Vie et mort du coussin
Sous la tête grasse, pesante : sa boursouflure — qu’on
imagine peuplée d’innombrables lombrics, tous engendrés par la crasse d’autrui,
d’où cette impression qu’un instant de répit accouchera d’une éternité de
purulence. Qui peut croire qu’en tapant du plat bête de la main une matière
molle, sa texture couarde, on peut lui redonner vie et amplitude, dignité et
confort ? Depuis longtemps tu as renoncé à voir en cette dalle
hypocritement moelleuse le réhausseur de tes basses pensées, et pourtant c’est
à lui – au coussin qui est de jour comme à l’oreiller qui est de nuit – que tu
confies la lente et invisible dévoration de ce qui se passe derrière ta tête. Allons, repose-toi,
laisse aller à sa guise le sang dans tes membres rompus par l’agitation ou
l’inaction – causes différentes, effets semblables : entends le chant de
la gangrène ! –, ferme ces yeux qui ne savent plus voir que le contour
décalé des choses, oublie ce qui t’attend et imite quelques minutes ce mort
dont tu as usurpé la vie. La chaleur de l’inanimé – née dans des entrailles de
plumes, dans ce nid ennemi – va se diffusant à travers la taie niaise et rêche,
puis gagne ta nuque qu’elle abrutit, mouille tes cheveux en algues et s’attaque
alors à la peau inconnue, la peau imparfaitement tendue sur ton crâne. Un
échange de fluides se produit, doit nécessairement se produire puisqu’au sortir
de la sieste, ta tête est devenu, quoi ? coussin confus, et le coussin,
quoi encore ? crâne écrasé.
— Extrait de La nature des choses (à paraître)
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