vendredi 11 février 2011

Les lignes d'Eleni Sikelianos

"Je vois les lignées de nos ancêtres se déployer en filaments, décrire ici et là des boucles, bifurquer, disparaître ; parfois le fil est rompu, parfois ce sont des impasses dans la nuit là où telle ou telle sœur a pris un bateau en Grèce et n’a jamais réintégré le troupeau ; des hommes et des femmes qui se sont trouvés ou que les circonstances ont précipités dans les bras l’un de l’autre, puis ont rayonné tout le long de la vaste lignée deux par deux ; car ils eurent beau s’aimer, aimer l’autre quel que soit son sexe, ou vivre séparés, sans cesse le long de cette longue flèche qui remonte aux premiers humains chassant dans la brousse quelque part sur un lointain continent à une époque indiscernable, on trouve un homme et une femme, formant couple, chacun représentant un trait d’union électrique d’effort et d’intelligence, illuminant le chemin qui mène jusqu’à moi, qui suis là – ; des hommes et des femmes, dont les yeux s’éclairent au moins un court instant dans leur vie ; qui s’aiment les uns les autres dans la nuit avant l’invention de l’écriture ; ou une brève rencontre, peut-être provoquée, qui permit la continuation d’une lignée ; ces paquets de gènes qui attendent, et cette incontrôlable pulsion animale à vouloir faire des choses – l’amour, des bébés ; leurs rangs allant toujours de l’avant, se scindant, baisant, se dispersant, jusqu’à ce qu’ils atteignent les abords de l’histoire ; puis plus loin, encore plus avant, jusqu’à ce qu’ils forcent l’enceinte de la tradition familiale."


(Extrait de Le Livre de Jon, d'Eleni Sikelianos, à paraître chez Actes Sud)

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