[Pendant l'été, le Clavier
fouille dans ses archives et vous ressort des posts anciens, parce
qu'on ne sait jamais. Aujourd'hui, ce post du 26 août 2012…]
On me reproche parfois, dans mon traitement de la chose littéraire, de me livrer à des jugements à l’emporte-pièce, à des critiques gratuites, voire de céder au quolibet au détriment de l’analyse rigoureuse, et je dois bien avouer qu’il y a une part de vrai là-dedans, tant la tentation de railler plutôt que de décortiquer est grande. Il urgeait donc de renoncer à la facilité des moqueries pour s’engager sur l’ardu sentier de la critique argumentée (mais bon, faudrait pas non plus que ça devienne une habitude, hein).
Nous allons donc nous pencher vaillamment sur un petit bijou mal ciselé, une œuvrette modeste par la taille quoiqu’ambitieuse par le propos, je veux parler du nouveau roman de Florian Zeller, La Jouissance, sous-titré non sans panache « un roman européen ». Nous passerons assez rapidement sur l’histoire narrée, cette dernière étant visiblement calquée sur deux millions de livres déjà existants. Jugez par vous-même : Nicolas et Pauline se rencontrent, s’aiment, emménagent, conçoivent, déménagent, s’engueulent, se trompent, accouchent, se quittent. La banale orthodoxie du propos ne doit pas cependant nous amener à rejeter ce livre. Il ne s’agit là que d’une trame, usée, certes, voire patinée, mais bon, la littérature en a vu d’autre. Afin de pallier le rachitisme diégétique de son histoire, Florian Zeller double celui-ci d’une réflexion audacieuse sur la construction de l’Europe. Il va s’agir en effet d’établir un parallèle entre l’évolution du couple Pauline-Nicolas et les nations européennes. Au prix d’une alternance un peu artificielle, certes, mais qui ici passe pour un trait de génie, les chapitres vont donc imposer au lecteur une valse à deux temps, le faire passer d’un récit dénué du moindre intérêt à des réflexions dépourvues de la moindre profondeur. Le calvaire, on le voit, est donc dédoublé. Car le procédé, qui ne procède que d’une intuition puérile – comme les pays, nous sommes en crise… –, est purement mécanique et ne laisse au roman de Zeller pas d’autre issue que le plantage souverain. Mais n’ayons pas la dent trop dure : la chair entamée est bien assez filandreuse comme ça. Etudions plutôt les divers éléments de ce roman qui en font un possible équivalent littéraire du cultissime navet de BHL, Le Jour et la Nuit.
Tout d’abord, les personnages. Nicolas est scénariste (un peu comme Zeller est romancier), Pauline travaille dans le cosmétique (elle évolue donc dans la sphère des apparences). Bref, il crée (sans succès), elle maquille (sans panache). A quoi ressemblent-ils ? On ne le sait pas, car Zeller est assez avare en description, ce qu’on aurait mauvaise grâce de lui reprocher, les subtilités physionomiques étant vraisemblablement des vieilles lunes. On sait seulement qu’ils ont la trentaine et vivent en ville. Là, premier problème. On l’a dit, il s’agit un « roman européen ». Donc, chaque fois qu’une ville (ou un nom propre) est mentionnée figure aussitôt entre parenthèses le pays correspondant. Exemple : « une rétrospective de Bergman (Suède) » [p. 28] ; « Beethoven (Autriche) a une œuvre quantitativement très importante » [p.30]. Les cas similaires abondent (et finissent par créer un effet assez scolaire et risible, mais n’insistons pas). En revanche, on omet de préciser au lecteur dans quelle ville française habite le jeune couple. On sait juste au début que Pauline habite dans un « petit appartement de la rue des Tournelles ». Paris n’est pas mentionné. Cela doit aller de soi. Plus tard, il sera question de Montparnasse, de Chaillot et de La Rotonde. Ouf. La rue des Tournelles était donc bien à Paris (France). On en aurait dû s’en douter (Evidence).
Mais revenons à Nicolas et Pimprenelle, euh, pardon, Pauline. Nous aimerions tant arriver à nous en faire une image mentale. La chose est heureusement possible, non pas grâce au talent descriptif de Zeller (qui ne sait ni dessiner ni colorier) mais grâce à son sens incroyablement nuancé de la didascalie. En effet, au fil des pages et des sentiments, le lecteur peut assister aux diverses expressions qui empruntent les visages des deux protagonistes. Il s’agit essentiellement– non : uniquement – d’airs et de sourires. Pauline et Nicolas tiennent des propos (comme d’autres tiennent une pelle à tarte) mais toujours en adoptant un air ou un sourire particuliers, afin qu’on puisse mieux se les représenter et surtout sentir la couleur précise du propos qu’ils (telle une pelle à tarte) tiennent. Donc, dans l’ordre, nous avons, et ce exhaustivement : un « petit air ironique » (p.13), « un sourire faussement surpris » (p.16), « un air sombre » (p.29), une « humeur sombre » (p. 29 + p. 173), un « petit sourire ironique » (p. 54), un « sourire faussement surpris » (p. 63), un « sourire embarrassé » (p. 72), un « sourire tendre » (p. 75), un « sourire amusé mais perplexe » (p. 76), un « sourire muet » (p. 120 – et là je demanderai au lecteur un tant soit peu doué de bien vouloir tenter d’exécuter ce « sourire muet » devant le miroir…), un « faux air sérieux » (p. 163), un « sourire teinté d’inquiétude » (p. 164), un « sourire appuyé » (p. 177) et enfin un « air étonné » (p. 202). On déplorera l’absence de « l’air tendre et souriant mais faussement embarrassé », qui aurait permis de conclure en beauté.
Je veux bien que Florian Zeller aime le théâtre de boulevard, pour lequel il écrit régulièrement des pensums teintés d’inquiétude, mais croit-il vraiment qu’il existe des lecteurs-acteurs suffisamment acrobates pour se livrer à pareille gymnastique du front et des zygomatiques ? Enfin bon, il y a sans doute une raison à ce nuancier. C’est peut-être une façon de nous faire comprendre que, l’air de rien, ce roman traite du vide. Mais laissons-là ces pantins aux rictus alambiqués et penchons-nous sur le fond, pour ne pas dire l’abîme.
Le roman de Zeller, ainsi que nous l’avons expliqué, est avant tout un ouvrage à visée comparative, un travail de réflexion sur l’histoire et la politique européennes, sur la société contemporaine et ses inexorables évolutions. Le lecteur aura donc droit à des considérations profondes, ce que j’appellerai ici des « pensées parachutes » (PP), lesquelles permettent au récit de ne pas s’écraser trop brutalement sur le terrain de sa propre inanité. Le problème, c’est qu’il n’est pas sûr que lesdits parachutes s’ouvrent vraiment (ni à temps). Zeller a bien quelques idées sur le monde d’aujourd’hui (et d’hier) mais, comment dire ? ses PP ressemblent étrangement à des champignons : plus on est au ras des pâquerettes, plus on en voit. Qu’on en juge d’après le florilège, hélas quasi exhaustif là aussi, que voici :
• (sur la vie) — « Nicolas va mourir un jour, et ce jour approche inexorablement » p. 11 (on retrouve d’ailleurs cette fulgurance dans le précédent livre de Foenkinos)
• (sur la vie, bis) — « Mais tout homme a ses faiblesses » p.12 (on suppose que cette découverte explique en partie le besoin qu’a eu Zeller d’écrire ce livre)
• (sur la rencontre amoureuse) — « les explications purement chimiques [des] sentiments [ne suffisent pas] à expliquer une rencontre. Un accord plus profond est nécessaire. » p. 26 (il me semble avoir déjà lu cette phrase dans un numéro d’octobre 2006 de Biba…)
• (sur l’enfance) — « Cette étrange maladie qu’on appelle l’enfance » p. 27. Ici, le lecteur aura reconnu, différemment assaisonné, la grande phrase de l’immense poète Jean Ferrat : « L’enfance est une maladie dont on ne guérit jamais »).
• (sur la guerre) — « ‘Verdun’, ce seul mot fait frémir d’horreur. C’est une des batailles les plus inhumaines auxquelles on se soit livré. » p. 61 — la pertinence du propos laisse songeur, mais il est tellement frappé du sceau du bon sens qu’il perd un peu de sa puissance visionnaire…
• (sur les téléphones portables) — « Le monde a radicalement changé à partir du moment où les gens se sont équipé en téléphones portables » P. 98, commentaire assorti de la non moins percutante conclusion : « Le XXIème siècle n’a pas commencé le 11 septembre 2001, comme on l’entend souvent dire et comme les livres d’histoire le suggéreront probablement, mais au moment précis où, les uns après les autres, nous sommes entrés dans un magasin de téléphonie pour acheter notre premier portable. » p. 99 (et là, on a envie de dire : « Sturm und dring ! », mais bon…)
• (sur le religieux) — « une cathédrale se visite comme on visiterait un temple grec ou une pyramide égyptienne : ce n’était plus un lieu de culte, mais un lieu de visite » p. 129-130 (du coup, on comprend mieux l’essor du religieux dans les pays autres que la Grèce et l’Egypte…)
• (sur le parallèle Histoire/Individu) — « De même que l’Histoire d’un pays est jalonnée de dates censées nous renvoyer à des événements déterminants de son évolution, celle d’un individu est une route jalonnée de bornes socialement identifiables qui permettent de situer cet individu dans sa propre histoire. » (Vous commenterez ce propos en vous appuyant sur des exemples précis tirés de l’histoire européenne ou de votre propre expérience, vous avez quarante-cinq minutes.)
• (sur le relativisme des valeurs) — « comment savoir dans notre vie d’aujourd’hui ce qui demain nous semblera sans importance, insignifiant, et peut-être même digne d’être oublié ? » p. 156 (Eh bien la réponse est simple, pour une fois : il suffit de lire le roman de Zeller.)
• (sur la vie en général) — « ‘La vie est tellement courte’, se surprend-il à dire à voix haute. » p. 157 — On aura bien sûr repéré ici une allusion en creux au célèbre vers de TS Eliot, « life is very long ». A moins qu’il s’agisse d’une citation déguisée d’un propos de Jean-Pierre Pernaud.
• (sur Hitler sauvé de la noyade l’âge de quatre ans par un certain Johann Kuehberger) — « Que se serait-il passé si l’enfant avait péri ce jour-là ? L’Europe aurait probablement connu un destin moins tragique. » (Là, je pense qu’on atteint des sommets de clairvoyance historique que rien ne saurait dépasser, et j’engage le lecteur à customiser cette déduction ô combien perspicace en remplaçant le nom de Hitler par un autre de son choix : Napoléon, Staline, etc…)
On s’en rend compte à la lecture des exemples susmentionnés, Zeller n’est pas à proprement parler un penseur de premier plan. Il doit s’en douter un petit peu, car il émaille son texte d’anecdotes concernant des figures littéraires ou artistiques, persuadé qu’en citant Cioran ou Breton, il parviendra, à force de botox citationnel, à étoffer un peu les formes anorexiques de son roman. Nous aurons ainsi droit à des apparitions de Sartre, Breton, Leiris, Ionesco, Littell, Godard, Kubrick et Beethoven. Eh oui, comme dans toute dissertation en trois parties qui se respecte, on est tenu de donner des exemples et d’y aller de quelques propos rapportés. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir quel usage Zeller fait de ces créateurs mais je peux déjà lui révéler qu’il apprendra que Beethoven était sourd et que Ionesco était tragique.
Parvenu à ce stade de l’analyse, on peine à convaincre le lecteur qu’il peut y avoir une raison de perdre son temps à ouvrir le livre de Florian Zeller, si ce n’est pour se taper sur les cuisses de rire. On se dit que, peut-être, l’inanité du propos (un couple merde) et le crétinisme de la démonstration (l’Europe merde aussi) seront rachetés par l’inventivité de l’écriture. Hélas, comme on l’a déjà subodoré, Zeller n’est pas à proprement parler un styliste d’exception. Il succombe rarement au pouvoir de « l’image » (sans doute une vieille lune, là aussi) et quand il le fait, ma foi, voilà ce que ça donne (je précise qu’on trouvera ci-après la quasi intégralité des tentatives de Zeller en matière d’image ou de métaphore) :
• « pris dans les filets de l’émotion » p. 25
• « chaque être, à la façon d’une mauvaise herbe, pousse comme il peut et, bien souvent, dans le désordre » (les lecteurs ayant réussi à visualiser une herbe qui pousse dans le désordre doivent impérativement subir un test de dépistage afin de vérifier qu’ils n’ont pas ingéré de psilocybine…)
• « le silence assourdissant » (p. 47) (faut-il commenter ? je ne le crois pas…)
• « le manteau gris du boulevard Montparnasse » (p. 63) — voilà une image qui nous rappelle que Maurice Carême is not dead
• « Mais à peine a-t-il franchi la porte que les pleurs reviennent comme un torrent inépuisable » p. 204 (image qui, bizarrement, en suscite une autre : celle d’une chasse qu’on tire…)
• « forçant le coffre de ses paupières », p. 117 — Zeller a dû rêver à un moment d’embrasser la carrière d’ophtalmo cambrioleur.
et enfin :
• « sa peau est douce comme un peu de soleil dans l’eau froide » (cette figure de style doit avoir un nom, mais il nous échappe pour l’heure, comme un goujon entre des mains d’huile)
Finalement, on se dit qu’il vaut mieux que Zeller ne s’essaie pas trop à l’image. D’autant plus que quand il le fait en parlant de choses sexuelles (cf . l’inénarrable sodomie des pages 32-33), ça donne ça :
« Jusque-là, malgré l’attirance qu’il avait pour ce petit cercle rosé, il ne s’en était pas vraiment approché. […] Le petit orifice brillait comme une étoile noire. » (Bon, là, je pense que Zeller a eu un problème de palette, et qu’il s’est un peu emmêlé les pinceaux avec les couleurs, mais n’enculons pas les mouches. Le style a ses raisons que la raison ne connaît pas, comme disait Zarathoustra ou Pierre Perret.
Le style ? Parlons-en. On trouvera, sans trop se pencher, une « ambiance électrique », des « pulsions meurtrières ». On verra son personnage « reste[r] songeur un long moment » ou avoir le « souffle rauque », et sentir même « le vent de l’aventure soufflant partout autour d’elle ». On assistera même à une scène étrange, comme lorsque son personnage « se lève du café » (buvait-il la tasse ?). Ne lui jetons pas la pierre, l’éponge suffira. Il faut bien que les lieux communs puissent s’égailler quelque part. Mais il arrive également que Zeller oublie de se relire et nous offre des perles, comme celles-ci :
« elle a l’impression qu’elle va pouvoir […] retoucher au frisson de la première fois et achever enfin de se souvenir » p. 55
ou encore :
« Nicolas lui promet qu’il ne s’est rien passé et qu’elle doit d’abord l’écouter avant de tout de suite partir dans des interprétations tendancieuses » p. 100 (Ouch ! il lui promet qu’elle doit l’écouter ? Mazette…)
ou le pompon :
« Si nous pouvions à cet instant nous faufiler sous ses paupières, nous entendrions sûrement […] ces mêmes questions. » p. 183 – là encore, le spectre de l’ophtalmo cambrioleur rôde…
Mais s’il fallait vraiment mettre le doigt sur la blessure du bât, c’est dans la spécificité même du texte de Zeller que nous devrions la chercher, à savoir le mode interrogatif. En effet, voici un roman qui fonctionne essentiellement sur la question. Malgré ses chétives deux cents pages, le texte comptabilise près de quatre cent quinze questions. Certaines figurent il est vrai, de façon assez naturelle, dans les dialogues. Il est après tout normal qu’un personnage pose une question quand il s’adresse à un autre personnage. Mais bon, là, ça prend des proportions inquiétantes, puisque chacun répond à une question par une autre question. D’autant plus que les questions volent aussi bas que des hirondelles n’ayant jamais entendu parler du printemps. Exemple :
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je veux dire que les ennuis commencent souvent au moment où il y a de l’argent. Tu ne crois pas ? »
Et, trois lignes plus loin :
« L’amour ? Quel est le rapport ?
– Le rapport, c’est que […], tu ne crois pas ? »
Ou encore, p.65 :
« Tu ne crois pas en l’amour ? C’est triste…
– Pourquoi ? »
Ou, pire, p. 71 :
« Tu crois que les hommes pensent comme ça ?
– Tu ne crois pas, toi ? »
[…]
– Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
– Moi ? »
Mais aussi :
« Quelque chose ne va pas ?
– A ton avis ? »
Et :
« Ah bon ? Du genre ?
– Tu veux voir ? »
S’il n’y avait que ce perpétuel dialogue de sourds, passe encore, mais chez Zeller la question est omniprésente, on la trouve à tous les niveaux : existentiel, narrative, historique, etc. Quatre cents quinze points d’interrogation, comme autant d’hameçons échoués dans le désert du récit… et bien souvent (ne nous plaignons pas) sans réponses, comme si à chaque page l’auteur, comprenant qu’il n’a rien à dire, s’ingéniait à dégager des énigmes, des problématiques et des interrogations (sans intérêt, hélas), une façon sans doute subtile (ah ah ah) d’entamer le dialogue avec le lecteur – ce qu’on appelle, en littérature et dans les rafles : interpeller. Genre : je me pose des questions que peut-être vous avez oublié de vous poser. Ensemble interrogeons-nous. Essayons d’aller plus loin que le nulle part.
Cet acharnement contrapuntique à sauver n’importe quel énoncé par une dosette interrogative est si systématique et débilitant qu’il en devient stupéfiant. Mais il n’y a pas que les personnages pour se poser en permanence des questions, il y a aussi l’auteur, qui intervient régulièrement pour nous faire part de ses lumineuses perplexités quant à l’histoire de l’humanité. Un auteur qui dit « je » dès que ses « il » et « elle » pédalent dans la choucroute. Un auteur qui se permet, en outre (et ici « en outre » est à prendre au sens littéral concret), des commentaires, y va de ses appréciations sur ses personnages ou sur tel ou tel propos tenu par une des sommités racolées : « Je les trouve beaux » (p. 41) ; « J’adore ce petit mot » (p. 43) ; « Je trouve cette association merveilleuse » (p. 127), « J’aime l’idée que l’on puisse dire (…) » (p. 131). A ce niveau de fausse candeur et de franche ineptie, le lecteur reste pantois, et assiste éberlué à la scène finale qui voit l’auteur suivre des yeux son personnage qui s’éloigne sur un boulevard !
Mais c’est très certainement à la fin du livre, dans la pénultième page, que l’auteur, conscient de son immense foirage, y va de son petit couplet confessionnel, lâchant comme sans le faire exprès, dirait-on, cet aveu sans doute truqué :
« Mais je ne sais plus très bien ce que je raconte ; des images se succèdent dans ma tête, elles se superposent les unes aux autres et finissent ensemble par composer une petite symphonie bizarre dont je ne maîtrise plus ni le tempo ni le thème final. »
Une petite symphonie bizarre ? Hum, comment dire… ? Beethoven était sans doute sourd, mais il ne fait aucun doute que Zeller est aveugle, pour ne pas s’apercevoir qu’il rate tout, systématiquement, et ce dans les grandes largeurs. Est-ce parce qu’il a cru qu’en tissant un parallèle potache entre les nations et le couple il faisait preuve d’originalité ? Le projet n’était pas vain en soi, et aurait pu donner, malgré le didactisme de la démonstration, quelque chose de vaguement opérant (dans un concours agricole, par exemple). Mais pour cela il aurait fallu que l’auteur maîtrise un tant soit peu la langue. Or il est incapable d’accoucher d’autre chose que d’un sous-Harlequin mâtiné du Dictionnaire des citations et du Livre des anecdotes édifiantes, et préfère confectionner un pathétique petit récit pseudo-naturaliste qu’il saupoudre de considérations frôlant le grotesque. A croire que Zeller a contraint à copuler les titres de ses précédents livres (Les amants du n’importe quoi + La fascination du pire) afin qu’en naisse, au terme d’un travail de deux cents pages, péniblement expulsé par le petit cercle rosé du livre (ou par l’étoile noire de la lecture ?), cette malencontreuse « jouissance », qui porte si mal son nom, alors que celui de « tache » aurait largement suffi à ses nano-ambitions.
En guise de conclusion, je me contenterai de signaler que, dans les épreuves du livre, à la table des matières, figure une coquille révélatrice, puisque la première partie y est intitulée « l’hymne à la foie ».
On me reproche parfois, dans mon traitement de la chose littéraire, de me livrer à des jugements à l’emporte-pièce, à des critiques gratuites, voire de céder au quolibet au détriment de l’analyse rigoureuse, et je dois bien avouer qu’il y a une part de vrai là-dedans, tant la tentation de railler plutôt que de décortiquer est grande. Mais bon, comme vous avez pu le constater, quand on décortique, eh bien, les choses ne s’arrangent guère…