mardi 7 octobre 2025
GRAHAM GRENE / LE TROISIÈME HOMME / JOURNAL DE TRADUCTION (6)
lundi 6 octobre 2025
Julien d'Abrigeon: Des milliers de chutes dans l'air
On suit depuis longtemps le travail de Julien d'Abrigeon, de loin en loin pourrait-on dire, intrigué par sa façon de travailler les formes, séduit par son écriture à la fois fluide et retorse (les deux ne sont pas incompatibles, heureusement). Mais rien ne nous préparait à Qui tombe des étoiles, ce furieux kaléidoscope narratif qui explore moins la figure de la chute que les paramètres (tenaces abscisses et fascinantes ordonnées) conditionnant sa possibilité. Car qui dit chute, dit élan, élancement, trajectoire, volonté d'envol – mais aussi désir d'espace, rêve d'émancipation, folie des hauteurs, peur du terre-à-terre. Encore fallait-il parvenir à organiser, ou plutôt orchestrer toute une galaxie de récits-destins, faire de cette foule de champions du grand plongeon une matière à la fois suffisamment dense et volatile pour qu'un livre susceptible d'accueillir tous ces improbables Icare échappe au piège de la recension pour devenir une formidable machine.
Rares sont les écrivains capables d'assimiler des fourmilières de faits sans que ces derniers rongent et sapent les bases de leur entreprise. D'Abrigeon en fait de toute évidence partie, tant sa maîtrise de l'immense documentation qu'il a accumulée lui permet non d'en faire étalage mais constellation. Sa méthode: commencer toujours au milieu des choses, reprendre sans cesse le fil là où il semble prêt à rompre, se livrer à un patient travail de tisserand, lui permettant d'entrelacer sans les emmêler divers fils narratifs dont il faudrait ici décliner les inquiétantes et passionnantes vibrations: la vie amoureuse de Nicolas de Staël, le rêve d'espace de Christa McAuliffe, l'envolée fatale d'Ewa Wisnierska, la langue universelle de Barès, le saut mis en scène d'Yves Klein, les voltes aériennes d'Adolphe Pégoud, des Russes qui tombent de haut, comme poussés par la main invisible du pouvoir, le vieux Charles Kane dévalant la neige de l'enfance, les délires financiers d'Elizabeth Holmes, les dévissements d'Edlinger…
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Vladimir Velickovic (1935-2019), Trois états du saut, 1975 |
Des hommes qui tombent, des femmes qui montent, des centaines de façon d'appréhender le vide, de tutoyer les étoiles, de se croire invincible, de vouloir inverser les diktats des boussoles, de frôler la mort autant que la vie, de s'échapper, de s'affirmer, d'exploser en vol. La vaste tribu des trébuchés de la vie, jamais figée, suivie dans ses voltes et ses écarts. Qui tombe des étoiles aurait pu être un fastidieux catalogue d'impressionnantes gamelles – il n'en est rien: D'Abrigeon est parti à la conquête d'un espace narratif encore inexploré et a su non pas tresser artificiellement mais mettre en résonance organique les nombreux fatum de ses protagonistes: toute l'intelligence de son livre est de ne jamais rabattre les trajectoires ici déployées en démonstrations de chute. Ici, l'implacable loi de la gravité devient un moteur diégétique aussi implacable que surprenant, permettant à l'écriture à la fois rigoureuse et décomplexée de l'auteur de tout brasser, analyser, déplier, laisser en suspens, décliner.
Un livre qui ne cesse de recommencer, à chaque page, comme si sa nécessité exigeait et conditionnait sa perpétuelle renaissance, tout entier dédié aux mouvements paraboliques de ses récits, afin que la mosaïque ici sublimée accède, à force de rêves et de catastrophes, à un statut quasiment symphonique (d'obédience dodécaphonique, tant qu'à faire). Et se change, subtilement, en fresque fabuleuse.
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Julien d'Abrigeon, Qui tombe des étoiles, Le Quartanier, 20€
dimanche 5 octobre 2025
Graham Greene, Le Troisième Homme / Episode 4
samedi 4 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (3)
vendredi 3 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (2)
Qui est ce troisième qui marche à tes côtés ? / Quand je compte, il n’y a que toi et moi ensemble / Mais si je regarde au loin la route blanche / Il y a toujours un autre qui marche à tes côtés.
jeudi 2 octobre 2025
Le Troisième Homme, de Graham Greene : Journal d'un traducteur (1)
A l'occasion de la parution de ma nouvelle traduction du Troisième Homme de Graham Greene aux éditions Flammarion, je poste ici, une fois de plus, un "journal du traducteur".
mardi 9 septembre 2025
Vienne 1936: Burroughs chez les nazis
On connaît assez bien la vie de l'écrivain américain William S. Burroughs, grâce entre autres aux biographies de Ted Morgan et Barry Miles, mais le fait est qu'on ne s'était jamais penché attentivement sur son séjour à Vienne en 1936-1937. C'est chose faite désormais grâce à Thomas Antonic, dont les éditions Grèges publient un texte plus qu'instructif intitulé Burroughs chez les Nazis.
Les liens entre Burroughs et l'Europe débutent tôt, puisqu'en 1927, alors âgé de 13 ans, il se rend à Cannes et sur la Côte d'Azur avec sa famille. En 1933, il séjourne à Paris et à Londres, puis se rend en Algérie (alors département français) sur les traces de L'Immoraliste de Gide. Puis, en 1936, nouveau séjour à Paris avant d'arriver à Vienne – on est deux ans après la Nuit des Longs Couteaux. Vienne n'est pas Tanger: les homosexuels y sont persécutés, ce qui n'empêche pas une certaine classe sociale de vivre des amours "illicites", par exemple à l'hôtel König vin Ungarn, où est descendu Burroughs.
Mais qu'allait faire le futur auteur du Festin Nu à Vienne? Tout simplement des études de médecine, études que lui permettait de suivre son diplôme de fin d'études secondaires, alors qu'aux Etats-Unis il aurait dû passer des cours préparatoires (biologie, chimie, maths). C'est dans cette ville que Burroughs assiste à la montée en puissance du nazisme, entouré de professeurs pronazis et antisémites, au nombre desquels un certain Eduard Pernkopf, chantre de l'hygiène raciale et anatomiste n'hésitant pas à travailler sur des cadavres de victimes du nazisme.
À partir de nombreux documents, Thomas Antonic traque intelligemment dans l'œuvre de Burroughs des échos circonstanciés de ce séjour à Vienne, certes bref mais l'ayant mis concrètement au contact de l'idéologie nazie. Et le fait est que dans son œuvre, on n'est pas en manque de médecins peu recommandables, comme l'illustre Dr Benway, qui apparaît dans plusieurs de ses livres. Antonic évoque également la figure passionnante de Ilse Herzfeld (épouse Klapper), que Burroughs épouse le 2 août 1937, un mariage ayant essentiellement pour but d'aider Ilse à renouveler son visa et fuir l'Europe au bord du gouffre (elle souhaitait émigrer aux Etats-Unis, et finit par se rendre à New York au début de l'année 1939).
Antonic, en fin lecteur de Burroughs, nous permet ainsi de voir dans quelle mesure le séjour viennois de l'auteur a alimenté sa peinture d'un monde tordu où le spectre nazi sait prendre diverses formes.
À noter que l'essai de Thomas Antonic est suivi d'un autre essai, signé David Frank Allen, intitulé Malaise dans la syphilisation et portant sur la destruction de la subjectivité dans l'œuvre de Burroughs.
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Thomas Antonic, Burroughs chez les nazis, éditions Grèges
vendredi 5 septembre 2025
Notre désir de publication est impossible à rassasier
Comme chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, des livres paraissent, puis, marché oblige, disparaissent (plus ou moins). Les éditeurs et les auteurs font donc ce qu'ils peuvent, avec les moyens du bord, pour tenter de pérenniser cet événement forcément éphémère qu'est la parution d'un livre, livre qui se retrouve vite perdu dans un océan de publications.
On a beau en parler, en tweeté, en tiktoké, en instagrammé, rien n'y fait, ledit livre reste une goutte dans l'averse d'encre qui régulièrement s'abat sur un peuple de lecteurs et de lectrices de plus en plus flou. Bien sûr, hormis la dizaine de stratégies susceptibles d'empêcher ledit livre de se dissoudre dans l'abondance éditoriale, il est toujours possible de s'en remettre aux libraires, aux lecteurs et lectrices, aux amis, à la rumeur, au tarot de Marseille, dans l'espoir qu'il surnagera.
Mais qu'attend-on d'un livre? L'éditeur, lui, le sait: il attend que le livre se vende raisonnablement, et ce afin d'essuyer les coûts inhérents à sa publication, mais aussi afin de démontrer que ses choix éditoriaux sont judicieux; enfin, parce qu'il ne veut pas que son auteur.e soit déçu.e et pense avoir fait une erreur en lui faisant confiance.
Mais l'auteur.e, qu'attend-il/elle de cette publication? C'est là que le mystère s'épaissit. Certains s'en foutent (je les adore). D'autres croient dur comme fer qu'ils vont devenir des stars du jour au lendemain. D'autres comptent sur une petite rentrée d'argent pour tenir bon. On devrait établir une typologie des attentes liées à la publication d'un livre. Tant il est vrai que perdure une sorte de mythe en lien avec ce procédé par ailleurs très concret qui consiste à imprimer un texte sur du papier, à coller ce papier sur du carton, à le distribuer dans des points de vente, puis à le laisser dormir dans des entrepôts ou le pilonner régulièrement.
Une phrase revient souvent chez les auteur.es: "Je veux juste (ou j'espère) qu'il se passe quelque chose autour de mon livre". Ce désir, louable, se décline différemment selon les individus: des rencontres en librairie, des lectures publiques, des invitations à des festivals, des articles dans la presse, des passages à la radio. Car c'est là l'entière gamme des propositions sur lesquelles ils peuvent compter. Inutile, je suppose, de leur préciser que des articles ne font pas forcément vendre, qu'une rencontre en librairie peut être un grand moment de solitude, qu'ils vont rester des heures sans rien signer dans ce super festival qui les a invités, et que l'émission de radio où ils ont été invités n'aura pas lieu en raison d'une grève. On n'est pas là pour leur casser le moral, mais pas là non plus pour leur promettre la lune.
Bref, on est en droit de se demander ce qu'un,e auteur.e attend vraiment de la publication d'un livre. Argent, gloire, rencontres, voyages, respect, espoir d'être de nouveau publié, agitation, quelques verres de champagne gratis dans un cocktail, des échanges avec son lectortat, des heures de train à l'autre bout du pays pour causer quinze minutes d'un sujet n'ayant rien à voir avec son livre ? Rien n'est pire, en effet, qu'une vaste indifférence silencieuse. Et il arrive qu'un livre se heurte à un mur: zéro articles, même sur un obscur blog. Zéro invitation en librairie. Niet de festival. Comme si il ou elle avait écrit dans le désert et n'avait d'autre choix que d'y retourner.
Pourtant, derrière l'acte d'écrire (ou devant, face à lui) il y a la nécessité. Ecrire parce que bon-qu'à-ça. Que vouloir de plus? Etre lu? Certes, bien sûr, mais à partir de quel nombre de lecteurs/lectrices l'auteur.e sera-t-il/elle satisfait.e? Cent? Mille? Trois mille? Cent mille? Vingt millions? Douze et demi? Deux (papa et maman)? Les rêves qui agitent les écrivain.es devenu.es auteur.es sont gris et flous et variables et changeants. Mais peut-être qu'à force de noircir du papier et de voir ce papier s'attarder en librairie on finit par réviser ses attentes (à la baisse?) et faire la distinction entre deux identités, celle qui écrit et celle qui publie. Car publier un livre oblige, au sens presque moral, celui ou celle qui écrit à se poser une question cruciale: qui suis-je quand j'accompagne mon livre? Ecrivain.e ou auteur.e ? Quelle est cette nuance? Comment la vivre? Qu'en attendre? Ai-je vraiment envie de consacrer du temps à jouer les VRP de mon œuvre? Est-ce, écrire, un métier (la réponse est non; vous n'avez qu'à contacter, si vous y arrivez, l'entité URSSAF qui vit dans la dystopique contrée du Limousin).
J'aimerais pouvoir donner des conseils. En prodiguer comme on rassure les passagers d'un beau navire répondant hélas au nom de Titanic. Mais en vérité je suis, comme les auteur.es que je publie (et comme celui qu'il m'arrive d'être), démuni devant cet incident mineur, qui devrait être un feu d'artifice mais n'est souvent qu'un pet d'allumette humide, qu'est la publication d'un livre sur cinq cents autres en même temps et si tu n'es pas dans les quinze qu'a choisis la presse lors d'une médiumnique concertation, pleure tes larmes.
La durée de vie d'un livre a été tellement raccourcie par le marché qu'il serait hypocrite de promettre monts et merveilles, pognon et passage à La Grande Librairie, invitation à Nancy ou Grargouilles-les-Moselles. Il n'existe en ce domaine qu'une seule loi: si un livre peut changer la vie d'un lecteur, d'une lectrice, alors il est justifié. Un, une, ce n'est rien, mais c'est tout. Car rappelez-vous ce livre que vous avez lu et qui est en vous comme un pivot, une boussole, une bombe, un clou, un amour, une catastrophe, un retournement, un seuil, un virage, une décision. C'était quoi? Les Chants de Maldoror? Tombeau pour cinq cent mille soldats? Les Géorgiques? Et si c'était Détruire tout ? Ici je tente le tout pour le tout. Et si c'était Détruire tout, de Bernard Bourrit, paru aux éditions Inculte, que je dirige? Voyez comme nous sommes: nous ne reculons devant rien pour "pousser" les livres que nous publions sur l'immense échiquier de — mais assez. Vous m'avez compris. Et sachez que je n'hésiterai pas à vous recycler ce post en changeant juste le titre et le nom de l'auteur.e à chaque livre que je publierai. Et dans quelques semaines je vous bassinerai sans complexe avec l'immense Bruits d'Anne Savelli que je publierai en janvier. On est comme ça, on ne lâche rien.
Mais "libre" à vous de lire juste les quinze livres sur lesquels la presse littéraire s'est mise d'accord. Mais si votre curiosité vous conduit au seuil de Détruire tout, de Bernard Bourrit, eh bien, je pourrais mourir tranquille (mourir, dans le jargon de l'édition, veut dire vivre).
jeudi 4 septembre 2025
Bit after bit: pas évident
Comment être féministe quand on est un homme? C'est une question que nous sommes en droit, nous les hommes, de nous pose. Pas seulement pour nous mettre à adopter une attitude différente, plus raisonnée, plus responsable, moins torve (ça devrait aller de soi…), pas seulement pour juste découvrir les limites d'une décence que nous sommes les seuls à avoir défini les mouvantes (selon nous) frontières. Non, je crois que pour être "féministe", afin de découvrir ce que ça veut dire, il faut faire un chemin inverse à ce qu'on est aujourd'hui. Il faut que nous, les hommes, revenions sur notre vie depuis… le berceau? Nous devons passer en revue nos actes, nos pensées, nos désirs, nos insistances, nos objectifs, nos sous-entendus, nos blagues, nos fantasmes, nos rêves, nos frustrations, nos colères, nos réticences, nos remarques, nos insultes, nos gestes, nos mains, nos idées, nos prétextes, nos justifications, nos remords, et ceux-ci, celles-ci, ces moments ces ruptures, nous devons les estimer, les ausculter, les soupeser – avec, selon qui le fera, honte, doute, culpabilité, fierté, déni, que sais-je.
Le but n'est pas de s'ériger en coupable pour mieux, après analyse généalogique et sociologique, se décréter victime, mais de s'interroger, pas à pas, nous autres hommes, sur les attitudes et les gestes que nous avons adoptés et nous sommes permis au cours de notre jeunesse (notre enfance?) et de notre adolescence (et bien entendu de notre âge adulte). Cela veut dire faire non seulement faire appel à la mémoire (qui a été conditionnée par des années de doctrine masculiniste) mais à l'analyse (qui l'a été tout autant). Autrement dit: Nous devons revoir notre passé autrement que tel qu'il a été vécu. Une telle relecture est difficile: comment revisiter nos actes et nos pensées à l'aune d'une nouvelle ère qui nous semble plus respirable (ou pas, puisque tous les hommes n'apprécient guère ce changement d'ambiance qui gênent leur emprise sur un sexe longtemps estimé "faible"?).
Ce que nous devons apprendre à dire: Nous avons été lourds, insistants, nous avons forcé une fille, nous avons ri de de situations où nous étions les rois présumés et nos victimes des proies faciles. Ce n'est pas une question juridique: personne ne nous assignera en justice (comme est belle notre impunité! réfléchissons-y). Non, ce qu'on attend de nous, ce que les femmes attendent (entre autre ), ce n'est pas juste des égalités de traitement (elles ne sont pas naïves), mais ça: ça:: que nous relisions nos vies à l'aune de nos privilèges, que nous comprenions d'où vient notre pouvoir, et comment, allusions après remarques, gestes déplacés après offenses imposées, nous l'avons laissé, ce pouvoir, vivre sa petite vie tranquille.
Revoir sa vie à cette aune, repenser ses pensées, et se demander à quel point nos viriles façons de vivre et de penser perdurent en nous: voilà ce que nous les hommes nous devons envisager de faire (pas seulment la vaisselle). On peut bien sûr invoquer l'époque, mais sans oublier qu'elle fût créée par nos maîtres et par nous approuvée. Nous avons tranquillement ratifié des hiérarchies en pensant répartition des tâches.
Être féministe pour un homme ne saurait se limiter à adopter des points de vue "féministes". Il faut savoir faire son propre "procès", qui n'est somme toute que la réécriture lucide d'un récit longtemps vicié. C'est un travail de chaque instant, dans la mémoire et dans le présent. Car si nous n'avons jamais tué de femme, nous n'avons jamais non plus pensé ou agi pour qu'aucune femme ne meure, et nos stratégies masculin(ist)es (nous) ont assez prouvé combien nous étions habiles à ne pas trop nous formaliser quand l'un d'entre nous estimait que son attitude était "justifiée". Qu'elle l'avait mérité.
Certes, reconsidérer sa vie de mâle ainsi est pénible, complexe, comme toute relecture. Devenir le juge de soi n'est pas une affaire facile – mais nous sommes peu à finir devant un tribunal, pas de panique. Le viol étant la pierre de touche de toute société, n'est-il pas vital de se poser certaines questions. Se réinventer est (enfin) possible grâce à la parole des femmes. Non s'absoudre en larmoyant, ni se défausser tranquillement. Juste se regarder en face, de biais, de travers même si ce n'est pas joli-joli. Bien sûr, les avantages liés au fait d'être un homme sont suffisamment considérables pour que nous, les hommes, nous hésitions à les mettre en péril. Sauf si nous prenons en considération l'autre moitié de l'humanité (qui nous a enfantés pendant que nous fumions une cigarette sur le parking de la maternité). Mais que nous donnera-t-on en échange? demandons-nous.Qu'avons-nous à y gagner? Si vous vous posez cette quesion, sachez que c'est foutu d'avance.
L'homme ne naîtra pas féministe, il le deviendra (mais qu'il arrête d'abord de faire semblant de savoir ce qu'est un delco et un clito et un accouchement et un non quand ça veut dire non).
Les trois moustiquaires de la pensée sont de retour
mercredi 3 septembre 2025
Ça jase, ça jazze, c'est Lalonde !
Les livres de Catherine Lalonde se mettent en bouche et y formulent d'étonnantes et nécessaires explosions, on les boit et les mâche non pour en ingérer la seule saveur mais parce qu'ils inventent un rapport carné et foutrement scandé au dire-le-corps.
Prenez Trous, son dernier ouvrage paru aux éditions Le Quartanier. Tout y tourne autour et s'en retourne au trou – bien sûr, le "trou" est un motif récurrent en poésie, du moins depuis Artaud, dès lors qu'on procède à des équivalences trou/bouche, trou/con, trou/gorge, et donc trou-parole et trou-naissance et trou-chant, mais chez Lalonde le motif-trou donne lieu et matière à plus que des variations, même si elle décline le trou en ses modalités corporelles, la bouche les yeux les oreilles etc. Il ne s'agit pas ici d'un quelconque blason du trou, mais d'une cavalcade au sein de la langue chargée de trous.
On trouvera dans Trous de nombreux échos d'autres voix, voix trouées ou voix traversées, on y entendra des bribes de contes, des esquilles de chansons, des mots de Wittig ou de Carroll, des traînées de Jabberwocky, des bouts de Perec et Villon, mais surtout on se laissera emparer par une voix qui alterne plongées dans le sombre du langage et fuites éperdues dans ses infinies possibles. Lalonde fait parler son poème comme un corps sommé de gesticuler ses secrets, elle sature le motif-trou pour lui faire rendre gorge, mais sans jamais lui instruire de se taire, bien au contraire, sans cesse le trou bée et clapote, se contracte, se dilate, et en glorieux orifice laisse passer toutes sortes de tempêtes vocales. Les mots se chamboulent, d'une comptine l'autre, des syllabes liminales s'absentent mais le mot résiste, têtu comme un volatile au cou coupé qui n'en finit pas de tressauter dans la basse-cour du corps langagier. Ça pulse, ça bégaie, ça tord et ça shuinte – on lit comme en fièvre, mais une fièvre tenue, à la température profondément cadencée.
Le trou n'est pas que vide, loin de là, il sait être stigmate, portail, baiser profond, entente bruissante, par lui on advient au monde, on se vide, par lui on entre en harmonie avec la discorde des sens – et dans le trou qu'on mette le doigt si l'on doute d'en avoir fait le tour. Trou noir du cosmos, trou rouge du désir, trou trouble des eaux-souvenirs. Tourbillon/trublion. La-la-londe !
Lisez, non, écoutez, non, psalmodiez:
"Déjà /depuis / c'est théâtre / depuis les débuts / trous de mère de marde et d'hyper trous / c'est du théâtre du mentir vrai depuis des lustres / l'invitation d'une varie étoile filer la ligne de feu / où suis-je qu'ai-je fait que dois-je faire encore ? / des joutes d'infra-corps et de chevaux morts / de faux ordres quels chagrin me dévorent / les désirs en cette ocre langue / des lumières pour agiter l'ici / ensemble on y vit / fortes d'ivre / de feux de moelle / de mots flambés nés des marges / des fusées des vits des verges et des masques / ces étoiles à pourrir des plosions implosions et que pulsent / nos mordées car tant que tu entres en tous ces blancs j't'ouïs / oui! ce crânage gueule à gueule ces égales bouchées / des hurlements de louves la nécessité de l'imprévu […]"
Trous se lit et se relit, en milles apnées revigorantes. Perforé, performant, poème du trou mais pas du manque, car débordant, dévorant, le texte croît, enfle et spire comme une nuit à ne pas dormir entre corps débridés.
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Catherine Lalonde, Trous, Le Quartanier
mardi 2 septembre 2025
"C'était pour ainsi dire: une sécession": La disparution selon Séverine Chevalier
La disparution? Oui, il faudrait presque inventer ce mot pour le distinguer de celui de "disparition". Ce dernier pourrait s'appliquer à une personne disparue ou morte, tandis que le premier désignerait plutôt le processus, lequel peut-être long, discret, invisible – et conviendrait mieux pour parler du livre de Séverine Chevalier, intitulé Théorie de la disparition.
Il y a quelque chose dans ce roman qui échappe au roman. Certes, on y trouve une "intrigue", l'histoire d'une femme prénommée Mylène, épouse d'un écrivain à succès (Mallaury), et qui l'accompagne dans ses divers déplacements promotionnels. Mylène est effacée, se plaît (se complaît?) dans cet effacement que son mari favorise et qui lui permet, à elle, Mylène, de ne pas trop s'appesantir sur son passé. Mallaury est vaniteux, aigri, moqueur, laissons-le à sa séance de dédicaces. Non, ce qui fascine dans ce livre, c'est la façon dont chaque phrase semble minée, ou semble fuir, ou joue avec le feu. Mylène s'est confinée dans un sous-sol pour écrire à son tour, et ce sous-sol se révèle la matrice même de l'écriture: c'est là, sous la surface vaine, que vérités et souvenirs vont mener une danse éprouvante.
Tout bascule lors d'une soirée, lorsque Mylène entend – voit – ne reconnaît pas – le mot "lèvres". Et c'est comme si, alors, elle se retrouvait abouchée aux mystères de la langue, de ce qu'elle dit, de ce qu'elle tait, du corps qu'elle annonce, des désirs qu'elle passe en contrebande. Cette émergence lui permet de revenir sur cet effacement dont elle a fait la texture de sa vie: d'où vient-il, ce besoin de transparence? Là, un récit familial intense est mis à jour, partant d grand-père, écorchant le père, échouant à la fille de ce dernier, Mylène.
Chez Séverine Chevalier, on s'en rend vite compte, la ponctuation joue un rôle capitale, que se soit les deux points ou les virgules, lesquelles semblent avoir adopté le rôle de disjoncteurs:
"Je vous regarde laver le sol, et voici ce qu'il me semble: vous n'agissez pas parce que le protocole indique son exécutions comme ci ou comme ça […], vous vous comportez ainsi parce que vous voulez prendre soin. Vous voulez, aimer."
Une peur de la chute traverse le livre, qui est autant la peur de disparaître que celle de tomber dans le trou commun de la vie commune, dans le magma de la vie indifférenciée. De l'inattention peut découler l'inanité. Ado, Mylène est allée sur un grand-huit avec une amie détestée :
"Après on est tombées dans le monde et les lumières violentes […]."
De nombreux indices d'une imminente bascule jalonnent ce texte qui avance par subtils dévoilements: une paire de chaussures, une chemise en soi et des vers à soie, un pliant devant une tombe, les grosses lèvres pâles d'un inconnu, etc. Puis cette question, qui vient tout sauver:
"Comment se fait-il qu'éclot, parfois et tout de go, une consistance?"
Riche en clairs-obscurs et en sombres legs, simple de langue mais tourmenté de syntaxe, Théorie de la disparition danse sur la fascinante lame de rasoir qu'est une calme émancipation. La narratrice écrit à un moment ceci : "J'attends, peut-être, la catastrophe." Ce mot de catastrophe signifie littéralement "renversement". Et c'est bien de cela qu'il s'agit ici: de quelque chose de renversant, qui ne peut advenir que par l'écriture, celle à laquelle Mylène se consacre en sous-sol, afin d'entrer dans une autre lumière dont l'éclat, cette fois-ci, n'osera plus l'estomper. Une femme prend la parole, puis prend corps, enfin prend ses cliques et ses claques. Tout plaquer, sauf soi.
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Séverine Chevalier, Théorie de la disparition, La Manufacture de livres
vendredi 29 août 2025
Et si traduire c'était d'abord savoir compter?
Et si traduire c’était d’abord savoir compter : additionner puis multiplier puis diviser. Cette définition peut sembler étrange et pourtant c’est le b-a-ba. En effet, quand on vous confie un livre à traduire, on vous indique en même temps la date à laquelle il serait judicieux de rendre votre traduction.
mardi 26 août 2025
La certitude de l'absence: Bourrion au plus près de l'invisible
Qu'est-ce qu'un passé commun dès lors qu'en divergeant des vies ont renoncé au hasard des échanges? Bourrion explore ce territoire pâli où le possible d'une rencontre s'est contenté d'être horizon, puis chimère. Les deux enfants ont partagé des lieux, des zones, des cercles, mais le croisement n'a pas eu lieu. L'amitié est restée lettre morte, mais il appartient à la mémoire non seulement de combler cette lacune mais d'en arpenter l'inéluctable persistance.
"Tu ne le sauras pas, mais retrouver quelque chose dans ce fatras flou qui ne cesse d'augmenter à mesure qu'on avance est une tâche impossible. Je tente ma chance malgré cette difficulté, puisque c'est seulement à ça que servent les mots, ceux qui les écrivent, parler des morts, les faire vivre, et tous les morts, particulièrement deux dont personne ne parle plus, afin qu'au moins quelqu'un crée la trace qu'ils n'ont même pas tentée."
On saisit l'originalité de la démarche de Bourrion. Là où d'autres transforment un être chéri en fantôme persistant, lui part (et parle) d'un qui fut de son vivant fantôme, et qu'il cherche aujourd'hui à rendre moins évanescent. Ce garçon qu'il n'a vu et connu que de loin en loin, ce jeune homme qui s'est refermé, éloigné/immobile, cet homme que la vie a laissé dans l'ombre, qu'en faire? Peut-on faire revivre une vie qu'on n'a fait qu'entrapercevoir? Ici, ce n'est pas l'imagination qui se charge de cette mission, mais simplement la phrase, son avancée têtue, qui par la seule force de sa patience, cherche à rendre chair à une silhouette.
Car si l'un, le récitant, a quitté les lieux, connut le grand dehors, parcouru les livres, l'autre, le reclus, a fait le chemin inverse, et connut la tristesse muette de l'effacement. C'est donc, à sa façon, un portrait en creux que propose Bourrion. Celui dont il parle, pourquoi n'était-il pas lui? Fut-il un de ses possibles? Et lui, était-il, de cet être rongé de discrétion, un double improbable? Lignes de fuite, de partage, lignes brisées, interrompues: les trajectoires sont des destins en cours, un rien peut les arrêter, les changer en cercle, et au centre de ce cercle, naît un vide.
Lors d'une fête de village, les deux futurs hommes se croisent une dernière fois, quelques mots sont échangés:
"Lorsque j'ai enfin fermé ma grande bouche, demandé ce que tu devenais, tu m'as juste répondu, 'j'habite toujours ici', une réponse parfaite qui disait suffisamment pour que je n'insiste pas. Un grand silence est venu, dents longues. Il a creusé entre nous cette gêne dont ne sait sortir."
De cette gêne, qui par son feuilletage est aussi bien sociale que physique, Bourrion fait une quête, et par elle réussit à faire affleurer non seulement des odeurs, des couleurs, des lieux, des atmosphères, mais aussi tous ces instants non advenus qui, pourtant, parce qu'écrits, finissent par créer un lien. Quelqu'un a marché sur une terre commune, et de ses pas à jamais disparus il est néanmoins possible d'évoquer la trace. D'approcher "cette marque en creux pareille à celle qu'on laisse dans un sol meuble en enlevant son pouce, trace qui maintenant pour moi est toi."
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Daniel Bourrion, Le pays dont tu as marché la terre, éd. Héloïse d'Ormesson
lundi 25 août 2025
Stéphane Bouquet: Pour mémoire, à la page la plus proche
J'apprends la mort de l'écrivain Stéphane Bouquet en cet août finissant, et sur mes étagères tous ses livres ou presque insistent à prétendre le contraire, alignés sobrement, debout, étonnamment présents et contemporains. Interrompue, une vie qui fut, non sans difficulté, écriture ne l'est jamais tout à fait, elle reste à portée de main et d'œil, comme un ami réduit à sa plus discrète mais têtue expression. Je me contenterai donc de reproduire ici quelques textes que j'ai, par un passé devenu désormais mémoire, écrits et publiés sur ses livres, au fil d'ans et d'amitié pointillée. On ne fait pas le deuil d'un écrivain, on le lit jusqu'au bout de soi.
***
"l'original. De toute façon
mes amis j'écris de moins en moins de poésie. J'ajoute juste
des mots à des jours
en espérant y trouver la raison de surpasser l'odeur intense
de solitude qui
me stagne sans arrêt sous les bras et puis re-salves
d'encouragement
des troubadours intérieurs: continue, continue d'entrelacer
ton vers à la seule vérité
qui soit et la stupeur d'exister."
"en sont restées là. C'est cela l'essentiel: se vautrer dans la
forme
idéale ou provisoirement idéale. Bien sûr pendant ce temps,"
"de raison valable. Un jour
les méduses à leur tour ont trouvé que leur forme
convenait aux circonstances."
« les si nbreux
sermons caduques, la pelouse en mémoire »
« càd la mort iciest une personne non dramatique »
« – oui, je dis, baigné dans sa sueur pas lavée et feuillue de trois quatre x jours, possesseur soudain de sa formule profonde, et du coup, de la, euh, c’est ça, vérité. »
J’ignore si la chose est susceptible d’être brevetée, mais je vais néanmoins vous proposer un petit exercice qui, allez savoir, pourrait fort bien nous aider à embrasser une œuvre. Le principe en est simple : composer un petit texte – un poème ? – à partir des titres d’un écrivain. Exemple : « L’Iliade, cette odyssée. » Attention, ça ne marche pas toujours. Parfois, ça passe, mais de justesse : « L’éducation sentimentale de Madame Bovary est une idée reçue. » Souvent, c’est instructif : « La soumission des particules à un territoire élémentaire. »
Ce jeu n’est pas toujours vain, et je vous propose aujourd’hui de l’appliquer aux livres de Stéphane Bouquet : « Dans l’année de cet âge, un monde existe : le mot “frère”. C’est un peuple, ce sont nos Amériques, et les amours suivants forment une vie commune. » La formule, à défaut d’être magique, a le mérite de lier, en une liasse sensible, des fleurs qui ne sont pas seulement rhétoriques. D’emblée, une sensation s’impose : celle d’une communauté à la fois rêvée et désirée. Quel nom lui donner ? Sans doute celui de son nouveau livre : La Cité de paroles, recueil de textes tournant autour de la question suivante : que peut la poésie ? Est-elle part des anges ou élan démocratique ? Distingue-t-elle ou rassemble-t-elle ? Très vite, d’autres questions surgissent, d’autres intuitions s’imposent. Sexe et scansion : « Lis-moi un de tes poèmes, je te dirai à quelle vitesse tu te masturbes. » Provocation ? Pas sûr. Excitation, plutôt. Il suffit pour cela de sonder Claudel ou Ginsberg. Bouquet nous propose ce fil rouge, et bien tendu : « Toute décision littéraire est elle-même, aussitôt, une décision politique, et donc transitivement, une décision érotique. » Réjouissances, donc.
Pour éprouver ces questions, faire vibrer ces intuitions, Stéphane Bouquet convoque toute une tribu de poètes qui ont peut-être en commun l’idée qu’un corps, justement, parce que commun, est une leçon d’égalité, l’occasion d’un partage. La poésie serait moins le récit de sa pénétration que l’histoire de ses caresses. Or une caresse est avant tout affaire de vitesse, et la métrique n’est rien si elle n’est pas désirante. Oui, le rythme est secousse. « L’invention du vers libre n’est pas seulement une libération métrique, c’est une libération sexuelle. » Se branler sous les ponts : c’est ainsi que Ginsberg définissait son art.
« La Cité de paroles », de Stéphane Bouquet, serait-elle une anthologie poétique déguisée ? On serait tenté de dire : oui, mais une anthologie secouée, prolongée, commentée, traversée
Cette idée, quasi communiste ou du moins foncièrement rimbaldienne, selon laquelle la poésie, pour changer la vie, doit en créer, l’ensemencer, Bouquet la porte à incandescence avec le renfort d’une fratrie de poètes : outre ceux qu’on a cités plus haut, ajoutez Constantin Cavafis, Lorca, Hart Crane, Luis Cernuda, Rimbaud, Jack Spicer, Frank O’Hara, Malherbe, Hölderlin, Rilke, Wallace Stevens, William Carlos Williams, Gertrude Stein, Charles Reznikoff, Ted Berrigan, E. E. Cummings, Paul Blackburn, Robert Creeley, James Schuyler, Baudelaire, Leopardi… Et là, vous vous demandez bien sûr : La Cité de paroles serait-elle une anthologie déguisée ? On serait tenté de dire : oui, mais une anthologie secouée, prolongée, commentée, traversée. Et surtout : millimétrée – profitons-en pour rappeler cette saine sentence du cinéaste Youssef Chahine : « L’orgasme est une question de millimètre. »
La précision est d’importance. Car Bouquet ne nous joue pas ici la sérénade des pulsions. Quand il aborde le poétique, c’est vers par vers – et de s’infiltrer dans les césures, de révéler les rejets, traduire et déplier. Ici, il expose la nuance pasolinienne entre le « rapide et sautillant » (le rythme de la bourgeoisie, l’argent jazzy) et le « tempo de la mélodie » (les ruelles de Rome). Là, il traque le retour du « r » dans la langue de Malherbe, l’obsession du « o » chez Cummings. Ailleurs, il interroge le lien entre argent et beauté. S’arrêtant chez Cesare Pavese, il teste haut et bas voltage : le poète isolé qui foule les nuées, ou le poète mâchant la vie commune. Partant de Gertrude Stein, il montre comment la danse, celle pensée par Martha Graham ou Merce Cunningham, a réinventé la poésie américaine : « Si le corps est le langage, et si la scène est la page, alors on comprendra qu’un poème américain est un poème démocratique et que le poème démocratique produit de l’égalité dans le langage et sur la page. » Profitant de Rilke, il ausculte la notion d’horizon, y pressentant une « intensification charnelle du présent ». Passages magnifiques, aussi, sur le « règne de la caresse » et le « bercement » chez Baudelaire…
Faire commerce, engager la conversation : en assignant au poétique ces deux rôles (pôles ?), Stéphane Bouquet démontre à quel point lui est chère ce qu’on pourrait appeler une « agoraphonie », chant de place publique, chant public, brassage sonore, ou comment troquer rythmes et images en un bordélique marché. Là encore, on a envie d’inventer un mot pour décrire l’acte d’animer l’espace poétique : populer. Peupler/copuler. Faire s’ébattre le petit peuple des mots. La « cité de paroles », selon Bouquet, n’est pas que paroles citées. Elle est vie et vivier. Car elle recèle ce qu’il appelle, dans un des plus beaux textes du recueil, une « cache de douceur ».
La Cité de paroles, de Stéphane Bouquet, Corti, « En lisant en écrivant », 216 p., 19 €.