Bon, il est clair que ce blog traîne un peu la patte ces derniers temps, mais la faute en est au papier, cette rêche invention. Je veux bien sûr parler de la paperasserie, qui est à la littérature ce que 50 nuances de Grey est au Caligula de Tinto Brass. Eh oui, il s'agit en l'occurrence de la déclaration d'impôts, cet enfer-forumlaire que j'ai une fâcheuse tendance à remplir à 23h59 le dernier jour, malgré ma résolution, chaque année, de m'y prendre un peu plus tôt, genre à 22h54. Et puis il y a eu aussi la déclaration d'Agessa, ce mystère intergalactique où l'on vous demande des chiffres amoindris de retenues absconses et de gloutonnes taxes, ne figurant bien sûr pas sur les documents que vous envoient – ou pas – les éditeurs – et là je remercie mon comptable clandestin, Nicolas R., sans qui je serais radié depuis longtemps. Enfin, j'ai dû changer d'ordi, mon MacBook Pro ayant fini par succomber (ou quasi) aux traitements que je lui inflige depuis six ans – en général, il capitule au bout de huit mille feuillets. Bon, qui dit nouvel ordinateur, dit reconfiguration, terme qui recouvre une suite de manipulations techno-vaudoues dignes de Turing et Torquemada, avec des mots de passe qu'on vous demande et que vous avez bien sûr oubliés ou mal notés parce que vous avez dû en changer trente fois — mais bon, comme dirait OSS 117, tout est apaisé, Larmina. Je peux désormais reprendre une vie presque normale – je dis "presque" car un épicier asiatique a ouvert près de chez moi et qu'entre traduire trente feuillets par jour et tester de nouveaux raviolis aux crevettes, le choix s'avère parfois cornélien, ou plutôt confucéen.
Je me contenterai donc juste de vous conseiller la lecture de Huit quartiers de roture, signé par un écrivain gris sourire que j'affectionne particulièrement: Henri Calet. C'est une suite de textes sur les XIXème et XXème arrondissement de Paris, écrits dans l'optique d'une émission radiophonique mais qui n'avaient encore jamais été édités en volume – ils le sont aujourd'hui grâce à la ténacité et l'érudition de Jean-Pierre Baril. Calet qui s'aventure hors de son XIVème, c'est tout de suite l'aventure. Il remarque d'abord que le dix-neuvième a une tête d'homme et et le vingtième la "forme vague d'un jambon". Les déambulations de l'auteur, muni d'un guide de 1867, le poussent aux souvenirs, aux comparaisons, il observe, déduit, déplore. Comme souvent chez Calet, la pudeur est prétexte à légèreté et masque la douleur.
Longtemps, Calet cherche un cimetière juif censé être situé au 44 rue de Flandre, au fond d'une courette, derrière une porte. Il n'arrive pas à le trouver, la concierge y met de la mauvaise volonté, il s'en va, revient, fait une nouvelle tentative…
"A quoi bon, pensais-je de façon vague, s'obstiner à vouloir visiter un petit cimetière juif de la rue de Flandre, abandonné, peu connu? Il est d'autres cimetières juifs de par le monde, également abandonnés, peu connus, plus vastes…"
Finalement, le voilà devant une porte, que la concierge refuse d'ouvrir:
"— La clef! Ah, non, alors! Il y a les bêtes…De quelles bêtes s'agissait-il? Voulait-elle me faire peur?— Il y a de grands chiens dans le cimetière, ajouta-t-elle.C'est pour cela que je ne pus visiter le cimetière juif du XVIIIème siècle de la rue de Flandre, parce que l'on y avait – temporairement ou non – enferme de grands chiens…"
L'œuvre de Calet est ainsi faite qu'en plus de tombes elle renferme d'étranges animaux errants. Une nostalgie pétrie de doutes quant au bien-fondé du passé y fait office de motivation. Comme si, en toutes choses, et surtout dans les petites, les abîmées, les secrètes, les disparues, gisait un copeau dont on fera le bois dont on chauffera le lecteur. Comment d'ailleurs ne pas entendre, derrière le mot de "roture" celui de "torture"?
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Henri Calet, Huit quartiers de roture (Petit guide des XIXè et XXè arrondissements de Paris), édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Baril, Le Dilettante, 20 € (avec un CD audio)
À relire également, "Poussières de la route" ou "l'Italie à la paresseuse" et plus simplement tout Calet…!
RépondreSupprimerLe passé n'est pas redevable d'un quelconque "bien-fondé" (d'un "mal-fondé" non plus d'ailleurs); il EST, tout simplement (c'est en quoi il est effrayant et fascinant, tout à la fois) C'est d'ailleurs pourquoi "en toutes choses, et surtout dans les petites, les abîmées, les secrètes, les disparues" se niche ce "copeau dont on fera le bois dont on chauffera le lecteur", lequel n'embrase jamais mieux que lorsqu'il n'a pas trait à la nostalgie, cette "putain du souvenir", comme l'appelait Lezama Lima...
RépondreSupprimerA lire également, le Guide du Contribuable ; ouvrage grand public que l'on trouve dans tout bon café-tabac-presse, mais qui est finalement très bien conçu et permet de gagner du temps d'écriture (même si, avouons-le, il mouche toute inspiration).
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