Paru en 2006 et traduit récemment par Denis Amutio pour les éditions de l’Arbre Vengeur – un éditeur dont on peut, comme Les Allusifs, Quidam et quelques autres, tout déguster à l’aveuglette sans risque de déception –, Microbes, recueil de nouvelle de l’argentin basé à Paris Diego Vecchio, offre un de ces rares exemples d’ensemble de parties obsédées par un même tout. Ici, en l’occurrence, le motif moteur n’est autre que la pathologie, que Vecchio traite avec une ingéniosité qui semble convoquer à la fois Borgès et Villiers de l’Isle-Adam, Chesterton et Horacio Quiroga.
Blason de maux interlopes, Microbes procède selon des logiques aussi farfelues qu’inéluctables, nous décrivant d’obscurs martyrs et de facétieuses monomanies, s’attachant à des destins de freaks luttant contre un ennemi intérieur qui fait à la fois leur singularité et leur malheur. Ici, l’art de la nouvelle est portée à un degré de formication [sic] extrême, comme si la santé était le fameux membre fantôme dont le patient éprouve le vague remuement, au-delà de la sphère tyrannique de son affliction. Ici, tous les Diafoirus du monde sont impuissants à comprendre et soigner les bizarreries de la nature, dont le but secret semble être la componction ou la folie. Evitant comme la peste les pirouettes finales ou les dénouements attendus, Vecchio, en patient jardinier des supplices, explore la perversité tantôt tragique tantôt facétieuse de dérèglements dotés d’un puissant potentiel narratif, alternant les scènes de grâce poétique et celles d’absurde hilarant.
Placé sous l’égide de Picabia, Microbes propose une plongée inédite dans les arcanes du corps souffrant, accompagné de possibles remèdes, évidemment farfelues. Ici, une écrivaine prévient divers maladies par des contes prenant pour thème la maladie en question (mais commet l’erreur de ne pas écrire de contes sur la tuberculose, avec les conséquences qu’on devine…). Là, un romancier à succès voit le tabac devenir le fléau de sa gloire, tant ses lecteurs, alertés des méfaits tabagiques par l’opinion, ont le sentiment de « [barboter] dans un bourbier de goudron ». Ailleurs, une jeune femme maigrit jusqu’à l’évanescence, malgré un certain fortune cookie aux vertus nutritives. On trouve également deux sœurs siamoises que le régime stalinien n’apprécie guère et dont l’une enfantera d’une fillette à la croissance inversée ; un auteur de whodonut dont le coma frustre considérablement le lectorat ; un Néo-Zélandais qui pleure des fourmis ; une Hongroise persuadée d’avoir éventé un complot floral, etc.
La plupart de ces nouvelles, par un effet de lorgnette inversée digne de Roussel, prennent plaisir à dépeindre des destins plus ou moins voués à l’écriture, comme si, ironie aidant, tout destin lettré se doublait d’une pathologie proportionnée. On ne serait pas surpris d’apprendre que l’auteur est atteint de talentite aiguë.
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