Honecker 21
Éditions Actes Sud
Honecker 21 ou quelques jours dans la vie d’un homme défectueux… à force de désaffection ? A moins que l’avanie ne soit le fait du monde qui l’entoure, le cerne, l’étouffe, menaçant de faire de lui un article à part entière, possiblement recyclable, certainement périssable. Bref, Mathias Honecker est né trop faux dans une Allemagne trop tarte : rien ne lui va, tout lui échappe, les choses comme les gens, les mots comme les sentiments. Vaguement complexé par sa carrière – il travaille dans la téléphonie, cellule parmi les cellulaires –, Honecker peine dans son ménage à vau-l'eau auprès d’une épouse intello qui lui impose des lectures kulturelles, patron paternalo-sadique et – ô drame percolatier! – cafetière en panne.
La nécessité (l’obligation ? le pari? ) de vivre dans un décor qu’on se doit d’upgrader régulièrement commence à venir à bout de sa résistance nerveuse et mentale. Alors le bonhomme Honecker, plutôt que d'ériger un mur, disjoncte, par petits court-jus, pas chassés jamais remplacés, toujours tenté d’en faire trop, bypassant les procédures normales, séduit à l’idée de se défaire, ne sachant plus s’il lui faut tout changer ou se changer, tuer ou se tuer, quel véhicule acheter, comment amadouer la panne. Berlin absorbe toutes ces velléités et dérapages tel un ventre mou, horriblement indulgent. Honecker, las de subir, voudrait non pas agir – verbe voué à l’avanie – mais fuir, faire fuir les lieux, les occasions, les rêves. Pensez Oblomov, pensez Molloy, pensez Flaubert aussi, tant Jean-Yves Cendrey nous offre un personnage incroyablement inapte à vivre la vie taillée pour lui sur mesure, mais en série hélas, et tout aussi inapte à s’en affranchir. Il y a du Bouvard et du Pécuchet dans cet Honecker aussi instable que le mercure :
La nécessité (l’obligation ? le pari? ) de vivre dans un décor qu’on se doit d’upgrader régulièrement commence à venir à bout de sa résistance nerveuse et mentale. Alors le bonhomme Honecker, plutôt que d'ériger un mur, disjoncte, par petits court-jus, pas chassés jamais remplacés, toujours tenté d’en faire trop, bypassant les procédures normales, séduit à l’idée de se défaire, ne sachant plus s’il lui faut tout changer ou se changer, tuer ou se tuer, quel véhicule acheter, comment amadouer la panne. Berlin absorbe toutes ces velléités et dérapages tel un ventre mou, horriblement indulgent. Honecker, las de subir, voudrait non pas agir – verbe voué à l’avanie – mais fuir, faire fuir les lieux, les occasions, les rêves. Pensez Oblomov, pensez Molloy, pensez Flaubert aussi, tant Jean-Yves Cendrey nous offre un personnage incroyablement inapte à vivre la vie taillée pour lui sur mesure, mais en série hélas, et tout aussi inapte à s’en affranchir. Il y a du Bouvard et du Pécuchet dans cet Honecker aussi instable que le mercure :
« C’est alors qu’il se souvint d’avoir à faire au Joli-Monsieur. Un but pareil c’est distrayant, et ça ne vous prend pas la tête. Sauf si vous êtes timide. Il se souvint qu’il était timide. Il retomba. »
Mais que le lecteur ne s’abuse pas en lisant ce qui précède. Il ne s’agit par d’un étroit roman sur la crise de la trentaine en milieu berlinois. L’aventure à laquelle nous convie Cendrey est davantage grammaticale : tout le roman joue avec une virtuosité décalée (et, oui, très flaubertienne) sur l’usage des temps, imposant l’imparfait là où le passé simple se gobergeait, inoculant le présent dès que le passé simple prend ses aises, et sabordant le tout avec de délicieux passés composés. Ce flouté permanent permet et favorise toutes sortes d’autres variations, de brusques crises cardiaco-lexicales, des sautes de tonalité, des accélérations et des étirements sacrément jubilatoires. Les occasions de bégayer la vie abondent, et Cendrey sait quelles intensités varier pour rendre ces "châtaignes" qu'on se prend à chaque fausse manipulation.
Cendrey conduit son roman en se moquant du rétro, il s’amuse à mimer tantôt le dérapage, tantôt les créneaux impossibles, tantôt le braquage intempestif. Preuve si besoin en était que l’écriture est une question de débrayage et non de patinage. L’ironie prédomine, mais comme un paysage partagé par le chauffard et le platane, laissant l’histoire traverser bien vite le décor. Honecker, parce qu’il est un engin à ratés, imprime au récit un rythme « cahotique » [sic], devenant à lui seul une litanie d’embardées – et quand notre anti-héros tente de prendre le contrôle de ce véhicule social qu’il sait télécommandé, le résultat est à la mesure de l'accident. Mais comme dans toute catastrophe, il se produit étrangement une plus-value de liberté, quelque chose qu’il est possible de consommer sur-le-champ, une once de voluptas à déguster. Le dérèglement des sens rouvre la fenêtre du possible, et Honecker traverse des joies autrement plus intenses que celles nées de l'achat du vide.
En un sens, Honecker 21 est un livre sur la liberté, ses failles, sur la façon dont tout rideau de fer se traverse, à force de grammaire tendue, de conjugaisons contre-nature. Las de « sautiller dans la crotte du quotidien », désireux de « s’écorcer », Honecker cherche à éprouver la réalité du fantasme à l’intérieur de la boîte à réel, dès fois qu’elle serait percée. La langue de Cendrey, affûtée, futée et prête à d’étonnantes cabrioles, est d’une liberté dérouillante. C’est donc un livre sur la folie et, par ricochets, sur l’amour de l’instant.
En prime, le lecteur apprendra comment, de somnambule, on devient simplissime, ce qui n’est pas rien, demandez donc à Broch ou Grimmelshausen.P.S. On peut entendre l'auteur lire un extrait sur le site des éditions Actes Sud.
"Le Japon comme ma poche" sorti fin août chez L'Arbre Vengeur est aussi une petite merveille !
RépondreSupprimerWe owe it to someone else's achievements in health and thus feel joy, depending on the success of others as if their achievements, and this is the Buddha mind. Always hold the interests of all sentient beings of the heart, we can not leave the joy forever.
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