Le cauchemar continue. Voilà que trois penseurs de l'extrême – dois-je préciser dans quelle direction penche de leur gré ou à leur flexible insu, leur extrême? – vont se poser cette question cruciale: la mort du livre est-elle inévitable? Ah, comme on aimerait que la question soit plus simplement, plus nettement : la mort de vos livres à vous trois est-elle inévitable? Mais c'est peu probable, car ils se vendent plutôt bien, ces trois gaillards (enfin, Patrice Jean, moyen-moyen).
Et pour cause, l'un (AF) a pignon sur ondes et l'autre (EN) suffisamment sévi en terre cathodique pour qu'ensemble, grâce à eux, une levée de fiers boucliers ne cesse de s'ériger contre leur grand ennemi: la pensée woke (bouh!). C'est leur grand dada à ces dadais du déni, et ils en sont les thuriféraires assermentés (voire académisés), toujours prêts à mener d'inlassables croisades contre (le choix est vaste…) les ravages du langage-jeune, la disparition du respect envers eux, la tyrannie du consentement, la grande menace des transitions sexuelles, les incendies de forêts, etc. Finkielkraut persuadé que l'argot des banlieues va retarder l'aboutissement du dictionnaire de l'académie; Naulleau convaincu que les trans essaient de voler la vedette aux prolos.S'ils avaient inventé le code de la route, on comprendrait mieux la priorité à droite.
S'érigeant modestement et sous de frelatées rhétoriques en arbitres d'un monde qu'il savent de source sûr menacé par tout ce qui n'est pas eux et leur idéologie moisie, ils ne cessent de s'étonner que le monde ait changé depuis qu'ils vendent moins; un monde qui les sait vieux de pensée et crétins de raisonnements; or donc les voilà prêts (plutôt que frais) et disponibles (plutôt que dispos) à caracoler sur ce noble cheval de bataille qu'est le Livre, dont ils s'espèrent être encore les indispensables représentants placiers. Oui, ils écrivent et ils publient, depuis des lustres, accumulant pensums sur pensums, diatribes sur diatribes, fustigeant comme si fustiger était un sport de salle et qu'eux seuls savaient soulever la fonte du ressentiment.
Mais on aura beau écouter leurs arguments (tantôt placides, tantôt échauffés, ils sont roublards), s'étonner de leurs argumentations prétendument logiques (ils citent, ils déduisent), et prétendument argumentés (ils citent, ils déduisent), on aura beau écouter les indignations si sincères de Finkielkraut qu'on se demande si chez lui l'indignation n'est pas en fait une sorte de réflexe moteur dès qu'il rencontre une pensée ne lui donnant pas du "monsieur"; on aura beau s'étonner du faux calme de Naulleau qui ne cesse de nous prendre à parti comme s'il était évident que nous partagions ses évidentes crispations dès qu'une fille a une bite, il n'en reste pas moins qu'en bruit de fond, on n'entend qu'une chose, comme des cris de basse-cour venus d'un enfer du syllogisme leur haine sourde. Leur dépit rageur. Attention: ce ne sont pas de vieux mâles blancs réacs. Oh non. Juste des réacs blancs mâles vieux. Et tout leur travail, au final, semble se résumer à cela: dissimuler leur aigreur sous un compost mental dont ils espèrent que les effluves dissimuleront la rancitude de leur non-pensée.
Il ne manque en vrai à ces mousquetaires que la bêtise idéologique d'un Houellebecq, l'infamie baroque d'un Richard Millet, la connerie défunte d'un Renaud Camus, les rêveries hussardes d'un Tesson et la philo-déliquescence d'un Onfray pour qu'ainsi épaulés ils puissent brandir sans complexe l'étendard d'un Occident meurtri mais sachant-bien-parler-français, s'offusquant de l'ingratitude de ses sujets et inviter leurs pauvres "followers" (ô comme ils aimeraient qu'ils soient plutôt des disciples!) à prolonger leur sainte croisade jusque dans les urnes.
Alors laissons-les discuter du livre et de son avenir. Et espérons pour eux que le ridicule continuera de se vendre.
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