Du fait des massacres survenus récemment à Paris, et suite à l'état d'urgence décrété dans tout le pays, le Clavier Cannibale ne voit aucune raison de cesser ses activités. Corollaire: La littérature n'est pas menacée: la littérature est une menace.
Entre les lignes : cette
expression, Geneviève Peigné, l’auteure de L’interlocutrice,
l’a posée un jour à sa mère, mais elle ne pouvait se douter qu’elle en aurait
un jour une explication éclatée, improbable — « vibratoire ». C’est
pourtant ce qui s’est produit le jour où, passant en revue les affaires de sa
mère, décédée après plusieurs années sous le joug cruel d’un Alzheimer, elle
s’aperçoit que les livres que lisait sa mère, des romans policiers parus aux
éditions du Masque – 23 au total, même s’il y en eu plus – portent en eux,
entre leurs lignes, des notations manuscrites. Odette – la mère de l’auteur –
sentant la mémoire et le langage lui échapper, se servait de ces récits
populaires pour laisser des traces, recourant aux mots des autres, qu’elle
commente, souligne, auxquels elle répond aussi, afin de continuer à exister
autrement, d’insister en secret.
L’interlocutrice est d’abord le
livre d’improbables retrouvailles,
celles, posthumes, entre la
fille et la mère à travers le legs de tiers livres :
« La fille est transportée de joie. Elle va la retrouver – Odette. La comprendre. Elle va vivre avec elle de ce corps nourricier qui est celui de la lecture. C’est le legs. La découverte laissée à votre intention au fond d’un coffre. Comme dans les contes de fées. Certes de quoi exulter. »
Bien sûr, le legs est douleur,
même s’il demeure présence. Et il y a toujours le risque d’enfermer la personne
disparue dans « le miroir des livres ». Mais les mots laissés par
Odette ne font pas que signaler, faiblement, la persistance d’une conscience
amoindrie, tordue, ils fondent aussi, malgré eux (?), une poétique dont
sa fille doit rendre compte et
laquelle, par ce livre, elle rend justice. Et si la lecture mêlée des
textes d’Exbrayat, Agatha Christie où s’interpose la voix d’Odette, révèle un
« tel charroi de peines », on y sent physiquement, aussi, la force
d’une femme cherchant, en secret, à dialoguer avec le langage, profitant in
extremis du « tourniquet des significations, des intuitions, des
presciences », ainsi que l’exprime admirablement Geneviève Peigné, qui
finit par dire ceci à propos des mots qu’écrit sa mère :
« C’est calciné et clair. »
Et l’auteure finalement de
redoubler le geste maternel en s’immisçant à son tour dans les pages
commentées, afin d’ajouter épaisseur et empathie à cette tresse interrompue.
Parlant des livres retrouvés, Geneviève Peigné dit « les livres écrits par
Odette ». D’une certaine façon, celle-ci continue d’écrire dans les livres
cette fois-ci de sa fille, non par le sec artifice de la citation mais sous l’emprise
d’un flux plus puissant, et dont seule la lecture – en tant que dialogue décalé
– peut rendre compte.
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Geneviève Peigné, L’interlocutrice,
Le Nouvel Attila, 16 €
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