Comment être féministe quand on est un homme? C'est une question que nous sommes en droit, nous les hommes, de nous pose. Pas seulement pour nous mettre à adopter une attitude différente, plus raisonnée, plus responsable, moins torve (ça devrait aller de soi…), pas seulement pour juste découvrir les limites d'une décence que nous sommes les seuls à avoir défini les mouvantes (selon nous) frontières. Non, je crois que pour être "féministe", afin de découvrir ce que ça veut dire, il faut faire un chemin inverse à ce qu'on est aujourd'hui. Il faut que nous, les hommes, revenions sur notre vie depuis… le berceau? Nous devons passer en revue nos actes, nos pensées, nos désirs, nos insistances, nos objectifs, nos sous-entendus, nos blagues, nos fantasmes, nos rêves, nos frustrations, nos colères, nos réticences, nos remarques, nos insultes, nos gestes, nos mains, nos idées, nos prétextes, nos justifications, nos remords, et ceux-ci, celles-ci, ces moments ces ruptures, nous devons les estimer, les ausculter, les soupeser – avec, selon qui le fera, honte, doute, culpabilité, fierté, déni, que sais-je.
Le but n'est pas de s'ériger en coupable pour mieux, après analyse généalogique et sociologique, se décréter victime, mais de s'interroger, pas à pas, nous autres hommes, sur les attitudes et les gestes que nous avons adoptés et nous sommes permis au cours de notre jeunesse (notre enfance?) et de notre adolescence (et bien entendu de notre âge adulte). Cela veut dire faire non seulement faire appel à la mémoire (qui a été conditionnée par des années de doctrine masculiniste) mais à l'analyse (qui l'a été tout autant). Autrement dit: Nous devons revoir notre passé autrement que tel qu'il a été vécu. Une telle relecture est difficile: comment revisiter nos actes et nos pensées à l'aune d'une nouvelle ère qui nous semble plus respirable (ou pas, puisque tous les hommes n'apprécient guère ce changement d'ambiance qui gênent leur emprise sur un sexe longtemps estimé "faible"?).
Ce que nous devons apprendre à dire: Nous avons été lourds, insistants, nous avons forcé une fille, nous avons ri de de situations où nous étions les rois présumés et nos victimes des proies faciles. Ce n'est pas une question juridique: personne ne nous assignera en justice (comme est belle notre impunité! réfléchissons-y). Non, ce qu'on attend de nous, ce que les femmes attendent (entre autre ), ce n'est pas juste des égalités de traitement (elles ne sont pas naïves), mais ça: ça:: que nous relisions nos vies à l'aune de nos privilèges, que nous comprenions d'où vient notre pouvoir, et comment, allusions après remarques, gestes déplacés après offenses imposées, nous l'avons laissé, ce pouvoir, vivre sa petite vie tranquille.
Revoir sa vie à cette aune, repenser ses pensées, et se demander à quel point nos viriles façons de vivre et de penser perdurent en nous: voilà ce que nous les hommes nous devons envisager de faire (pas seulment la vaisselle). On peut bien sûr invoquer l'époque, mais sans oublier qu'elle fût créée par nos maîtres et par nous approuvée. Nous avons tranquillement ratifié des hiérarchies en pensant répartition des tâches.
Être féministe pour un homme ne saurait se limiter à adopter des points de vue "féministes". Il faut savoir faire son propre "procès", qui n'est somme toute que la réécriture lucide d'un récit longtemps vicié. C'est un travail de chaque instant, dans la mémoire et dans le présent. Car si nous n'avons jamais tué de femme, nous n'avons jamais non plus pensé ou agi pour qu'aucune femme ne meure, et nos stratégies masculin(ist)es (nous) ont assez prouvé combien nous étions habiles à ne pas trop nous formaliser quand l'un d'entre nous estimait que son attitude était "justifiée". Qu'elle l'avait mérité.
Certes, reconsidérer sa vie de mâle ainsi est pénible, complexe, comme toute relecture. Devenir le juge de soi n'est pas une affaire facile – mais nous sommes peu à finir devant un tribunal, pas de panique. Le viol étant la pierre de touche de toute société, n'est-il pas vital de se poser certaines questions. Se réinventer est (enfin) possible grâce à la parole des femmes. Non s'absoudre en larmoyant, ni se défausser tranquillement. Juste se regarder en face, de biais, de travers même si ce n'est pas joli-joli. Bien sûr, les avantages liés au fait d'être un homme sont suffisamment considérables pour que nous, les hommes, nous hésitions à les mettre en péril. Sauf si nous prenons en considération l'autre moitié de l'humanité (qui nous a enfantés pendant que nous fumions une cigarette sur le parking de la maternité). Mais que nous donnera-t-on en échange? demandons-nous.Qu'avons-nous à y gagner? Si vous vous posez cette quesion, sachez que c'est foutu d'avance.
L'homme ne naîtra pas féministe, il le deviendra (mais qu'il arrête d'abord de faire semblant de savoir ce qu'est un delco et un clito et un accouchement et un non quand ça veut dire non).
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