mercredi 28 mai 2008

Un hurlement traverse le ciel (extrait)


On l'a dit, Lot 49/Inculte sort fin août un livre collectif sur l'œuvre de Thomas Pynchon (d'autres essais sortiront en Lot49…). Je donnerai ici très bientôt le sommaire exhaustif, mais en attendant, un petit extrait du chapitre que je consacre à un certain Contre-Jour


DÉDOUBLER LES AMARRES
Une des notions clé du dernier roman de Pynchon, Contre-Jour, est certainement la « biréfringence », c’est-à-dire la propriété de double réfraction présentée par le fameux spath d’Islande, cette calcite très pure qui permet à la lumière de se dédoubler – à la lumière, donc à la vision et, partant, à la lecture. De là les nombreuses occurrences de certains mots, certaines expressions, soit à quelques lignes d’intervalle, soit se répondant d’un chapitre à l’autre ; de là les parallélismes des situations, des pensées, des émotions, etc., qui finissent par former une sorte de mystère « gaufré », à la fois sacré et impie.
Ainsi donc, ce que propose Pynchon, n’est pas tant une exégèse qui en cacherait une autre, que deux exégèses, co-existantes, simultanées. Mieux qu’un écho, chaque posture narrative a droit à son retour – éternel ? contingent ? – dans la trame complexe du récit. La bilocation, autre terme important dans le roman, talent propre au personnage de Magyakan, opère non seulement au niveau géographique, mais également historique, voire, parfois, lexical. Est dépassée ainsi la traditionnelle structure en strates d’un récit qui ne se contente pas de recourir à l’allusion. Plutôt qu’un sous-texte dissimulé sous un canon, on se retrouve donc en présence d’une narration biréfringente, cohérente avec la théorie quaternioniste d’une quatrième dimension. Or Pynchon systémise le processus de double réfraction au point de l’inscrire à la fois dans le micro – les particules – et le macro – le Temps, l’Espace.
Les Casse-Cou, ces ados aéronautes qui ouvrent le roman avec l’appel à « single up all line » (à dédoubler les amarres…), existent à la fois dans le monde imaginaire du récit d’aventure pour la jeunesse et dans la réalité décrite dans le roman intitulé Face au Jour. Leur particularité est d’en avoir, parfois, conscience, de sentir passer sur eux, à travers eux, pourrait-on dire, le phénomène de défictionnalisation qui les contraint à habiter le monde donné, situation qui bien souvent les plonge dans une apathie insouciante mâtinée d’effroi latent. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que le roman débute par cette « fausse » entrée, le récit de genre, exercice dans lequel Pynchon excelle, en grand lecteur d’une certaine littérature d’avant-guerre – en l’occurrence, la célèbre série des aventures de Tom Swift, écrite par Victor Appleton, qui s’est déclinée sur de très nombreux titres dont on citera seulement, aéronautisme oblige, Tom Swift and His Aerial Warship , ou encore Tom Swift and His Air Scout. On remarquera pourtant que l’auteur prend soin de ne pas décrire précisément le véhicule céleste à bord duquel embarquent les Casse-cou, l’appelant tantôt skyship, tantôt airship, balloon, etc. De même qu’il se garde bien de nous préciser l’âge de cette joyeuse bande d’aéronautes, estampillés « boys » et parfois désignés comme étant des adolescents. Au nombre de cinq, ou 6 si l’on compte leur chien Pugnax, ils évoquent également d’autres « meutes » célèbres comme les «Famous Five» mis au goût du jour par Enid Blyton dans les années 40 [plus connus en France sous l’appellation de « Club des Cinq », club qui, rappelons-le, comptait en son sein un chien, Timmy, Dagobert dans la version française !]. On pourrait également aller voir du côté de Jules Verne, auteur ayant influencé, entre autres, Herbert George Welles, Welles dont la figure est récurrente dans Against the Day [p. 398 , 407 et 412], et dont Pynchon a pu lire ou parcourir certains volumes – Cinq semaines en ballon, Les Aventures du capitaine Hatterras, Robur le Conquérant, pour ne citer que ces titres […]



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