lundi 6 septembre 2010

De Gaulle, le retour



Suite à un précédent post où j'évoquais la mise au programme en classe terminale des Mémoires de Guerre du Général de Gaulle, j'ai reçu cet été le mail suivant, écrit par un lycéen qui fait dans quelques heures sa rentrée dans un lycée parisien, mail que je livre in extenso, et qui peut-être en intéressera plus d'un :

Je suis un lycéen moyen qui a lu les 531 pages de Charles De Gaulle. J'appuie mon discours sur le fait que j'ai dix-sept ans et par conséquent l'axe de lecture qui fut le mien à peu de choses près risque d'être assez semblable à celui de la plupart des adolescent "littéraires" qui devront pour leur plus grand plaisir, je pense, avaler cet en-cas militaire. Or puisque tu "attends avec curiosité et impatience l’avis et la réaction des futurs bacheliers", Claro, je vais commencer par te donner le mien.

Indéniablement j'ai, à la lecture de ce livre, appris beaucoup de choses: tant sur l'état de la France au sortir de la guerre, tant sur les exploits accomplis par le Général pour redresser notre Gaule, que sur la politique des gouvernements britannique, américain, soviétique (et j'en passe) que sur le déroulement précis de la fin de la guerre et le rôle qu'y a joué la France. Le caractère et l'importance historique que peuvent contenir ces mémoires sont en effet indiscutables. Toutefois, si personne ne m'avait contraint (disons fortement incité puisque mon bac en dépend) à ouvrir ce livre, je l'aurais (étonnement) sans doute assez vite refermé, et je vais immédiatement donner une raison à ça : je me suis rendu compte que le seul moyen que j'aurais pour survivre à ces cinq cents pages de "littérature" serait de m'intéresser à leur caractère historique, ce que je n'ai pas manqué de faire ( si je m'étais en effet attaché à la beauté stylistique du rythme ternaire je ne serais sans doute pas là aujourd'hui pour écrire ce que j'écris), et ce faisant, je me suis vite aperçu que je n'avais pas, en tête, la moitié de la culture historique nécessaire à la compréhension de la plupart des phrases catégoriques de Charles De Gaulle. Le scepticisme (déjà présent je l'accorde) commence dès lors à prendre en moi des proportions grandissantes, puisqu'on sait bien que je suis lycéen et qu'on connaît de manière assez précise la culture historique qui est entre mes mains (qui à quelques exceptions près est supposée correspondre au programme d'histoire), pourquoi me donne-t-on un livre à lire dont on sait que je n'ai pas les rudiments historiques qui me permettront de le comprendre? Cette attitude eut pu être justifiée mais encore aurait-il fallu que nous l'étudiâmes avec un prof d'histoire (là sans doute l'exercice aurait pu être intéressant, à supposer encore qu'il soit donné en deuxième année de fac d'histoire), mais non, nous allons l'étudier avec un prof de littérature, ce qui nous amène au deuxième point, le caractère littéraire de cette "œuvre".

Je passerais rapidement sur ce point car beaucoup de personnes plus aptes que moi à la critique ont déjà donné leurs points de vue, mais, vu que j'ai pris la peine de lire ce bouquin du début jusqu'à la fin, j'aurai quand même deux ou trois petites choses à dire: hormis la description de l'avancée de l'armée Française dont on comprend (sans mal) qu'elle puisse être faite avec un vocabulaire militaire: "Comme les vagues pressées déferlent sur le navire en train de sombrer, ainsi les forces alliées submergent l'Allemagne en perdition", mise à part la description des affrontements gouvernementaux entre Alliés dont on comprend qu'ils puissent être faits à la manière d'un homme politique: "Mais la façon dont les Anglo-Saxons se comportaient à notre égard justifiait que nous jetions un pavé dans leur mare diplomatique.", y a-t-il un seul sujet d'ordre littéraire qui puisse permettre à Charles de Gaulle de laisser, à force de métaphores et de comparaisons sublimes, s'exprimer l'écrivain qui est en lui? Eh bien oui, il y a les cinq dernières pages ou notre Général évoque avec regret les années où il fut au pouvoir et ce qu'aurait alors pu faire la France si elle l'avait suivi, hormis inventer une nouvelle matière dans la catégorie littérature et humour et étudier le burlesque d'un ex-militaire nostalgique que faire sinon pleurer?...

Enfin je tâcherai de ne pas m'étendre sur le caractère partial de ce livre où l'auteur se cite à tous les paragraphes et parle de lui à la troisième personne, on s'étonne de la part d'un homme aussi concret et objectif que De Gaulle qu'il opte pour un parti pris aussi marqué. Enfin on ne s'étonne pas vraiment puisqu'on sait très bien que ce livre a été écrit dans l'unique espoir d'un retour au pouvoir, ce que l'homme politique insinue de manière très subtile vers la fin: "Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance". Certes on pourra me répondre à ce dernier paragraphe (que je n'ai pas osé nommer invective vu sa violence mesurée) qu'il s'agit de Mémoires de guerre, le mot « mémoires » pouvant justifier le caractère partial, à ça je ne puis que répondre: si ces mémoires se veulent historiques, un peu plus d'impartialité serait sans doute de rigueur, si ces mémoires se veulent littéraire ... (...) ...

Une petite phrase quand même sur les camps de concentration auxquels le Général De Gaulle a lui aussi accordé une petite phrase, certes il ne s'agit pas de ça mais je me lamente de n'avoir trouvé parmi ces 500 pages sur la fin de la guerre qu'une seule petite phrase sur la plus grande honte de l'humanité (qui partage sa place avec beaucoup d'autres horreurs évidement), vu qu'il n'y en a qu'une (je sais que j'ai déjà pas mal insisté) je vais me permettre de la citer quand même: "Ici ou là, stupéfait d'horreur et d'indignation, ils découvrent les survivants et les charniers des camps de déportation."

Le petit détail aussi qu'est l'utilisation abusive du mot race: depuis Montaigne il est censé n'exister qu'une seul race, la race humaine, la race française ou européenne n'existe plus au XXème siècle, d'autant plus lorsqu'on combat Hitler.

Je dirai pour conclure que grâce à cette lecture je me suis bien rendu compte de l'importance de mes lacunes historiques, je suppose que c'est mon jeune âge qui m'a empêché de comprendre tout l'enjeu de ce livre, mais enfin puisque les (ø¡«¶{}®†ºî¬µ≤‹≈◊ß~∞÷≠‘) au pouvoir qui ont mis ce livre au programme connaissent mon âge, comment ont-ils pu croire que je réagirais autrement?

NB: Mon texte revêt par contre un caractère littéraire puisque je me suis imposée une contrainte d'écriture, celle de ne pas utiliser le mot "propagande".

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