sous contrôle des héritiers thuriféraires, le Blanc qui crie et fait le singe inspire autant qu'il broie le Noir. La conscience occidentale l'a ingéré, la pop culture l'a digéré, les journaux l'ont abrégé. Le hasard des publications, qui est au livre ce que la malédiction est aux momies, veut que trois livres lui rendent un hommage intermittent: Avant, d'Emmanuel Hocquard (cipM), Mon cri de Tarzan, de Derek Munn (éd. LaureLi), et enfin En Tarzizanie, d'Orion Scohy (P.O.L.).
Hocquard est Hocquard est Hocquard. Lui suffisent deux photogrammes de la série télévisée avec Johnny Weissmuller, où ce dernier dirige le dextre index vers un glabre poitrail. Commentaire de Hocquard:
"Moi Tarzan, toi Jane." est aussi une phrase. Son principal intérêt tient à l'ellipse du verbe être, qui est remplacé par l'index pointé de Jane ou de Tarzan. Montrer du doigt est un sens possible du verbe être.
Commentaire qui va dans le sens et la relance de ce que nous remarquions hier chez Pascal Poyet avec le verbe "toucher". On peut certes être plus disert sur Tarzan mais en fait, non, ça suffit largement. Tout est dit.
Le roman de Derek Munn, lui, n'a bien sûr rien à voir avec Tarzan, sinon que son personnage locuteur débarque en Afrique sans en maîtriser les impressions mais avec une caméra. Et qu'il n'a rien à raconter, ce qui est le sujet de son film, qui est le sujet du livre, qui avance comme on empile des cils sur un œil dans l'espoir que naisse un clin d'œil qui puisse raconter un regard mais ce n'est bien sûr pas aussi simple.
Orion Scohy, dont Volume en avait impressionné, paraît-il, plus d'un en 2005 pour des raisons qu'on espère autre que typographiques, revient de loin avec ce "roman d'aventures pour enfants séniles". Seul problème, mais de taille, son livre est vraiment "pour enfants séniles". Moi lecteur, toi Malin? Aïe. Treize ans des grand signes? Je sais rimer mieux que Greystoke sauter de liane en liane? "Ainsi donc meurent les génies et naissent les légendes" (p. 112). Oui, bon, bien sûr, Tarzan sous toutes ses coutures, sans autre souci que le ravaudage sonore et bêtifiant du retour fort peu prodige à la ligne, le tout assisté par ordinateur comme la pire invite d'anniv où tu utilises plein de polices, avec interventions dactylogavantes de l'auteur en perpétuel auteur du livre qu'on est en train de lire, parce que le post-modernisme tagada c'est maintenant. Le propos fait parfois quelques apparitions, comme un chimpanzé qui vient d'acheter une pirouette. Tarzan par Scohy, c'est un peu (beaucoup) le Petit Prince vu par un Garcimore oulipien. On décline Tarzan, on décline son nom, on décline ses avatars, bref on décline, et au final on ne fait que décliner, avec le même entrain que l'empire romain. L'emballage est moderne, la page chante (faudrait être sourd pour ne pas l'entendre brailler…), le fil de la plume s'ingénie à nous rappeler qu'il y a écriture, et donc réflexion, et aussi peut-être ennui et filiation. Est-ce cela, l'infini remplissage de la page en temps de crise littéraire? On ne sait pas. Mais on sent derrière la laborieuse exhaustivité ludique du projet un désir de rien sidéral, sous-tendu par une inventivité qui relègue Vermot au rang de khâgneux cacique. S'épateront qui n'en veut.
Bref, Tarzan c'est peut-être la jungle mais c'est pas la joie. A se demander si Edgar, son créateur, n'a pas eu un jour eu l'idée revigorante de lâcher Jane et liane afin de se défoncer les rutilantes veines à coups de virus-langue pour mieux écrire, transfiguré, le terrible menu d'un festin impossiblement nu.
Mais dans mes dernières lectures j'ai cru comprendre que l'inspirateur de Tarzan était un certain Paterne Berrichon décrivant les aventures javanaises de son beau-frère défunt :-)
RépondreSupprimerPlus loin de nous, notez aussi le sublime "Hongrie-Hollywood Express" d'Eric Plamondon au Quartanier, biographie transversale de Johnny Weissmuller qui dispense aussi des effluves d'homme-singe.
RépondreSupprimerNB: il va de soi que le Plamondon n'a pour sa part rien du remplissage de page dont vous parlez, Claro.
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimerhttp://www.tarzizanie.net/claro-que-quizas/