Dans l'incroyable Ma Mor est morte, paru en 2011, Paul de Brancion livrait un portrait crissant de sa mère, portait diffracté en trois langues, et qui fonctionnait redoutablement, les langues s'enchaînant tels de brûlants maillons, la parole apparaissant et disparaissant au gré de l'indicible, en un jeu de cache-cache qui n'était bien sûr pas un jeu mais la seule façon de dire le désamour en esquivant les coups que le sujet décochait encore du fond de la mémoire à celui qui écrit:
"Qui a prononcé les mots? Qui les a transcrits? Qui m'a donné la langue en quoi je me débats? Mor. C'est une lutte pour la survie où les mots sont seuls capables de délivrer. You know, when I sit un my writer's chair as close as possible to literary thruth. […] At skrive reddede mit liv redder mit liv avec ou sans lecteur."
Récemment, du même auteur, est sorti le non moins saisissant L'Ogre du Vaterland, où cette fois-ci Paul de Brancion tente la mise au tombeau du père. Cette fois-ci, la langue est française de part en part, et seul le "je" s'avance sous les oripeaux d'un "Ich". Mais le ressentiment est le même, l'effroi légué par le vécu troué aussi virulent. Les chapitres, qui plus est, se doublent sur la fin d'un "bris" de conte, quelques lignes arrachées à Cendrillon, au Chat botté, Griselidis, Le Petit Poucet, des lignes qui viennent suturer la plaie des aveux.
La description des parents, par exemple, qui forment "une paire capable de torsions", s'achève par ces mots:
"Car cet Ogre ne laissait pas d'être fort bon mari, quoiqu'il mangeât les petits enfants". (Le Petit Poucet)
Paul de Brancion décrit le père abhorré comme une bête étrange et inaccessible, il en détaille les travers, le tenant à distance tout en tournant autour, sans fascination, en déplorant sa désaffection. Et même si "parler de lui me navre", même si "le Léon Jacques ne me dit rien qui vaille, me crétinise", l'auteur n'a d'autre solution que de sismographier les dits et actes de ce géniteur, d'ajouter pierre à pierre les attitudes qui en firent une menace latente. Histoires d'argent, de mariage arrangé, de compromis dilués dans l'indifférence: genèse d'une violence sourde, où pour survivre il faut se déguiser en brouillard. Le père "appelle le scalpel", et cette "remontrance vivante" qu'est le fils aux yeux de l'Ogre du Vaterland parvient à faire mieux que tuer le père: il l'enferme dans le cercueil d'une langue sienne. Ici, la sincérité et l'intime ont été conquis de haute lutte, phrase à phrase, au prix d'une réévaluation des affects. Reste à savoir si l'on peut, comme dans Griselidis, conclure par ces mots :
"Aimons donc sa rigueur utilement cruelleOn n'est heureux qu'autant qu'on a souffert."
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Paul de Brancion, L'Ogre du Vaterland, éditions Bruno Doucey, 14€50
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Paul de Brancion, Ma Mor est morte, éditions Bruno Doucey, 14€
superbes livres et très belle et intelligente critique qui donne envie de lire
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