

Bon, faut l'avouer, en 65 on avait trois ans, alors forcément à l'époque, Bessette, on a zappé, raté, manqué, pas vu pas lu. Heureusement il y a LaureLi, la collection de Laure Limongi. Du coup, on découvre. Mea culpa, je m'y mets sur le tard. Suite Suisse, qui vient de paraître, croix blanche sur fond rouge, est une tentative retour chariot (comprenez, en vers, c-d-d en prose "heurt indescriptible d'avortements" [Artaud]) pour narrer l'odyssée helvète de la môme LN. L'étoile neutre est d'emblée placée sous une autre, celle de l'échec à répétitions, de la non-intégration essuyée et maculée. C'est quoi, l'écriture Bessette, ici: une liberté qui se méfie de l'élégance et s'en va ronger l'ongle grammairien, ça taille et tranche, ça se bloque et ça fuse, ça limine et stase, ça porte l'eau prosodique à des degrés de simplicités proprement bouillantissime. L'air de rien, de rejet en coupe, Hélène Bessette double Hugo et emboîte le pas à Arno Schmidt, créant une scansion unique, qui se lit à voix haute et se claquette au bout des doigts. Ça serait opublié aujourd'hui, ça paraîtrait chez LaureLi. On lit, médusé, et on se dit: rhabillons-nous, cette femme sait tout de l'écriture. C'est, non seulement, malin magnifique mitonné, mais ça va où ça veut quand ça veut. Le genre d'auteur, tu en lis trois lignes, tu achètes tout, blind. Parce que Bessette manie la ponctuation comme un Mannlicher. Parce que la guerre est passé deux fois par elle (elle est née en 18, si je ne m'abuse), et morte en 2000. Roman poétique? Plus que ça. Alchimie poétique (le bobo-slam peut aller se rhabiller). Et personne, mais alors ce qui s'appelle personne, ne faisait "ça" à son époque. Même pas Queneau. Rarement vu une assurance pareille dans le coulé du phrasé – au prix, sûrement, d'odieuses tergiversations intérieures, d'apnées maudites. Un auteur oublié qui devient un rendez-vous. On s'y rend, justement, nécessairement. Comme il est dit page 183: "Qu'à cela ne tienne". C'est paru le 15 mai, alors n'attendez pas Noël. Merci LaureLi. Give me more…
Une des notions clé du dernier roman de Pynchon, Contre-Jour, est certainement la « biréfringence », c’est-à-dire la propriété de double réfraction présentée par le fameux spath d’Islande, cette calcite très pure qui permet à la lumière de se dédoubler – à la lumière, donc à la vision et, partant, à la lecture. De là les nombreuses occurrences de certains mots, certaines expressions, soit à quelques lignes d’intervalle, soit se répondant d’un chapitre à l’autre ; de là les parallélismes des situations, des pensées, des émotions, etc., qui finissent par former une sorte de mystère « gaufré », à la fois sacré et impie.
Ainsi donc, ce que propose Pynchon, n’est pas tant une exégèse qui en cacherait une autre, que deux exégèses, co-existantes, simultanées. Mieux qu’un écho, chaque posture narrative a droit à son retour – éternel ? contingent ? – dans la trame complexe du récit. La bilocation, autre terme important dans le roman, talent propre au personnage de Magyakan, opère non seulement au niveau géographique, mais également historique, voire, parfois, lexical. Est dépassée ainsi la traditionnelle structure en strates d’un récit qui ne se contente pas de recourir à l’allusion. Plutôt qu’un sous-texte dissimulé sous un canon, on se retrouve donc en présence d’une narration biréfringente, cohérente avec la théorie quaternioniste d’une quatrième dimension. Or Pynchon systémise le processus de double réfraction au point de l’inscrire à la fois dans le micro – les particules – et le macro – le Temps, l’Espace.
Les Casse-Cou, ces ados aéronautes qui ouvrent le roman avec l’appel à « single up all line » (à dédoubler les amarres…), existent à la fois dans le monde imaginaire du récit d’aventure pour la jeunesse et dans la réalité décrite dans le roman intitulé Face au Jour. Leur particularité est d’en avoir, parfois, conscience, de sentir passer sur eux, à travers eux, pourrait-on dire, le phénomène de défictionnalisation qui les contraint à habiter le monde donné, situation qui bien souvent les plonge dans une apathie insouciante mâtinée d’effroi latent. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que le roman débute par cette « fausse » entrée, le récit de genre, exercice dans lequel Pynchon excelle, en grand lecteur d’une certaine littérature d’avant-guerre – en l’occurrence, la célèbre série des aventures de Tom Swift, écrite par Victor Appleton, qui s’est déclinée sur de très nombreux titres dont on citera seulement, aéronautisme oblige, Tom Swift and His Aerial Warship , ou encore Tom Swift and His Air Scout. On remarquera pourtant que l’auteur prend soin de ne pas décrire précisément le véhicule céleste à bord duquel embarquent les Casse-cou, l’appelant tantôt skyship, tantôt airship, balloon, etc. De même qu’il se garde bien de nous préciser l’âge de cette joyeuse bande d’aéronautes, estampillés « boys » et parfois désignés comme étant des adolescents. Au nombre de cinq, ou 6 si l’on compte leur chien Pugnax, ils évoquent également d’autres « meutes » célèbres comme les «Famous Five» mis au goût du jour par Enid Blyton dans les années 40 [plus connus en France sous l’appellation de « Club des Cinq », club qui, rappelons-le, comptait en son sein un chien, Timmy, Dagobert dans la version française !]. On pourrait également aller voir du côté de Jules Verne, auteur ayant influencé, entre autres, Herbert George Welles, Welles dont la figure est récurrente dans Against the Day [p. 398 , 407 et 412], et dont Pynchon a pu lire ou parcourir certains volumes – Cinq semaines en ballon, Les Aventures du capitaine Hatterras, Robur le Conquérant, pour ne citer que ces titres […]
On a vu le nouveau Desplechin – Un conte de Noël –, qui loin d'être l'enfer névrotique œdipien qu'on pourrait croire (quel sale petit secret?), est une formidable déflagration d'événements dissidents, un fagot de lignes de fuite où chaque identité se cherche une faille, non à cultiver, mais à emprunter, pour dévamper – montage plus que malin, iconoclaste par endroits (fuck the faux raccords), lumière retenue, dialogues écrits et assumés comme tels, affects tordus et rires à contretemps, acteurs vaudou, une virtuosité venue des corps et y retournant… aucune chance de décrocher la Palme près de Nice, donc, bien trop couillu pour un certain aréopage épris de néo-réalisme (Sean Penn ayant annoncé la couleur en déclarant que le séisme en Chine conditionnerait ses choix esthétiques… heureusement qu'il n'y a pas eu d'inondation en Inde…). A part ça, ma traduction du Golden Gate de Vikram Seth (ce roman écrit en vers: 594 sonnets, soit en vf 8316 alexandrins, merci je sais compter) ne sortira ni en septembre ni chez Grasset, l'auteur ayant décidé que l'ovni avait sa place chez Albin Michel, éditeur de son précédent opus, Deux Vies. Donc, pour l'instant, pas de date prévue. En revanche, le décapant Décomposition, que j'ai traduit pour le Masque (qui jubile), vient de sortir de l'imprimerie et sera en librairie le 20 août: l'outsider qui tue, on peut dorzédéjadorénavan ainsi l'appeler. C'est signé J Eric Miller (pas de . après le J, et le J avant l'Eric, svp!) et comme on l'a dit ici c'est un conte de fées au pays de la mort qui vient, une traversée du continent désolé, la Mustang chauffée à bloc, son coffre hanté par un prince plus trop charmant. Même Fabrice Colin va aimer, c'est pour vous dire. Ah, j'oubliais: Pynchon. Contre-Jour. On entame la dernière ligne droite. La mort dans l'âme. On en aurait bien traduit encore trois mille feuillets, même si on va tranquillement vers les 2150 feuillets, ce qui une fois mis en page devrait nous donner du 1250 pages en Fiction & Cie. La jaquette ici, bientôt, genre mi-juin (des ballons pleins la gueule…). En attendant, le clavier va chauffer pour tenir les délais. Pleure, Stakhanov… Côté Viken Berberian, l'épatant Das Kapital est bouclé, mais là, patience, faudra attendre janvier 09. Le Poor People de l'ami Vollmann devrait pas tarder à arriver sur mon bureau sous forme d'épreuves. On va donc pouvoir s'attaquer fervemment à la traduction du déjà mythique Omega Minor… et enfin bosser d'arrache-pied sur ce foutu projet de Livre Vain, already-3-years-in-the-making, et qui va en prendre sûrement autant, sinon plus. Quant à Logomachine (ex-Coulée Douce et Tranché Vif), il fera, a priori, l'objet d'une mise en voix radiophonique sur France Culture – pour la version papier, on a donc le temps… Le Bolaño piaffe toujours sur la table de chevet, à côté du dernier Theroux: ça sera pour l'été, ces pavés, à l'abri du sable. Et on guette déjà le nouveau Minard chez LaureLi, entre autres joyeusetés de rentrée. En attendant les prochaines bombes des éditions Désordres, qui grâce à la pugnacité de Laurence Viallet, vont incessamment renaître de leurs cendres toujours incandescentes. Ah, oui, il paraît qu'il y a un nouveau Angot qui sort. Mais on sait pas encore qui le lira. C'est ça aussi, la vie des livres.
Koid'9? Cannes est fini et Pialat pleure. Rien de neuf sous le soleil de satin [sic]. Il paraît qu'Angot revient, que le tango revient, que Richard Millet go go go! Heureusement il y a Coover au Comptoir des mots le 3 juin, et Laure Limongi le 18 au même Comptoir pour parler d'Hélène Bessette, qui n'a pas de leçon à recevoir des Américains puisqu'elle écrivait, alors que nous n'étions qu'une larve littérante, une prose desquamante. On lira donc Suite Suisse, et tout le reste. On lira aussi L'Or des fous, paru chez Gallmeister, récit indispensable à tout pynchonien qui se respecte de l'histoire de Telluride (Colorado), écrit par un baroudeur à la fois nomade et mélancolique, à la plume trempé dans l'œil de lynx et le cul de basse fosse, où chaque paragraphe est comme une pierre sur laquelle la main crispée se hisse vers l'étape flamboyante suivante – Rob Schultheis. Sous-titre: Vies, amours et mésaventures au pays des Four Corners. Une bonne partie de Contre-jour, de Pynchon, se passe à Telluride, cette ville minière percluse d'antiques mythes et désormais immonde resort bourge pour skieurs friqués. Schultheis est un poète inné, doté de crocs, de griffes et qui sirote sa métaphore et ménage ses coups. Un extrait suffira à mettre les karmas à l'heure: "Le fauve le fixe sans ciller de ses grands yeux phosphorescents, pareils à la lumière qui s'échappe d'un réacteur nucléaire. Cronk cronk slurp cronk. Ses mâchoires, qui auraient pu briser en deux une batte de base-ball aussi facilement qu'un gressin, fouaillent le tartare de cerf et il avale des pintes de sang encore chaud pour faire descendre le tout." C'est traduit – magistralement, symbiotiquement, jubilatoirement – par Marc Amfreville. Sinon, on peut relire L'Art Poétique, de Paul Claudel, et s'interroger : "Comme la main de celui qui écrit va d'un bord à l'autre du papier, donnant naissance dans son mouvement uniforme à un million d emots divers qui se prêtent l'un à l'autre force et couleur, en sorte que la masse entière ressent dans ses aplombs fluides chaque aport que lui fait la plume au marche, il est auc ciel un mouvement pur dont le détail terrestre est la transcription innombrable." En blind test, j'aurais dit: Pynchon. Sous le soleil de Satan: Depardieu flagellé, Sandrine Bonnaire et sa volubile confession, Pialat psalmodiant. Satan: pas vu pas pris. Contre-jour. Aujourd'hui, évidemment boulevard Saint-Germain, j'ai croisé Ana Karina dans la rue, après l'avoir (re)vue (avec Louison, The Godard-Golden-Girl) la veille au soir dans Une femme est une femme. Contre-jour, vous dis-je. Pialat pleure et tout le monde n'a pas la classe.

Désormais, on peut surfer en roulant dans un train nommé Thalys. Le Wi-Fi ferroviaire : une rame sur quatre pour l'instant. Plus besoin de paysage, donc. Et un vrai reflet de notre démocratie: le cadre qui voyage en "first" aura droit à la connexion gratos tandis que le pékin qui s'obstine à se déplacer en seconde – pardon, en "classe Comfort 2" – devra débourser 6,5 euros pour une heure et à 13 euros pour un accès illimité (rien que ce terme fait frémir, appliqué aux rails). Le train ponctionnera trois fois? Je propose qu'on étende ce principe à l'ensemble d'à peu près tout. Vous rentrez dans une boulangerie, vous sortez votre document attestant que vous êtes imposable sur les grandes fortunes et hop, on vous la donne, la baguette (avec un croissant en prime). Vous brandissez votre carte de chômeur en réglant vos achats au supermarché et bing! une majoration de 10 % ! Mais non, la vie est mal faite, la société retorse, et il subsiste des inégalités, des passe-droits pour les pauvres.
Omega Minor by Paul Verhaeghen wins
Fragments de Lichtenberg: avec ce livre-fougère, Senges se livre à une tentative d'épuisement non d'un lieu donné (l'astre noir lichtenbergien), non de son interprétation (grand roman escamoté dans son unité ou poussières d'énoncés), mais de l'acte même de la lecture conçu comme une écriture à rebours. Partant, il fabrique un objet organique, passible de toutes les monstruosités, gibbosités et métastases galopantes. Œuvre monstrueuse, certes, mais formidablement tenue tel un traité de littératologie: farce à la fois furieuse (un chaos à maîtriser) et systématique, Fragments de Lichtenberg empruntent à l'objet de sa "désétude" un de ses principaux motifs: la structure arborescente, discernable sur la feuille de fougère comme dans le crépitement lézardant de l'éclair – et l'on sait que le "z", avant de proliférer en quinconce, part de la terre, non du ciel. Senges part donc de Lichtenberg, mais non en biographe têtu, plutôt en shaman logique, s'intéressant autant (davantage?) aux marges, échos, contrepoints du phénomène Lichtenberg. Certes, il y a, évidente à chaque page, la soif encyclopédique qui produit ses propres breuvages; la sainte potacherie et l'habile parodie; l'addiction digressive et la tentation taxinomique. Bien sûr, le dispositif mis en œuvre est une folle machine à fabriquer des excroissances narratives, à brasser des hypothèses, à relier des points. Le livre fabrique ses propres métaphores non pour les épuiser mais pour en exalter la folie jubilatoire. Des figures s'enchaînent, des motifs sont déclinés, des variantes se chevauchent sus le prétexte d'une quête à la fois dérisoire et essentielle. Un auteur laisse-t-il un amoncellement ou un tout fracturé? Les aphorismes sont-ils les chaînons manqués d'un vaste maillage? Dressant le portraits d'explorateurs téléologiques tout droit sortis des romans de Jules Vernes ou de Raymond Roussel, Senges cherche moins à stigmatiser l'insensé du décryptage qu'à libérer les forces du fictif. On évitera donc de se laisser aveugler par la structure en apparence infinie du livre, par sa molécularité jubilatoire, pour se concentrer sur l'énoncé sengésien, qui est un art de la ponctuation. C'est comme si Senges ponctuait ses phrases avant de les écrire, intervenant de part et d'autre des parenthèses, s'appuyant sur la virgule et sautant par dessus l'arçon des deux points. La syntaxe est semblable à un dé à 120 faces qui suivrait des dédales au préalable balisées (Senges sait où il va). Elle est ce que l'auteur nomme un "miracle profane", et pour lequel il invente la figure moins badine qu'il n'y paraît de la "biscotte qui ne s'effrite pas". C'est la phrase de Senges qui tient le tout, même si cette phrase ressemble, dans son déploiement, à une patiente et obstinée déflagration. On pense forcément à Pynchon, autre artificier de la grammaire (et à Roussel, on l'a dit lus haut). Mais Fragments de Lichtenberg est également une revisitation des grandes machines littéraires passée – l'œuvre entière de Senges est d'ailleurs placée sous le signe de la "visite", cette forme d'offensive qui n'a rien de touristique, mais tient fondamentalement du viral. Là, encore, tentative d'épuisement, sans jamais le moindre essoufflement. Senges arpente le temps et l'espace littéraire avec des bottes de sept lieues, en marcheur érudit et retors, de la trempe d'un Arno Schmidt. Il ausculte aussi le corps lichtenbergien, fasciné par l'idée de torsion (la torsion de l'idée) lisible dans l'anatomie même de son sujet. Il fait de la bosse à la fois un sac à malices et un ensemble paradoxalement ouvert. Passant cesse du micro au macro, de l'étincelle à l'incendie, maîtrisant magnifiquement l'art du montage et de la disjonction, Senges porte à ébullition la substantificque moelle de la raison fictionnelle avec une endurance qui laisse pantois. A la fois cartographie, orchestre, ragoût (au sens sorrentinesque), bruissement de fables, catalogue déraisonné et épopée impossible, Fragments de Lichtenberg est de ces livres qui vous donnent le sentiment d'écrire en lisant. Senges a écrit là un redoutable Anti-Goethe (comme on disait naguère Anti-Œdipe) fascinant et jubilatoire, inépuisable – depuis Perec, on avait pas vu ça.
Parfois, un livre vous attend à votre chevet. Il ressemble à un pavé et, comme on est en mai, c'est forcément tentant. Il y a le Bolaño, bien sûr. Mais il y a aussi le dernier livre de Pierre Senges, Fragments de Lichtenberg (éd. Verticales). Ce dernier est si tentant, et le temps pour le lire pas encore disponible dans l'organigramme personnel, qu'on se contente de picorer. Il y aurait tout un essai à écrire sur le picorage littéraire – on s'y livre essentiellement en librairie, mais aussi chez des amis, en bibliothèque, par dessus l'épaule du voisin dans les transports en commun, on picore aussi sur le Net, bien sûr. Bref, tout ça pour dire que, picorage aidant, on constate une chose: où qu'on ouvre Fragments de Lichtenberg, on jubile. Force est de constater que Pierre Senges dépasse de cent mille coudées nos plus chouettes prosateurs. Rares sont les écrivains qui aiment autant la syntaxe, la façon d'enclencher la phrase, les fausses pistes, la formule qui vous mord la queue, le liminaire et l'infini… Senges a un sens du langage qui pourrait être pathologique mais qui est tout bonnement génial: il habite le langage comme une main tutoie un gant, en connaissance de cause du cuir et des plis. Il sait ponctuer comme Henry James et Rousseau, il a un lexique qui ravirait Nodier, une souplesse digne de John Barth, un goût des inter-titres que pourrait jalouser Vollmann. Senges sait débuter un paragraphe comme Vialatte, le détrousser comme Senges, le conclure comme Swift. Que ces comparaisons ne laissent point suggérer quelque sampling habile. Le lichtenbergien Senges sait où il va, et peu sont ceux qui donnent autant à un livre. Chaque page est une leçon d'écriture, micro und macro. On pourrait, pour stigmatiser son style, parler de "complaisance" – ce serait une fâcheuse erreur. Senges hante la grammaire de façon migratoire, certes, tel un héron s'essayant à briser sa patte dans un miroir censément liquide, et ce dans une déclinaison de l'excès, souvent parodique. Mais il tient son sujet comme un aigle agrippe sa proie. Comme Arno Schmidt, il produit, au sens noble, une œuvre infinie: au lecteur de s'y damner.


La plasticienne Marylin Rolland a conçu des installations autour de Chair Electrique (Claro), L'Arc en ciel de la gravité (Pynchon), La Réfutation majeure ( Pierre Senges), Anima Motrix (Arno Bertina) et quelques autres (Volodine, Perec, etc.). Cartouches éclectiques sur simple click. Apparitions/disparitions. Evénements. Surfaces. Evasion optique. Digression. Echos. Bon voyage.