Quand tu sors un livre, tu sors aussi.
Tu peux rester chez toi, mais ne viens pas te plaindre.
Donc, quand ton livre sort, suis-le comme si tu étais son ombre. En plus, c’est le cas. On dit que tu l’accompagnes, à croire qu’il s’agit d’une vieille tante qui n’a pas le sens de l’orientation ou d’un conjoint célèbre qui n’a pas envie de s’ennuyer toute la soirée. On appelle ça aussi de la promotion, mais tu es écrivain, comme Balzac ou Rimbaud, et non VRP, comme qui tu sais, alors ton livre, hein, tu l’accompagnes – et surtout tu essaies de rentrer sans lui.
Il y a plusieurs façons d’accompagner un livre, qui ne s’excluent pas et qui même se complètent :
1/ en en lisant des extraits (et là tu regrettes un peu de n’avoir pas tout simplement écrit un livre composé d’extraits) ; je me permets de te renvoyer à mon texte « les soirées littéraires » - comme ça tu ne pourras pas dire que tu n’as pas été prévenu… On appelle cet exercice une lecture, même si on est bien d’accord que la plupart du temps on dirait une dictée.
2/ en en parlant – on appelle ça une causerie, c’est un mot qui en vaut un autre (si tu ne sais pas parler de ton livre, ni en causer, ce qui n’a rien de honteux, mais que tu essaies quand même d’en parler, ce qui est louable mais catastrophique, tu entendras souvent bruire le nom de Modiano dans l’assistance : a priori c’est un compliment) – Mais attention ! Parler de ton livre, ça ne veut pas dire décrire le long processus tortueux qui t’a conduit jusqu’à la dernière page, genre : « au début je ne savais pas du tout où j’allais ». Non seulement c’est flippant, mais en plus ça peut créer des vocations d’écrivains parmi ceux qui ne savent pas où ils vont. On est assez nombreux, conviens-en. Tu dois donc raconter l’histoire et donner l’impression que tes personnages sont tes amis – un peu comme si tu les avais rencontrés sur Facebook. Si ton livre ne se raconte pas, s’il est dépourvu d’intrigue et de rebondissements, organise plutôt un happening dans une galerie avec des musiciens qui couvriront tes paroles décousues par des loops à la guitare pendant qu’on projettera des photos d’amibes sur les murs en béton.
3/ en attendant que le public te pose des questions. On appelle ça un échange – tu verras, quand ça sera fini, ce mot te fera beaucoup rire. Si jamais quelqu’un lève spontanément la main et pose d’emblée une question hyper pertinente, prends vite son nom et ses coordonnées et transmets-le nous, on le mettra sur nos listings, mais dis-toi qu’il y a de grandes chances pour que ladite personne travaille dans la librairie ou couche avec quelqu’un qui travaille dans la librairie. Au mieux, il aura un manuscrit à te filer à la fin de la rencontre et alors tu as intérêt à aimer les poèmes où l’on trouve des choses comme « c’est pour elle que j’écris / et grave ici mes cris » ou « le crépuscule tintinnabulait en sourdine » ;
Une précision : tu n’es pas obligé de répondre dans le détail aux questions posées. Parce que souvent, la question est super longue et comporte déjà la réponse, ce qui fait qu’à part dire « oui, effectivement » ou « non, en fait », tu auras du mal à t’en sortir. Dis juste ce que tu as à dire en commençant ta réponse par « avant de répondre à votre question, je crois que je dois préciser un point » – là, tu brodes, un peu comme quand tu écris.
4/ en signant ton livre. On appelle ça une signature ou, plus classe, une séance de dédicace. En gros, un chèque, tu le signes ; un livre, tu le dédicaces. Alors là, soyons clairs. Les gens qui viennent à ta rencontre en librairie ont souvent déjà reçu ton livre en service de presse, il y a même des petits malins pour l’emmener avec eux comme s’ils voulaient te le rendre, ça fout mal à l'aise ; et puis il y a ceux qui sont venus poussés par la curiosité (en général la pluie) et qui repartent souvent avec un autre livre que le tien, en général une réédition en folio du dernier Annie Ernaux. Prépare à l’avance des petites phrases que tu pourras inscrire sur la page de faux titre, ça évitera de faire poireauter dix minutes les gens pour au final écrire une ânerie du genre « amitiés amicales ». Prends un stylo qui écrit gros et demande bien comment s’orthographie le prénom de la personne. Si tu as encore un doute sur la façon dont s’écrit ledit prénom, adopte une graphie de médecin généraliste, signe « à blsmcrpr, amicalement » ça passera tout seul. Tu peux aussi noter ton numéro de téléphone, mais si la super belle nana qui voulait une dédicace compte l’offrir à sa belle-mère ou à son mec, eh bien je te laisse te débrouiller.
4/ Enfin il y a la solution, pratique et pas cher, de demander à une personne que tu connais bien d’instaurer avec toi un dialogue – on appelle ça une ruse. Mais sache quand même que ce n’est pas la meilleure solution pour entretenir l’amitié. Et puis il te faudra trouver quelqu’un qui connaît bien ton œuvre. Crois-moi, tu seras surpris d’entendre alors, de la bouche de ceux que tu considères comme tes plus fidèles lecteurs, les phrases suivantes : « allons allons je suis loin d’avoir tout lu », ou « ah zut je l’ai lu il y a hyper hyper longtemps » ou encore « sincèrement, je pense que Machin est plus qualifié que moi pour en parler ».
Bien, abordons maintenant les questions stratégiques. Tout d’abord il s’agit de communiquer sur ta lecture/causerie/échange/signature/ruse.
Autrefois, disons à l’époque fin Pompidou – début Bokassa, avant l’ère électronique, tu devais envoyer des bristols ou appeler les gens. Bizarrement, l’adresse n’était visiblement jamais la bonne et les gens effaçaient souvent par mégarde le message que tu laissais sur leur répondeur.
Désormais, tu as à ta disposition d’incroyables ressources. Tu peux l’annoncer sur ton blog, si tu as un blog, mais dans ce cas-là choisis bien tes tags, genre: Britney Spear pénis chienne humide élysées - tu auras quand même plus de visiteurs que d’habitude. Tu peux aussi créer une page sur Facebook si tu es inscris sur Facebook. Si tu n’es pas inscrit sur Facebook, alors tu devrais peut-être te filmer en train de jouer du air-guitar dans ta chambre et ajouter un lien you-tube sur ta page myspace. Précision : ne crois quand même pas que tous les gens qui préciseront « sera présent » seront présents. Va te balader sur les autres pages et tu constateras qu’ils ont huit autres soirées prévues le même soir. Ne les bloque pas pour autant, parfois on a de la chance.
Tous les éléments sont donc réunis pour que ta rencontre se déroule à peu près honorablement. Tous, ou presque. Car il te reste deux paramètres indispensables à mettre en place. Le choix de la date et le choix de la librairie.
Pour ce qui est de la date, c’est assez simple.
Le lundi, oublie. Tu connais la phrase : « J’ai vraiment envie de commencer la semaine dans de bonne conditions » ? Eh bien si tu décides de faire une rencontre en librairie un lundi, crois-moi, tu vas l’entendre.
Le mardi : soyons sérieux. Les gens sont tellement contents d’avoir bien commencé la semaine qu’ils veulent recommencer le lendemain.
Le mercredi ? Là, les gens te diront : « C’est pas un peu bizarre d’organiser ça un mercredi ? » Ne cherche pas d’explication rationnelle. Laisse tomber.
Le jeudi EST le jour idéal. Ne discute même pas.
Le vendredi ça peut être sympa mais tu as déjà entendu parler d’un petit restau sympa avec des potes ? Oui. Mais jamais d’une petite lecture sympa avec des inconnus.
Le week-end : tu seras étonné du nombre de gens qui te diront qu’ils partent en week-end alors que tu sais très bien qu’ils n’ont pas de maison de campagne.
Reste maintenant le choix de la librairie. A priori c’est assez simple puisque c’est la librairie qui te contacte et non toi qui contactes le libraire. Mais prenons le cas assez improbable où tu aies plusieurs propositions. Y a-t-il des contre-indications ? La réponse est oui.
Evite la super super super grande librairie. Ils auront un matos incroyable, tu seras filmé, ils t’accrocheront un micro sans fil au revers de ton pull qui du coup sera foutu, tu auras même droit à un verre de château-pinière et des crackers au cumin, mais à part ça il n’y aura personne. Tu savoureras alors tout le charme du mot « succursale ».
Opte pour une librairie normale, tenue par un libraire normal, qui vend des livres normaux à des lecteurs normaux. Mais dans ce cas ne prévoie aucune activité importante pour le lendemain matin. Même écrire.
Evite aussi de faire cinq signatures dans la même ville – tes amis sont cool, mais ce ne sont pas non plus des disciples de la secte du soleil.
Merci d’être venu très beaucoup.
"Ils auront un matos incroyable, tu seras filmé, ils t’accrocheront un micro sans fil au revers de ton pull qui du coup sera foutu, tu auras même droit à un verre de château-pinière et des crackers au cumin, mais à part ça il n’y aura personne."
RépondreSupprimerTiens, ça me dit quelque chose. Comme une sensation de déjà-vu...
(Note que je dois être un des rares blaireaux qui se présente à tes trois dédicaces en trois jours dans la même ville mais j'avoue que euh ben c'était pour la bibine.)
Bonsoir,
RépondreSupprimerEn tant que jeune (ah ah) écrivant, puis-je solliciter de votre part le droit de copier/coller ce mode d'emploi pour le cas (peu probable) où un jour on me demande de sortir en librairie ? (je pose la question à cause de Hadopi, voyez-vous)
Autre question : "très beaucoup", ça commence à combien ?
Par ailleurs, seriez-vous en mesure de proposer un mode d'emploi en forme de, disons, plan B, pour le cas (peu probable on l'espère - je parle pour moi) où ce "combien" serait inférieur ou égal à 1 (corrigé des variations saisonnières, cela va de soi)
Vous remerciant par avance de votre réponse et de votre sollicitude à mon égard et vous souhaitant un bon week-end,
je vous prie de croire en l'expression de ma considération distinguée
Toujours aussi fan !
RépondreSupprimerVoilà, j'ai tout noté.
RépondreSupprimerEn tant que public, le souci c'est que : on est debout, on entend mal (surtout quand la voisine ou le voisin demande qu'est- ce qu'il a dit?), on sait pas qui c'est parce qu'on savait pas et qu'on est entré pour acheter un livre et en plus tout le monde fait chut, c'est gênant, on aimerait poser une question mais on a peur d'être bête (on est soulagé quand quelqu'un d'autre la pose mais on n'entend pas la réponse), on n'aime pas les dédicaces parce qu'après faut arracher la page avant de donner le livre à quelqu'un d'autre, on trouve que ce serait mieux si c'était moins long, on n'aime pas les extraits, ça fait morceaux choisis, on aimerait être en tête à tête, mais au moins, ça fait quelque chose à raconter en rentrant et en live c'est mieux qu'à la télé.
RépondreSupprimerll y a aussi la question de la dame qui est super pertinente, c'est la question que tu te poses - toi - lorsque tu écris et jamais - jamais - tu n'as entendu un lecteur ou un ami ou un journaliste te la poser, alors tu vacilles un peu, tu souris et tu commences à répondre, tu y mets ton coeur, ton âme (si tu y crois), tu brûles tes neurones pour que ta réponse soit à la hauteur de la question.
RépondreSupprimerEt la dame te regarde en silence, bouge sur sa chaise qui grince, et finalement s'excuse : elle a mal lu le programme, elle croyait que tu étais Max Gallo et elle s'étonnait que tu sois si jeune. Après vérification, elle s'est trompée d'une semaine.
En tant que libraire normal, dans une ville normale et une librairie normale, j'ai ma chance! Sauf que tu auras mal à la tête le lendemain, car l'abus de bon vin et de bonnes bières en Bretagne n'est pas encore puni! So long!
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