mercredi 29 janvier 2025

Les à-côtés de la chambre: Quand Almodovar confond agonie et fashion week


Mais qu’est-il arrivé au cinéma d’Almodovar ? Certes, dans La chambre d’à côté, on retrouve son habituel engouement chromatique, cet art chic de juxtaposer des pans de couleurs aux valeurs plus ou moins symboliques (le rouge, le jaune, etc.), ainsi que son goût scénique pour les flash-backs (ici inutiles, lourds), le tout accompagné d’une musique qui prend en charge (servilement, il est vrai) les tensions et les attentes. Mais voilà que, confronté au grave sujet de la mort volontaire, il commet une faute de goût irréparable.

Le personnage qui désire abréger son existence est incarné par Tilda Swinton : première erreur de casting, car celle-ci, censée être photographe de guerre, se pavane pendant tout le film comme si elle enfilait les défilés de mode et sortait d’une longue séance de maquillage. On ne dit pas ici qu’une photographe de guerre n’a pas le droit de mettre tout son argent dans des fringues de luxe (Lee Miller a été modèle, après tout), ni qu’un cinéaste doit renoncer à son esthétique de marques : juste que le meilleur moyen de vouloir nous montrer une femme à l’agonie n’était peut-être pas d’en faire un mannequin désincarné, comme s’il préférait l’actrice Tilda Swinton au personnage de Martha, la surface lisse à l'être tourmenté. D’autant que, une fois admis son train de vie vestimentaire, survient la question de l’endroit où mourir. Et là, bingo, que choisit l’agonisante comme cadre de vie ? Une vaste et somptueuse demeure perdue dans la forêt, avec piscine à débordement, cuisine tout équipée, grand choix de DVDs, et le tout à l’avenant (« C’est un peu cher », dit-elle, mais de préciser que c’est la moindre des choses pour quelqu’un qui veut mourir dans des conditions agréables). Pardon?

On touche là à une obscénité irréparable. Passe encore que Martha soit blanche, friquée et cultivée (oui, elle lit et va au cinéma…), mais a-t-elle vraiment besoin de louer un mois une baraque d’ultra-riche pour adoucir ses derniers jours ? Une maison sans âme, aseptisée, lisse ? L’idée d’un lieu ne lui rappelant rien de sa vie était pourtant intéressante : sauf qu’ici le lieu ne rappelle rien du tout, sinon une richesse vide censé être l'épitomé de la quiétude – comme si seuls les riches savaient crever dans la soie de la quiétude. Bon, Martha est censée mourir d’un cancer de l’utérus qui s’est généralisé (bah oui, c’était une mauvaise mère, son corps la punit…), sauf qu'elle nous est montrée comme quelqu’un d’absolument artificiel, une sorte d’égérie monodimensionnelle qui, lasse des protocoles chimiques, recherche et trouve la beauté et l’apaisement final dans… dans… le luxe le plus creux qui soit! Elle ne se donne les moyens de sa mort que parce qu'elle a les moyens financiers de mourir. Ouch.

Julianne Moore, elle, interprète Ingrid (!), une écrivaine qui semble avoir pour hantise première la mort. Hein ? Mais d’où lui vient cette étrange hantise (en général, les gens adorent la mort, non ?), dont il paraît qu’elle fait le sujet de ses livres ? Mystère. Elle n’est ici qu’un contrepoint artificiel à Martha, et elle a beau grimacer dès que le mot « mort » est prononcé, on ne voit pas en quoi son amitié pour la mourante transcende qui ou quoi que ce soit.

Le film, qui se voulait un chant d’amitié autour d’une agonie abrégée, vire in extremis à l’intrigue policière. Un flic croyant (et sûrement trumpiste) n’aime pas l’idée qu’une femme ait aidé une autre femme à mourir – avait-on vraiment besoin de cet épilogue bancal, qui n’aboutit à rien (ouf, Ingrid a un pote qui lui déniche une avocate à la hauteur…). Et comme si ça ne suffisait pas dans le lourdingue, voilà que débarque la fille mal-aimée de Martha, jouée par, surprise!, Tilda Swinton, histoire qu’on comprenne bien qu’une fille n’est que le fantôme de sa mère.

Almodovar a souvent été « lourd », mais sa pesanteur était une forme de grâce dopée à la tragédie antique ; ici, ce sont juste de gros sabots revisités par Louboutin.

2 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec vous. Bien déçue par cet Almodovar. En son temps, un autre cineaste avait evoqué la fin de vie. Brize je crois ou Lloret. Avec un tout autre registre.

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  2. Quelques heures de printemps" de Stephane Brizé...retrouvé le titre decet autre film sur la fin de vie

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