[Pendant l'été, le Clavier fouille dans ses archives et vous ressort des posts anciens, parce qu'on ne sait jamais. Aujourd'hui, ce post daté du 25 mars 2011…]
On sait qu'écrire n'est pas simplement aligner des mots comme si on
demandait à des fourmis processionnaires de se rendre sans trop
tortiller du cul jusqu'au point oméga. L'écriture connaît et maîtrise
l'astuce de se dématérialiser, de n'exister parfois qu'en pensée, en
fulgurances, en idées plus ou moins molles, et celui qui est lancé dans
l'aventure d'un livre sent bien qu'il écrit parfois autrement qu'à sa
table d'assis. Dès lors qu'on envisage une cathédrale se pose le
problème de l'allumette. Et même si au cours de ce liturgique épisode on
n'ouvre qu'une chapelle en ruine, il faut néanmoins se frotter à
l'allumette: au plan.
Penser un livre : maculée conception qui peut
difficilement faire l'économie d'un, même rudimentaire, échafaudage. La
question se pose de savoir si le travail sur le "plan" ressort de
l'écriture, ou s'il s'octroie le scandaleux privilège de ne pas penser
en terme d'écriture, se contentant de vivoter dans le monde des notes,
notations, voire diagrammes. La planification d'une narration – ou d'une
non-narration, peu importe – est-elle l'affaire d'un ouvrier autre en
soi? Ou l'écrivain fait-il, au moment de cette étape somme toute aride,
souvent chiche en épithètes, encore que chacun ait sa méthode,
l'expérience d'une "autre" écriture, d'une tentative de la future
écriture pour s'immiscer, s'imposer, à l'heure même où la branche semble
l'emporter sur le fruit?
On peut complexifier un plan jusqu'au point où
c'est le livre tout entier qui est écrit – et c'est là à peine une
boutade. Le plan n'est pas juste, pour l'écrivain (alors qu'il l'est
sûrement pour l'essayiste), la matrice à plus ou moins honorer, il est, déjà, la vibration, l'impulsion. Dans cette écriture qui a priori n'excite
pas l'écrivain – qui n'y recourt que pour ne pas se diluer dans le
bordel ambiant de son projet –, se produit quelque chose d'interlope.
L'écrivain éprouve une difficulté à rédiger. Il n'aime pas rédiger. Il
aime noter, gribouiller, mais jouer les traders de son action
invendable, ça non. Pourtant, il faut de la struktur. Même pour la
saborder, la saboter. Même pour renoncer. Et c'est alors, dans cette
instinctive, cette embroussaillée phase préparatoire que se produit une
forme inédite de jouissance, comme si, en onaniste contrarié mais soumis
aux délices de l'hypnose, l'écrivain se mettait à concevoir le plan
sous une forme para-esthétique, confiant aux couleurs infantiles de ses
feutres (entre autre) le soin de souligner, hiérarchiser.
Le plan
précède, mais pourtant il aspire à respirer comme un texte, il est
d'ailleurs souvent papier, paginé dans une souple accélération. Mais le
plan est aussi danger, piège, trappe, collet. Car plus il enfle et
croît, plus il dévore les calories du festin à venir. Il est également
procrastinante attitude: tant que je planifie, je n'écris pas, je
repousse l'instant désiré mais, ne rêvons pas, cauchemardesque. En cela,
le plan est protection, bouclier, mais aussi, garde-fou, filet. Qu'il
faudra bien, parfois, défoncer, refondre, oublier, reprendre, incendier.
Il est le grand dieu Plan, au flûteau futé, d'où giclent des notes
qu'on ordonne comme des pierres de sagesse tout en sachant qu'on ne
pourra pas retarder indéfiniment l'heure de l'éboulement.
Quel plaisir de savoir que nous ne serons pas seuls cet été... merci !
RépondreSupprimerC'est comme à la télé ici. L'été, saison des redifs. Bon, ça tombe bien, en 2011, je n'avais pas la télé...
RépondreSupprimerEtant donné un point A et un point B, et leur transformation dans le plan en alpha et oméga respectivement.
RépondreSupprimersachant que A, fortement cannibale, devient alpha sans trop tortiller du cul
et que B est fortement diminué par la canicule, mais que oméga aime aller au bal
trouver une transformation en aleph et beth qui transforme l'allumette en cathédrale.