Sous la houlette des éditions Fleuve Noir naquit un jour la collection *Anticipation*, du temps où le siège sociale desdites éditions était sis au 52 rue Vercingétorix, dans le quatorzième arrondissement de Paris. Du temps, surtout, où l’illustrateur de la collection dont nous parlons s’appelait Brantôme. Pas la peine de lui tailler un costard en lauriers : le bonhomme est connu et célébré. Mais les couvertures qu’il conçut, dans les années 50, pour cette collection au destin protéiforme, sont des sismographes impeccables d’une littérature imbibée de guerre froide et de machines probablement célibataires. D’iniques cyclotrons côtoient de rigides golems métalliques, des mages cryptiques manquent se faire atomiser par des rayons dont on n’ose imaginer les équations cristallines, on vit à une époque où l’anticipation ose concevoir le lointain printemps 1963 (comme si Dantec concevait une fiction schizoïde située en 2017…).
Une fois de plus, les titres sont des exemples patents qu’il n’existe pas de titre, aussi évident soit-il, qui ne puisse raviver les cendres du lieu dit commun. Les citerons-nous ? Les conquérants de l’univers. A l’assaut du ciel. Retour du météore. La planète vagabonde. Le pionnier de l’atome. Croisière dans le temps. Les chevaliers de l’espace. Au-delà de l’infini. Pitié, a-t-on envie de crier, et pourtant ces titres n’existaient pas avant (encore qu’il faudrait vérifier…), c’est donc qu’ils étaient, sinon indispensables, du moins nécessaires, ou possibles. En tout cas, chacun répercute, à sa façon, une phobie ancrée dans les consciences, sans guère de goût pour l’allitération (privilège des séries Z, en traduction or not).
Un des piliers de la collection, outre les incontournables Bessière et Guieu (bouvards et pécuchets du sci-fi francospatial), a pour nom Jean-Gaston Vandel. Il signe le dixième volume de la collection (Le Soleil artificiel) et revient régulièrement dans l’écurie fleuvnoiresque. Il est capable d’énoncés délicieux comme : « Or, une fois que le vulanium avait rendu tout ce spectacle visible, l’intervention du quats 0045 et du bactonyl déclenchait un conflit dramatique, car les bactéries expulsaient avec vigueur le parasite qui les vidait de leur substance », comme de sobres constats : « Le rude visage de Deltour était sombre. » Ce doit être également l’un des auteurs de SF le plus féru d’italiques.
Chez Vandel, on « opine en silence », on « hoche pensivement de la tête », on n’hésite pas à s’exclamer : « Tu m’intrigues, sapristi ! » Mais bon, imaginez que vos parents vous ont donné le prénom de Jean-Gaston. Imaginez que vous vivez à une époque où Hiroshima n’est qu’un prélude et où les Rolling Stones tètent encore leur mère : vous écririez quoi ? Oseriez-vous, allez soyez francs, écrire : « Dox Gavnor […] avait l’aspect habituel du Terrien d’Eurasie et tout particulièrement de l’Eurasien d’origine néo-biologique » ? Les apparences, en plus d’être souvent trompeuses, sont parfois loquaces. Quelle littérature générera le bling-bling ? Quel écrivain aura l’audace de conclure un jour une de ses œuvres par le paragraphe suivant : « Les Trois Drapeaux surmontés du mot PAX apparurent sur les écrans pour clore cette émouvante édition spéciale du ‘World Show’. » ?
Le numéro 53 de la collection, illustré par Brantôme, et intitulé «Heure Zéro », signé Vargo Statten, traduit par A. Audiberti, remet sur selle l’éculée problématique du périple temporel. Le savant Royd y expose ainsi sa théorie : « En vérité, le Temps n’est pas un élément qui se déroule comme un ruban. Passé, présent et futur, sont ici, simultanément, en cet instant même. Mais, à chaque instant, nos cerveaux se débarrassent de tissus morts, ce qui nous permet de voir ce que nous croyons être l’instant suivant. En réalité, tous les instants sont toujours présents : mais nous ne les voyons pas… ! Le processus est apparenté, en quelque sorte, à la détérioration des cellules qui amène la vieillesse… […] Notre corps, en fait, se dépouille sans arrêt, de telle ou telle chose qui se renouvelle ou pas : nos cheveux et nos ongles poussent, notre peau s’use, etc… Pourquoi le cerveau n’en ferait-il pas autant ? – Une faible lueur éclaira, chez Gordon, les profondeurs de son incompréhension. Il s’y agrippa.»
A-t-on jamais aussi bien décrit le phénomène sub-galactique de la lecture ?
Il y a aussi la collection "GORE", illustrée par Jarry, assez incroyable :
RépondreSupprimerhttp://www.lewub.com/barberi/baps.php?type=P&id=19
en fait, l'illustrateur s'appelait Brantonne. René pour les intimes. Et Jean Gaston ne se prénommait ainsi qu'en raison de l'identité de ses deux auteurs, par ailleurs signataires dans la collection d'à coté des espionnages soporifiques de Paul Kenny. Jean et Gaston, deux belges. Me demandez pas le nom du second, il est, flammand oblige, imprononçable de tête et en azerty. Jean, par contre, était le pere de Anne Libert, actrice fantastique - dans tous les sens du terme.
RépondreSupprimerle premier Vandel que vous citez est en réalité son deuxième (sur un total de 20). Ce n'est pas le soleil qui est artificiel mais plutôt le satellite. Moins poétique, je vous l'accorde.
Et si vous hallucinez sur la prose de nos Jean Gaston (pourtant l'auteur le plus moderne - et le plus progressiste - du quintet initial d'Anticipation), essayez un peu celle de Maurice Limat, le surréaliste réactionnaire du groupe. vous m'en direz des nouvelles.