De Mitch Cullin, ici, on ne sait pas grand-chose, sinon qu'il a commis un roman adapté par Terry Gilliam, publié naguère par les éditions Naïve. D'origine cherokee, en errance entre Californie et Japon, il s'est expliqué assez succinctement sur son projet littéraire: "Half the time I'm not even sure why I make choices in writing, or how it works when it works." Voilà. Capable du plus improbable, depuis un caméo dans le film adapté de son roman éponyme jusqu'à un portrait de Sherlock Holmes sénescent (A Slight Trick of the Mind), ami de Mary Gaitskill, Mitch Cullin est tombé dans le puits du vers libre avec son personnage du shérif Branches qui, s'il rappelle bien évidemment le Lou Ford de Jim Thompson, n'en est pas moins une "âme" trempée dans la morale, détrempée dans le réel, et martelée de l'intérieur par une violence qui semble la réponse de la douleur à la douleur.
Shérif intègre? Plutôt shérif morcelé, plié, brisé, mais bien décidé à n'afficher que la roide démarche du VRP de l'ordre. Puisant ses origines dans un marigot familial dont ne s'échappent que d'insupportables effluves, il est tout à la fois le bourreau et la victime, le colt et la cible. Et c'est là que le vers libre – ou, devrait-on dire: échappé – de Cullin arrache plus que la peau, cherchant dans les os, les nerfs, les muscles le pourquoi et le comment de cette haine en perpétuelle expansion qui fait que ce shérif est brutal, biblique, quasi baudelairien.
Il faudrait dire la force du toit, la méchanceté du vent, l'attrait du burrito, le retour impossible du fils tout sauf prodigue (un beau-fils épris d'insignes nazis…), les Mexicains noyés, la bourge violée, le pédé enculé, le corbeau interpellé, l'amour des chiens et le trou noir, horriblement galactique, qu'est ce puits où tout converge dans ce roman en vers qui grouillent et rongent et ressortent, plus triomphants que des remords.
Des écrivains comme Cullin, on a envie de dire qu'il y en a peu. Des qui osent. S'égarent. tentent. S'en vont vadrouiller dans le noir. Cent trente pages de retour chariot comme un chien armé avant que claque le coup et fuse la douille. Amour, mort, boue: tout est dit, décrit, avoué. Le shérif Branches est un homme-cauchemar comme seule la littérature la plus défenestrée sait en peindre: sans souci des marges, du recul, avec un insultant plaisir à tisser l'amer au soyeux.
De ce voyage sur place, dans un Texas qu'on souhaiterait imaginaire, banni, on ressort à la fois pur et impur, à honteuses proportions égales. L'homme nu, l'homme de Blake, de Whitman, l'homme de Melville: il est là, échoué, tenace, foutu. Il continue. Quoi? De faire du paradis une fosse et de l'enfer un arpent.
Ne reste que la musique d'un dernier désir, sirupé par des lèvres que gagne une gangrène sans doute inéluctable:
Et quand on voudrait dire amen, le livre s'est refermé, plaie sur plaie. Alors qu'on ne vienne pas me parler d'Angot ou de Boillon, l'actualité est ailleurs.
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Mitch Cullin, King County Sheriff, éd. Inculte/fiction, ISBN : 978-2-916940-46-5
16,5 x 20 cm | 144 p. | 16 €
Shérif intègre? Plutôt shérif morcelé, plié, brisé, mais bien décidé à n'afficher que la roide démarche du VRP de l'ordre. Puisant ses origines dans un marigot familial dont ne s'échappent que d'insupportables effluves, il est tout à la fois le bourreau et la victime, le colt et la cible. Et c'est là que le vers libre – ou, devrait-on dire: échappé – de Cullin arrache plus que la peau, cherchant dans les os, les nerfs, les muscles le pourquoi et le comment de cette haine en perpétuelle expansion qui fait que ce shérif est brutal, biblique, quasi baudelairien.
Il faudrait dire la force du toit, la méchanceté du vent, l'attrait du burrito, le retour impossible du fils tout sauf prodigue (un beau-fils épris d'insignes nazis…), les Mexicains noyés, la bourge violée, le pédé enculé, le corbeau interpellé, l'amour des chiens et le trou noir, horriblement galactique, qu'est ce puits où tout converge dans ce roman en vers qui grouillent et rongent et ressortent, plus triomphants que des remords.
Des écrivains comme Cullin, on a envie de dire qu'il y en a peu. Des qui osent. S'égarent. tentent. S'en vont vadrouiller dans le noir. Cent trente pages de retour chariot comme un chien armé avant que claque le coup et fuse la douille. Amour, mort, boue: tout est dit, décrit, avoué. Le shérif Branches est un homme-cauchemar comme seule la littérature la plus défenestrée sait en peindre: sans souci des marges, du recul, avec un insultant plaisir à tisser l'amer au soyeux.
De ce voyage sur place, dans un Texas qu'on souhaiterait imaginaire, banni, on ressort à la fois pur et impur, à honteuses proportions égales. L'homme nu, l'homme de Blake, de Whitman, l'homme de Melville: il est là, échoué, tenace, foutu. Il continue. Quoi? De faire du paradis une fosse et de l'enfer un arpent.
Ne reste que la musique d'un dernier désir, sirupé par des lèvres que gagne une gangrène sans doute inéluctable:
Mais quand je pose la langue
sur ton cheesecake au chocolat,
quand j'enfourne et je lape,
toutes tes douceurs,
elles ont toujours
cette même saveur.
Tes yeux bruns
sont toujous bruns,
tes hanches larges –
ce même coup de rein.
Secoue la farine
de ton tablier,
rince tes mains si fines.
Dénoue ta chevelure
et laisse-la flotter librement
sur tes épaules tachées de son.
Apporte-moi tes burritos,
apporte-m'en trois,
et plus tard,
le dessert
sera pour moi.
Et quand on voudrait dire amen, le livre s'est refermé, plaie sur plaie. Alors qu'on ne vienne pas me parler d'Angot ou de Boillon, l'actualité est ailleurs.
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Mitch Cullin, King County Sheriff, éd. Inculte/fiction, ISBN : 978-2-916940-46-5
16,5 x 20 cm | 144 p. | 16 €
viteuf',ça rappelle "la nuit d'enfer" de Joseph Moncure March qui slammait déjà et grave en 1928...
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