lundi 1 juin 2015

La lecture, ce pluriel


Le plaisir du texte : l’expression appellerait le pluriel, tant sont multiples les sensations provoquées par la chose écrite, des sensations qu’on n’hésitera pas à qualifier de « passions », au sens spinoziste, dans la mesure où elles visent à accroître la force d’existence du corps. Efforçons-nous d’en dresser une liste non exhaustive puisque nous sommes lundi et qu’étymologiquement c’est le jour de la lune. Hum. Lune. Plaisir. J’espère que vous suivez.
a)     plaisir par anticipation — le texte attendu, dont on a déjà commencé à jouir, et dont les forces semblent concentrées dans l’instant guetté de sa parution (souvenirs vifs de faire le pied de grue devant la librairie Autrement Dit qui ouvrait à 10h afin d’acheter le nouveau Deleuze ou le nouveau Guyotat…). Ce plaisir prend le risque de la déception mais il tient de la parousie ;

b)    plaisir syntaxique — la sensation d’une aventure, comme si le sens devenait tout entier direction, et que chaque pronom relatif, chaque incise créaient des « holzwege » ; le plaisir naît alors d’une extrême concentration doublée d’un pur abandon (Proust, Simon…) ;

c)     plaisir herméneutique — quand tout soudain vous échappe, qu’on perd le fil, soit référence absconse, soit virtuosité confondante, soit encore aporie ; la jouissance devenant  alors tache aveugle ; le texte jouit de moi, à mon insu ; il m’éblouit, s'absente?;

d)    plaisir comique – les textes qui font rire sont rares ; souvenirs d’éclats de rire en lisant Edouardo Mendoza, Eric Chevillard ; quand le rire vous cueille en gifle ; admiration devant la phrase capable de déclencher un fou rire ;

e)     plaisir béat – parfois le texte s’élève, doucement, il semble flotter, imperceptiblement il est passé à une strate supérieure, proche de la grâce, mais sans violence, sans effet repérable, et vous le sentez à cet état second dans lequel vous voilà plongé ; vous êtes pour ainsi dire dans le texte, dans son transport ;

f)     plaisir de la surprise — quand rien ne vous préparait à une lecture, sinon la curiosité ou le hasard ; l’étonnement vous nimbe d’une étrange ingénuité ; tout redevient neuf, ça embaume les possibles (découverte des livres de Stéphane Bouquet, de Mathieu Riboulet…) ;

g)     plaisir profane — Guyotat ; 

h)    plaisir sacré — Guyotat ;

i)      plaisir du partage — à l’instant même où vous lisez telle phrase, le désir impérieux de la répéter à l’autre, de l’extraire du livre pour la changer en voix ; souvent, on ne prend même pas la peine de dire "non mais, écoute ça", la phrase sort toute seule, comme si c’était le livre qui la propulsait ;

j)      plaisir du basculement — on lisait laborieusement, on hésitait, prêt à lâcher le livre, quand soudain quelque chose se passe, est-ce nous, est-ce le livre, peu importe, voilà qu’on entre dans l’engrenage du texte tel Charlot happé par les roues de la machine ; c’est gagné ;

k)    plaisir de relecture — où le texte, comme par une magie stéréoscopique, devient double, la lecture passée affleurant sous la lecture présente, le souvenir comme incrustée dans les phrases, les mots ; ce qu’on lit, alors, c’est moins le texte que son ombre conservée et par endroits changée en lumière ;

l)      à vous de continuer…

9 commentaires:

  1. m) plaisir de l'ininterruption — quand tu reprends un texte après des semaines, mois, années, à l'endroit du signet, et qu'il n'est pas besoin de revenir en arrière pour s'y retrouver, comme la conversation avec un ami reprise après des années comme si elle s'était arrêté la veille (Proust…)

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  2. plaisir d'apprendre, de comprendre ?

    A quand un article sur Guyotat ?

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  3. Plaisir de substitution - Échouer (enfin) sur son texte, les yeux piquants de tant de veilles et de désirS
    /malmenés -----> délaisser quelque temps son doigt

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  4. l) à nous de continuer la lecture. Par plaisir hors-catégorie.

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  5. l) plaisir solitaire — où l'on imagine, sûrement à tort, que l'auteur a écrit uniquement pour le lecteur que l'on est cette phrase-ci qui contient une référence à soi, comme ces « 807 papillons » dans un livre de Chevillard

    m) plaisir des retrouvailles — où l'on retrouve un vieil ami comme cet adverbe « mêmement » chez Chevillard encore

    n) plaisir sadique — celui du correcteur qui trouve une coquille, comme celle de situer Honfleur en Bretagne pour Dider da Silva dans un livre qu'on a malgré tout particulièrement aimé

    o) plaisir privilège — celui de lire un « Service Presse » et de se dire que l'on fait partie de cette élite littéraire, de ceux qui lisent gratuitement et avant la populace

    p) plaisir masochiste — celui de lire entièrement un livre de Florian Zeller ou de Yann Moix uniquement pour le plaisir de le descendre sitôt la lecture terminée dans une chronique qu'on voudra assassine.

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  6. l) plaisir de ne pas lire -- en ce moment, je prends beaucoup de plaisir à ne pas lire Soral, par exemple.

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  7. l) plaisir de téléportation

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  8. l)Plaisir perlingual
    - Quand on suspend sa lecture pour laisser fondre une phrase sous la langue...

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  9. l) Plaisir lingual
    - Quand on suspend sa lecture pour faire fondre une phrase sous la langue

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