L'art doit-il être respectueux? Il n'y a vraiment qu'au Figaro qu'on a le temps de se poser ce genre de question. Heureusement, pendant qu'Anish Kapoor sévit à Versailles, il y a Maître Adeline le Gouvello de la Porte, avocate à la Cour et proche de la Manif pour tous.
On vous rappelle la situation. L'artiste britannique a installé une sculpture d'acier monumentale dans les jardins de Le Nôtre, sculpture intitulée Le vagin de la reine. Ça ne plaît pas à tout le monde, et c'est tant mieux, le but n'étant pas de plaire à tout le monde. D'ailleurs, si ça se trouve, peut-être que le château de Versailles – ce qu'il est, représente, sa fonction passée, sa fonction actuelle – ne plaît pas à tout le monde non plus. Bref, pourquoi diable venir salir ce haut lieu du tourisme? Adeline le Gouvello a sa petite idée sur la chose:
"Le château de Versailles enregistre plus de 7 millions de visiteurs par an, dont 80% d'étrangers. De quoi éblouir les artistes tentés par le développement d'une carrière internationale… La beauté de l'art français et de l'art de vivre à la française au XVIIIème attirent toujours autant les foules. En revanche, il y a peu de chance que des millions de personnes se déplacent pour contempler un vagin géant... "
© JC Marmara |
Certes. Passons sur cette notion suspecte "d'art de vivre à la française"… En revanche, côté "carrière internationale", je crois que pour Anish Kapoor merci ça va, et ce depuis les années 90. Je doute qu'il veuille profiter de l'aura de Versailles. Mais voilà que notre avocate frondeuse décèle dans le travail de l'artiste un danger plus grand, un vice proche de la forme. En effet, selon elle, et selon le droit moral relatif aux œuvres,
"[…] lorsqu'un auteur entend utiliser une création préexistante pour y intégrer la sienne, il est tenu de respecter l'œuvre initiale et les droits des auteurs sur cette œuvre. Le «respect de l'œuvre» se traduit par l'obligation de ne porter atteinte ni à son intégrité (ce qui interdit toute suppression, adjonction ou modification) ni à son esprit."
Là, on a envie de rappeler à Adeline de Gouvello que l'artiste n'a pas pour vocation première de se conformer à cette notion de "respect" telle qu'établie par la loi, pas plus apparemment que la loi ne semble désireuse de respecter l'œuvre des artistes si l'on en croit les perpétuelles censures dont elle se fend pour les neutraliser. Qu'est-ce que l'intégrité d'une œuvre? Et que serait aujourd'hui l'art s'il s'était interdit, dans son rapport au patrimoine, "toute suppression, adjonction ou modification" ? En fait, pour Adeline de Gouvello, les choses ressortent surtout apparemment de la mocheté:
"En insérant ses œuvres dans celles de Mansard, Le Nôtre et autres, Anish Kapoor a opéré une adjonction purement esthétique, non pas utilitaire. Sans être grand critique d'art, on peut estimer que son œuvre ne se fond pas dans l'esthétique générale du château et de ses jardins… "
C'est ça qui ne passe pas. Ça ne se "fond" pas. Et en plus ça ne sert à rien. Mais aux yeux de l'avocate qui se penche sur ce "vagin" – comme il y a peu sur l'adoption d'enfants conçus par PMA, sur Radio Notre Dame par exemple… – le plus grave, c'est que l'artiste ait voulu "bouleverser l'équilibre et inviter le chaos". Elle trouve ça arrogant, inesthétique, et sûrement dangereux. Et en appelle à la vigilance de l'Etat. Et se demande ce que foutent les héritiers de Le Nôtre. Comme si elle avait peur que ce vagin accouche d'œuvres d'art encore plus illégitimes, ou polluent l'imaginaire des touristes majoritairement étrangers, lesquels finiraient par "adopter" alors une conception orpheline de l'art chaotique…
A ce stade délirant, on se plaît à imaginer, dans cent ans, les héritiers de Kapoor en train de décrier l'architecture de Le Nôtre sous prétexte que celle-ci défigurerait, par sa verdoyante et harmonieuse apologie de la monarchie, l'âpre représentation d'une fonction reproductive désormais rouillée.
Censure de la loi ? En France ? Ca aussi c'est une notion suspecte.
RépondreSupprimerEnfin, tout cela attire un peu l'attention mediatique sur le jardin de la reine, seul but des commanditaires.
Il y en a qui osent tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît...
RépondreSupprimerMadame le Gouvello a une compréhension du droit à géométrie variable, elle ne garde que ce qui l'arrange. Si elle a raison de dire que le droit moral est imprescriptible, elle oublie qu'il tend à s'amenuiser en application, par dilution, au vu du nombre d'héritiers. Si elle veut invoquer les héritier de Le Nôtre, encore faudrait-il déterminer qui ils sont. Quand bien même, la liberté de création l'emporterait à mon avis : l’arrière-arrière-petit-fils de Victor Hugo a échoué en 2007 à invoquer le droit moral pour faire interdire une suite aux Misérables, bonne chance au petit Le Nôtre pour défendre son plurisaïeul.
En revanche, côté "carrière internationale", je crois que pour Anish Kapoor merci ça va, et ce depuis les années 90. Je doute qu'il veuille profiter de l'aura de Versailles.
RépondreSupprimerbonjour la force de l'argument, autant demander à Lakshmi Mittal s'il renoncerait à utiliser un environnement qui favorise son essor.
Toute ricaneries/pleurnicheries médiatiques mises à part, c'est fort laid. C'est du BTP pas fonctionnel.
RépondreSupprimerEt un obélisque, UN! Et Place de la Concorde!
RépondreSupprimer