Mais qu’est-il arrivé au cinéma d’Almodovar ? Certes, dans La chambre d’à côté, on retrouve son habituel engouement chromatique, cet art chic de juxtaposer des pans de couleurs aux valeurs plus ou moins symboliques (le rouge, le jaune, etc.), ainsi que son goût scénique pour les flash-backs (ici inutiles, lourds), le tout accompagné d’une musique qui prend en charge (servilement, il est vrai) les tensions et les attentes. Mais voilà que, confronté au grave sujet de la mort volontaire, il commet une faute de goût irréparable.
Le personnage
qui désire abréger son existence est incarné par Tilda Swinton : première erreur
de casting, car celle-ci, censée être photographe de guerre, se pavane
pendant tout le film comme si elle enfilait les défilés de mode et sortait d’une
longue séance de maquillage. On ne dit pas ici qu’une photographe de guerre n’a
pas le droit de mettre tout son argent dans des fringues de luxe (Lee Miller a été modèle, après tout), ni qu’un
cinéaste doit renoncer à son esthétique de marques : juste que le meilleur moyen de vouloir
nous montrer une femme à l’agonie n’était peut-être pas d’en faire un mannequin
désincarné, comme s’il préférait l’actrice Tilda Swinton au personnage de
Martha, la surface lisse à l'être tourmenté. D’autant que, une fois admis son train de vie vestimentaire, survient la
question de l’endroit où mourir. Et là, bingo, que choisit l’agonisante comme
cadre de vie ? Une vaste et somptueuse demeure perdue dans la forêt, avec
piscine à débordement, cuisine tout équipée, grand choix de DVDs, et le tout à l’avenant (« C’est un peu cher », dit-elle, mais
de préciser que c’est la moindre des choses pour quelqu’un qui veut mourir dans
des conditions agréables). Pardon?
On touche là à une obscénité irréparable. Passe
encore que Martha soit blanche, friquée et cultivée (oui, elle lit et va au cinéma…),
mais a-t-elle vraiment besoin de louer un mois une baraque d’ultra-riche pour
adoucir ses derniers jours ? Une maison sans âme, aseptisée, lisse ? L’idée d’un
lieu ne lui rappelant rien de sa vie était pourtant intéressante : sauf qu’ici
le lieu ne rappelle rien du tout, sinon une richesse vide censé être l'épitomé de la quiétude – comme si seuls les riches savaient crever dans la soie de la quiétude. Bon, Martha est censée mourir d’un
cancer de l’utérus qui s’est généralisé (bah oui, c’était une mauvaise mère, son
corps la punit…), sauf qu'elle nous est montrée comme quelqu’un d’absolument
artificiel, une sorte d’égérie monodimensionnelle qui, lasse des protocoles chimiques, recherche et trouve la
beauté et l’apaisement final dans… dans… le luxe le plus creux qui soit! Elle ne se donne les moyens de sa mort que parce qu'elle a les moyens financiers de mourir. Ouch.
Julianne
Moore, elle, interprète Ingrid (!), une écrivaine qui semble avoir pour hantise
première la mort. Hein ? Mais d’où lui vient cette étrange hantise (en général, les
gens adorent la mort, non ?), dont il paraît qu’elle fait le sujet de ses livres
? Mystère. Elle n’est ici qu’un contrepoint artificiel à Martha, et elle a beau
grimacer dès que le mot « mort » est prononcé, on ne voit pas en quoi son amitié
pour la mourante transcende qui ou quoi que ce soit.
Le film, qui se voulait un
chant d’amitié autour d’une agonie abrégée, vire in extremis à l’intrigue
policière. Un flic croyant (et sûrement trumpiste) n’aime pas l’idée qu’une femme ait aidé une autre femme à
mourir – avait-on vraiment besoin de cet épilogue bancal, qui n’aboutit à rien
(ouf, Ingrid a un pote qui lui déniche une avocate à la hauteur…). Et comme si ça ne
suffisait pas dans le lourdingue, voilà que débarque la fille mal-aimée de
Martha, jouée par, surprise!, Tilda Swinton, histoire qu’on comprenne bien qu’une fille
n’est que le fantôme de sa mère.
Almodovar a souvent été « lourd », mais sa pesanteur était une forme de grâce dopée à la tragédie antique ; ici, ce sont juste
de gros sabots revisités par Louboutin.
Tout à fait d'accord avec vous. Bien déçue par cet Almodovar. En son temps, un autre cineaste avait evoqué la fin de vie. Brize je crois ou Lloret. Avec un tout autre registre.
RépondreSupprimerQuelques heures de printemps" de Stephane Brizé...retrouvé le titre decet autre film sur la fin de vie
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