Le plaisir du texte : l’expression appellerait le pluriel,
tant sont multiples les sensations provoquées par la chose écrite, des
sensations qu’on n’hésitera pas à qualifier de « passions », au sens
spinoziste, dans la mesure où elles visent à accroître la force d’existence du corps.
Efforçons-nous d’en dresser une liste non exhaustive puisque nous sommes lundi
et qu’étymologiquement c’est le jour de la lune. Hum. Lune. Plaisir. J’espère
que vous suivez.
a) plaisir par anticipation — le texte
attendu, dont on a déjà commencé à jouir, et dont les forces semblent
concentrées dans l’instant guetté de sa parution (souvenirs vifs de faire le
pied de grue devant la librairie Autrement Dit qui ouvrait à 10h afin d’acheter
le nouveau Deleuze ou le nouveau Guyotat…). Ce plaisir prend le risque de la
déception mais il tient de la parousie ;
b) plaisir syntaxique — la sensation d’une
aventure, comme si le sens devenait tout entier direction, et que chaque pronom
relatif, chaque incise créaient des « holzwege » ; le plaisir
naît alors d’une extrême concentration doublée d’un pur abandon (Proust,
Simon…) ;
c) plaisir herméneutique — quand tout
soudain vous échappe, qu’on perd le fil, soit référence absconse, soit
virtuosité confondante, soit encore aporie ; la jouissance devenant alors tache aveugle ; le texte
jouit de moi, à mon insu ; il m’éblouit, s'absente?;
d) plaisir comique – les textes qui font
rire sont rares ; souvenirs d’éclats de rire en lisant Edouardo Mendoza,
Eric Chevillard ; quand le rire vous cueille en gifle ; admiration
devant la phrase capable de déclencher un fou rire ;
e) plaisir béat – parfois le texte s’élève,
doucement, il semble flotter, imperceptiblement il est passé à une strate
supérieure, proche de la grâce, mais sans violence, sans effet repérable, et
vous le sentez à cet état second dans lequel vous voilà plongé ; vous êtes
pour ainsi dire dans le texte, dans son transport ;
f) plaisir de la surprise — quand rien ne
vous préparait à une lecture, sinon la curiosité ou le hasard ;
l’étonnement vous nimbe d’une étrange ingénuité ; tout redevient neuf, ça
embaume les possibles (découverte des livres de Stéphane Bouquet, de Mathieu
Riboulet…) ;
g) plaisir profane — Guyotat ;
h) plaisir sacré — Guyotat ;
i) plaisir du partage — à l’instant même où
vous lisez telle phrase, le désir impérieux de la répéter à l’autre, de
l’extraire du livre pour la changer en voix ; souvent, on ne prend même
pas la peine de dire "non mais, écoute ça", la phrase sort toute seule, comme si
c’était le livre qui la propulsait ;
j) plaisir du basculement — on lisait
laborieusement, on hésitait, prêt à lâcher le livre, quand soudain quelque
chose se passe, est-ce nous, est-ce le livre, peu importe, voilà qu’on entre
dans l’engrenage du texte tel Charlot happé par les roues de la machine ;
c’est gagné ;
k) plaisir de relecture — où le texte,
comme par une magie stéréoscopique, devient double, la lecture passée
affleurant sous la lecture présente, le souvenir comme incrustée dans les
phrases, les mots ; ce qu’on lit, alors, c’est moins le texte que son
ombre conservée et par endroits changée en lumière ;
l) à vous de continuer…
m) plaisir de l'ininterruption — quand tu reprends un texte après des semaines, mois, années, à l'endroit du signet, et qu'il n'est pas besoin de revenir en arrière pour s'y retrouver, comme la conversation avec un ami reprise après des années comme si elle s'était arrêté la veille (Proust…)
RépondreSupprimerplaisir d'apprendre, de comprendre ?
RépondreSupprimerA quand un article sur Guyotat ?
Plaisir de substitution - Échouer (enfin) sur son texte, les yeux piquants de tant de veilles et de désirS
RépondreSupprimer/malmenés -----> délaisser quelque temps son doigt
l) à nous de continuer la lecture. Par plaisir hors-catégorie.
RépondreSupprimerl) plaisir solitaire — où l'on imagine, sûrement à tort, que l'auteur a écrit uniquement pour le lecteur que l'on est cette phrase-ci qui contient une référence à soi, comme ces « 807 papillons » dans un livre de Chevillard
RépondreSupprimerm) plaisir des retrouvailles — où l'on retrouve un vieil ami comme cet adverbe « mêmement » chez Chevillard encore
n) plaisir sadique — celui du correcteur qui trouve une coquille, comme celle de situer Honfleur en Bretagne pour Dider da Silva dans un livre qu'on a malgré tout particulièrement aimé
o) plaisir privilège — celui de lire un « Service Presse » et de se dire que l'on fait partie de cette élite littéraire, de ceux qui lisent gratuitement et avant la populace
p) plaisir masochiste — celui de lire entièrement un livre de Florian Zeller ou de Yann Moix uniquement pour le plaisir de le descendre sitôt la lecture terminée dans une chronique qu'on voudra assassine.
l) plaisir de ne pas lire -- en ce moment, je prends beaucoup de plaisir à ne pas lire Soral, par exemple.
RépondreSupprimerl) plaisir de téléportation
RépondreSupprimerl)Plaisir perlingual
RépondreSupprimer- Quand on suspend sa lecture pour laisser fondre une phrase sous la langue...
l) Plaisir lingual
RépondreSupprimer- Quand on suspend sa lecture pour faire fondre une phrase sous la langue