L’essai de Philippe
Vilain, La littérature sans idéal,
est tout à fait passionnant, tant par l’incurie de ses thèses que par l’arrogance
de ses conclusions. Précisons pour ceux qui ont du temps à perdre que le sujet
de son livre est le « désenchantement de la littérature française
contemporaine ». Oui, la LFC n’est plus « enchantée » —
d’ailleurs, si jamais vous la croisez, vous verrez, elle ne vous tendra pas la
main en disant : Enchantée ! Non, elle sera trop occupée à tweeter,
sans doute. Mais trêve de plaisanterie.
De quoi s’agit-il ? Quid de ce désenchantage ? Là (ou
plutôt : las), j’aimerais tant suivre Vilain dans son constat
prudhommesque, quand il dit :
« Dès lors qu’elle n’éprouve plus la nécessité de faire de la langue son enjeu, la littérature triche et ment sur son statut propre, elle abuse le lecteur par une promesse littéraire qu’elle se sait incapable de tenir […]. »
Faire de la langue un enjeu, ça, je comprends. Mais à force de parler de
la « littérature » comme d’une entité, on finit par croire qu’elle
est entière, ou plutôt l’était, car, voyez-vous, désormais, de
« faux » écrivains se sont introduits dans ses murs, « [semant]
la confusion dans l’esprit du lecteur » qui ne reconnaît plus alors
« le bon grain de l’ivraie ».
Que s’est-il passé ? Eh bien la littérature a subi deux rudes
attaques : d’abord Céline, qui a rendu possible une écriture oralisante,
pour ne pas dire relax, relaxante (et qui a fait passer Proust pour un
réac) ; ensuite les Américains (ou l’argent ?), dont le roman décomplexé
a introduit la mondialisation dans l’écriture et favorisé une
« « rhétorique standardisée ». Bref, la littérature, aux yeux de
Vilain, s’est « castrée à force de se conformer à une production
commerciale convenue ». Elle
a subi un « nivellement militaire » qui a « [rasé] le crâne de
toute singularité ». Ouch. Sans couilles ni tif, la voilà perdue, tel un
bidasse eunuque.
Bon, je pourrais passer en revue les nombreuses thèses que Vilain retourne
sur sa page comme autant de pâtés issus de moules en plastique rouges et bleus,
mais à quoi bon. Il les façonne avec une rhétorique si éprouvée qu’on pourrait
presque les croire résistantes à l’eau, mais à peine tente-t-on de s’en saisir
que — scchhouffff, le sable soi-disant conceptuel vous coule entre les mains.
L’écrivain contemporain, selon saint Vilain, fait fi des modèles. Il a
rompu avec les anciens et fraye avec l’immédiat. Il a renoncé à l’idéal (=le
style) par peur du comparatif. D’ailleurs, Vilain donne plein d’exemples allant
dans l’autre sens. Hum. Au lieu de prendre Voltaire comme modèle, l’écrivain
préfère les people — comme Moix, par exemple, qui s’occupe de Claude François – sauf que bon, le chanteur
est le sujet de Moix, pas son référent, donc on ne comprend pas bien. Et
Beigbeder ? N’est-ce pas risqué de parler du 11 septembre juste après les
événements ? « La proximité temporelle » n’est « pas sans
danger », nous dit Vilain. C’est vrai que Voltaire n’était pas du genre à
réagir au quart de tour (tiens, un tremblement de terre ! ouh-là, attendons
encore cinq minutes avant d’en causer).
Mais non, c’est foutu. La littérature est désormais fascinée par le
déclin, la chute. Allons bon. Heureusement que Balzac ne raconte que des
ascensions, et Hugo que des consécrations… Il faut dit que « le sens s’est
dilué dans le karaoké du monde ». La formule est jolie, et si votre
guéridon est bancal, je pense qu’elle pourra servir.
Passons surtout sur la typologie de l’écrivain à laquelle se livre
Vilain :
1/ le pro : il a fait
des études et il ne fait qu’écrire, tant mieux pour lui, c’est qu’il en a les
moyens, ou est à l’Académie, mais il ne s’abaisse pas à l’intermittence ;
2/ le semi-pro : il
fait plutôt ça pour vivre, souvent il bosse dans l’édition, ce grigou ; il
se répartit en :
2.1 l’écrivain médiatique (il est rusé et bien
coiffé)
&
2.2 l’écrivain auto-institué (il squatte les
réseaux) ;
3/ L’écrivain d’obédience
(là, on ne comprend ce que c’est, mais c’est pas grave).
Passons également sur la distinction entre critique légitime (la presse papier) et critique illégitime (en gros, les blogs). La critique légitime se remettra-t-elle de ses hordes de
e-critiques amateurs qui ne font que diffuser de l’opinion ? Pas sûr. Mais il faut dire que la critique
légitime n’a pas de chance : elle subit des pressions économiques. On lui
a réduit son espace d’expression, du coup elle est parfois obligée de
schématiser. Mais au moins elle est légitime. Alors que sur internet, ils sont
jaloux, c’est la démocratie qui rame et veut la tête du capitaine. Electronique
ta mère, hein.
Quoi d’autre encore ? Ah oui. La notion de valeur littéraire.
Vilain voudrait – même s’il sait que ce n’est pas très réaliste – qu’il existe
– idéalement… – en librairie un rayon « littérature littéraire » et
un autre intitulé « littérature de consommation ». On ne sait pas si
ce sont les auteurs ou les éditeurs qui décideront où que c’est qu’il vaut
mieux être rangé, mon brave monsieur. Il faudra aussi prouver qu’on fait de la
langue un enjeu, et pas seulement économique ou médiatique.
Bon, en fait, j’aurais pu m’abstenir d’écrire ce billet et commencer
par le commencement. Oui, car le vrai hic dans tout ça, c’est le corpus dont se
préoccupe Vilain. Son corpus (la fameuse LFC), il le circonscrit d’emblée et de
façon assez rédhibitoire, et qui plus est en note de bas de page! Oui, à la
page 13, il nous dit sans ambages ceci :
« on pourra discuter […] ma position de prendre en otage, sous l’appellation ‘littérature contemporaine’, la littérature la plus médiatisée, la plus primée, la plus vendue aussi, au détriment d’une autre, minoritaire et moins représentée ; mais c’est aussi que cette dernière, sans doute amenée à disparaître, joue un rôle secondaire dans le paysage, et, surtout, qu’elle ne pourrait économiquement pas subsister sans la première qui, si l’on peut dire, la subventionne […]. »
Les baleines qui nourrissent les goujons : on connaît la chanson.
Et en plus les goujons vont disparaître. Mince alors. Et les petits éditeurs
qui publient des auteurs exigeants, ils sont « subventionnés » par
les gros éditeurs qui publient des auteurs faciles ?
On se demande bien comment Vilain peut penser une seule seconde déployer
ne serait-ce que l’ombre du poil du cul d’une pensée, non seulement en prenant
pour corpus « les plus primés », les « plus vendus », mais
en noyant sans cesse le poisson, en se raccrochant aux vieilles branches
moisies de la « valeur littéraire », de l’idéal littéraire, qui plus
est en ne citant aucun auteur « mineur ». Guyotat est-il mineur ?
On ne sait pas. Vilain préfère citer, comme « voix singulières »,
Nobécourt, Edouard Louis, Carrère, Liberati, Millet, Pancrazi…
Bref, le style est un idéal. Ergo,
pas d’idéal = pas de style, et partant, pas de style= pas de littérature.
Vilain parvient à penser comme Jourdain à proser. Sauf que je soupçonne Vilain
de le faire exprès.
_____________
Philippe Vilain, La littérature
sans idéal, Grasset, 16 euros.
Merci, j'ai bien ri. Et j'avais failli lire cette "Littérature sans idéal". J'irai probablement chercher ailleurs l'idéal introuvable.
RépondreSupprimerCe petit Vilain a beau "jouer" sur les mots ; aucune confusion possible avec "La littérature sans estomac" de Pierre Jourde...
RépondreSupprimerCe Vilain essaie de jouer sur les mots, mais AUCUNE confusion possible avec "La littérature sans estomac" de Pierre Jourde !
RépondreSupprimer
RépondreSupprimerOlivier Cadiot, Histoire de la littérature récente, POL, 2016, 186 p.(apprendre à écrire en lisant)
, Deux cents et quelques commencements ou exercices d’écriture ou de lecture amusants, le manifeste sans ambages : Dans quelle mesure l’écrivain lit-il en écrivant et le lecteur écrit-il en lisant?,
Marc Cholodenko
Hubert Haddad
Le Nouveau Magasin d’écriture
Ah, merci Claro ! Cette confusion insupportable que Vilain fait, "Littérature" au lieu de parler, au minimum, de "Une certaine édition", et ses listes aberrantes de rapprochements douteux pour étayer ses arguments… !
RépondreSupprimer