Le Paradoxe de John, la pièce de Philippe Quesne qui se joue actuellement au Théâtre de la Bastille, semble redonner un sens nouveau à l'expression "pour la galerie", même si ici, ouf, il n'est pas question d' "épate", mais de "main à la pâte".
Oui, car dans cette pièce, au sens littéral, la scène est la galerie et la galerie la scène. Une galerie d'art, faut-il préciser, encore en travaux, en recherche, qu'une galeriste/gardienne du temple – le lieu était auparavant l'appartement d'un certain Serge où ce dernier donnait de mini-performances – a réagencé et ouvre aux bonnes volontés d'artistes invités. Cette galerie est alors investie par un trio, qui va s'en emparer, se saisir de tout ce qui s'y trouve (plus quelques accessoires qu'ils ont apportés), vite rejoints par un artiste en résidence. Ce dispositif va permettre à des matériaux d'être animés, façonnés, mis en scène, déplacés, détournés de leur usage, réinventés… Le collectif s'invente dans des gestuels, l'art s'invite dans l'aléatoire: créer comme on danse, marche, se couche…
Ce qui frappe dans la pièce de Quesne, outre l'infiltration de textes de Laura Vazquez qui défilent sur des écrans rectangulaires, c'est le parti pris de la douceur, de la fluidité. Si créer des formes est souvent associé à une idée de violence, ici c'est tout l'inverse, deux hommes et deux femmes créent des structures-moments dans un état mental et physique serein, où l'hésitation devient patience, le doute réflexion, le geste possibilité. Il ne s'agit pas, comme on s'en rend vite compte, de moquer l'art contemporain ou le monde des galeries – la part moqueuse est, subtilement, laissé à la charge du spectateur… –, mais de scénographier la naissance de formes: transformer un rectangle de lino en couverture (ou linceul) ou le plisser en stèle fracturée ; faire d'un amas de mousse figé une coiffe, une tunique, une sculpture; se mêler à des statues-spectres et s'oublier dans une danse cathartique; faire des fumigènes un brouillard-ami. Les gestes et les intentions entrent en danse, et peu importe l'œuvre achevée, on sait qu'elle n'est qu'une épiphanie d'un soir, éphémère en un lieu privé, son sens est en devenir, l'important étant ici de faire corps avec ce qu'on a, de devenir soi-même un élément connecté à un autre élément, et ce afin d'insuffler une vie autre à un tout: la galerie.
Finalement, à force d'instinct et de manipulation, de fantaisie et de douceur, d'imagination et de bienveillance, à force de contorsions et de grâce, au prix d'un ralenti qui vaut réflexion, quelque chose de neuf prend forme devant nous, auquel on est bien obligé de donner un nom nouveau. Ces scènes-créations qu'orchestre Quesne sous nos yeux, on pourra les appeler des "galerituels", tant quelque chose de possiblement chamanique semble ici à l'œuvre, ô combien en résonance avec la poésie de Laura Vazquez, qu'on sait friandes d'épiphanies.
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Le paradoxe de John, de Philippe Quesne
Théâtre de la Bastille (Paris)
20h30, les samedis à 18h /Relâche le dimanche / Durée 1h20
Avec Isabelle Angotti, Céleste Brunnquell, Marc Chevillon, Marc Susini, Veronika Vasilyeva-Rije

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