Autrefois, on traduisait assez
librement. On adaptait, par égard pour la langue d’arrivée, peut-être, ou pour
ne pas trop déranger le lecteur. On ne prenait guère de gants. Les noms des
personnages, on les changeait sans hésiter. Les allusions, les références,
souvent on les sautait, comme des haies guère hautes (des héguerrothes ?)
mais néanmoins gênantes. On changeait le titre, aussi. On omettait
volontairement des passages. Bref, on prenait ses aises avec et dans le texte,
comme si ce qui aujourd’hui nous paraît une incroyable trahison était alors une
manière décontractée mais nullement hostile d’aider le texte à revivre dans une
autre langue. Traduire équivalait alors plus ou moins à « reprendre »,
non à « restituer ». On reprenait le fil et on cousait comme ça
venait.
Les choses ont changé. Aujourd’hui,
peut-être parce que nous vivons depuis un bon moment à l’ère de la reproduction
instantanée, on respecte scrupuleusement le texte. On ne s’en écarte plus. Tout écart serait perçu
comme une faute : soit d’inattention – or l’incompétence tend à être
bannie dans ce domaine –, soit d’ordre éthique, reflétant un mépris du texte
original. On est désormais scrupuleux, et sans doute aurait-on aurait des
scrupules à ne pas l’être. On est fidèle. C’est-à-dire qu’on applique à tous
les textes une rigueur certaine, même si tous les textes n’ont pas bénéficié d’une
rigueur aussi rigoureuse.
Pourtant, de même que dans l’histoire
de la littérature on peut parfois observer, parallèlement (?) à un mouvement
traditionnel ce qu’on appelle en général une avant-garde, de même n
pourrait être en droit d’attendre de la traduction qu’elle invente, qu’elle
innove, bref, on pourrait fort bien désirer une traduction d’avant-garde – qui
à sa façon viendrait renouer avec la traduction soi-disant décontractée d’antan,
mais motivée, peut-on l’imaginer, par des ambitions plus rebelles. Que
pourrait-être une traduction avant-gardiste ? Prenons un exemple :
Les grandes épopées homériques ont bien été traduites en prose, alors pourquoi
ne traduirait-on pas certains romans en vers, même libres ? Mais
bizarrement, les traducteurs, même quand ils sont écrivains (et ils sont
nombreux à être les deux), ne se lancent que rarement dans ces entreprises
périlleuses. Quel éditeur accepterait en effet de les suivre ?
Il n’en reste pas moins qu’on
touche là un point sensible. A de très rares exceptions (Beckett, Perec, une
poignée, vraiment), le traducteur n’ose imaginer que son geste puisse faire
œuvre – comme si l’insoumission pourtant tangible dans les grandes œuvres ne
devait en aucun cas transpirer dans l’acte de traduire. Il n’y a sans doute qu’en
poésie qu’on admet des « écarts », des « partis pris »
radicaux, d’innovantes solutions. Bref, la traduction n’est pas considérée,
sans doute à juste titre, comme un genre littéraire ; on n’attend donc pas
d’elle qu’elle effraie la langue.
Il est vrai qu’une traduction
expérimentale aurait de quoi déstabiliser le lectorat. Mais si tel est le cas,
je pose cette question : n’en serait-elle pas d’autant plus souhaitable ?
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Réflexion à la fois subtile, audacieuse et ouvrant des pistes qui,à coup sûr, mèneront loin, sur un sujet des plus importants, et qui le sera encore davantage à l'avenir...
RépondreSupprimerdommage que le post d'andré ne soit pas traduit
SupprimerJ'avoue, cher "Jean-Louis", ne pas avoir très bien compris: de quel post s'agit-il? traduit comment? pourquoi? en quelle mystérieuse langue?
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