Le Mémorial de la Shoah présente actuellement une exposition qui devrait faire date. En effet, sous l'impulsion de plusieurs historiens, dont Alexandre Sumpf, membre junior de l'IUF et spécialiste de l'histoire de la Russie (et de l'URSS, ainsi que de l'Europe centrale et orientale) et du cinéma soviétique, il nous est donné cette année la possibilité de repenser notre représentation de la Solution finale dans ses diverses modalités.
(Rappelons que le Mémorial de la Shoah est un endroit exceptionnel, atypique. Né pendant la guerre dans la clandestinité afin d'établir un premier fonds d'archives, s'étant toujours tenu à bonne et prudente distance de l'Etat et des instances religieuses, au risque de faire de sa singularité une solitude, détenteur de documents sur le rôle du régime de Vichy dans l'extermination des Juifs qu'il ne pouvait dévoiler sans risque tant que la France ne reconnaissait pas publiquement sa responsabilité nationale et étatique dans le génocide, il est devenu un lieu plus qu'actif après la montée du révisionnisme et du négationnisme dans les années 90. Et l'exposition qui l'habite cette année est un événement.)
Intitulé "Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946)" et se tenant depuis janvier jusqu'au dimanche 27 septembre 2015, ce parcours filmique et réflexif permet d'aller au-delà des images, fixes ou animées, qui nous permettent, dans le noir et le blanc d'une abomination censée lointaine, d'appréhender l'ampleur du génocide dans son quotidien. L'horreur a été filmée, par les bourreaux, mais aussi par ceux qui les ont vaincus. Et chacun eut, lors de cet acte "documentaire", des motivations politiques et historiques qu'il convient d'interroger. Les Soviétiques ont beaucoup filmé la grande guerre, et beaucoup filmé aussi les camps, qu'ils ont "libérés" – intervenant parfois au en pleine opération 1005 (opération nazie visant à effacer les traces de la solution finale). Ce qu'ils ont filmé, ils l'ont montré au monde, et très tôt. Au temps pour le fort peu cocasse "nous ne savions pas"…
Certaines séquences sont connues, d'autres moins, quelques-unes montrées au Mémorial sont inédites, et insoutenables, écartées des montages finaux mais sauvegardées dans diverses archives. Et c'est là tout le travail de Sumpf et de son équipe: trier, expliquer, commenter, mettre en perspective. Que voit-on de la Shoah? Qu'a-t-on montré? A qui? Quand? Qui a vu? Qui a vu quoi? Dans quel but? Qui savait? Qu'est-ce qui a été filmé et montré? Filmé et écarté ? Pourquoi? Comment? Quels étaient les opérateurs? Qui montait ces films? Qu'en disait la presse, l'opinion internationale? Ecrans, panneaux et ouvrages forment ici un triptyque rigoureux pour dire comment la Shoah fut présentée au monde – les Soviétiques étant les seuls à vouloir filmer le procès de Nuremberg, un procès qui motiva souvent le tournage des images de charniers, de fosses, de camps – images montées au point d'en faire de véritables films et pas seulement des séquences d'actualités, images capturées et sauvées par des cinéastes comme Roman Karmen, pendant que la France régalait son innocent public avec Ils étaient neuf célibataires de Guitry.
Quand les images sont insoutenables, il est plus que jamais urgent d'apprendre à en déchiffrer les complexes vibrations. Ce qui est filmé l'est pour certaines raisons. L'extermination des Juifs, gravée dans la chair brutale d'une guerre mondiale, fut amplement documentée par les Soviétiques qui n'étaient pourtant pas hermétique à l'antisémitisme. Mais contrairement aux Américains et aux Occidentaux, et quoi qu'on pense de leur génie de la propagande, leur traitement de ces images effroyables se révéla plus frontal, sans doute sur l'impulsion du vertovisme, et malgré le double discours de Molotov. Une salle est par ailleurs consacrée à la délicate question de la judéité des victimes, et à son traitement par l'image. Autant dire que cette exposition approche et affronte tous les points sensibles de l'holocauste.
Je résume. Il fait beau, les terrasses sont pleines, les vacances approchent, on vit apparemment dans un pays en paix. L'année a néanmoins commencé dans le sang. Raison de plus pour passer deux bonnes heures au Mémorial de la Shoah.
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Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris
17 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris
Filmer la guerre - Les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) - Du vendredi 9 janvier 2015 au dimanche 27 septembre 2015
Renseignements
Tél. : +33 (0)1 42 77 44 72 (standard et serveur vocal)
Fax. : +33 (0)1 53 01 17 44
E-Mail : contact@memorialdelashoah.org
Site web : www.memorialdelashoah.org
Renseignements
Tél. : +33 (0)1 42 77 44 72 (standard et serveur vocal)
Fax. : +33 (0)1 53 01 17 44
E-Mail : contact@memorialdelashoah.org
Site web : www.memorialdelashoah.org
Passer deux bonnes heures au Mémorial de la Shoah... et se demander pourquoi toutes les images des massacres génocidaires d'aujourd'hui n'encouragent pas plus de réaction que les documents présentés aux puissants d'hier.
RépondreSupprimerPourquoi les Yézidis (par exemple) se font tuer, violer, et esclavagiser dans la même indifférence internationale que les Juifs il y a 75ans...
Merci Claro pour toute la vie qui est en vous, qui s'exprime toujours avec tant de justesse et d'impartialité pour secouer courageusement nos léthargies.
Je vous aime et je vote pour vous !