mercredi 4 janvier 2017

Jamais sans mon glow: la magie Beauman

Je pourrais essayer de vous résumer l’intrigue de Glow, le nouveau livre du jeune prodige anglais Ned Beauman, mais ça risquerait de prendre trois cents pages, autrement dit autant de pages qu’en comporte ce roman qui se déroule si on peut dire en temps réel – quinze jours de mai 2010, découpés en heures précises, plus une coda. Pourquoi ? Parce que en plus d’être le digne successeur du Pynchon de La vente à la criée du lot 49, Glow semble se nourrir de sa propre substance – clairement illicite – pour faire de l’intrigue un processus chimiquement instable. On pourrait d’ailleurs dire de ce roman ce qu’un des personnages, Isaac, dit de sa vision rêvée du corps :
« Imagine que ton corps soit presque entièrement composé de doigts, et que ces doigts puissent se plier, se tordre et se tortiller dans tous les sens, qu’ils aient des ventouses au bout et qu’ils soient truffés de fibres sensorielles. Imagine un peu la densité synaptique qu’il te faudrait pour gérer tout ça. »

Eh bien, le lecteur va apprendre à jouer du synapse grâce à la prose hyper dopée de Beauman, pour qui toutes choses ou presque peut s’expliquer de façon chimique, qu’il s’agisse des sentiments, des motivations humaines, des renards, de la lumière, etc., sans que pour autant son univers en soit dé-poétisée. C’est en fait le contraire qui se produit, et les drogues – présentes sous d’innombrables formes dans le roman – ne font que rehausser la grammaire du réel que Beauman change tambour battant en attraction psycho-foraine. Au départ, ce pourrait être une simple histoire de ravers en quête d’ectasy qui fricotent autour d’une radio-pirate, mais très vite ça devient un techno-thriller où tout est plus birman qu’on ne le croie. Ça commence par un couple nu dans le tambour d’un sèche-linge et ça finit en extase boréale. La terre tourne, les têtes tournent, et la bille du récit n’en finit pas de rebondir sur les différentes cases de la roulette folle que fait tourner l’auteur.

Il faut dire que le personnage principal – Raf, 22 ans – souffre du syndrome hypernycthéméral. Son rythme circadien est donc déréglé, ce qui veut dire en gros que son horloge interne comporte 25 heures, d’où un décalage plutôt fâcheux avec le train-train jour-nuit. Pas de traitement connu – alors autant s'exploser en marge. C’est ici qu’intervient une nouvelle substance, aussi rare que mythique – le « glow » –, dont la seule rumeur (et les enjeux qu’elle semble avoir mis en branle) équivaut à une menace.  Apparemment, le glow intéresse une société minière, Lacebark, qui cherche à diversifier ses activités (et éponger ses dettes), suite une aventure industrielle assez calamiteuse en Birmanie. Lacebark ne reculera devant rien pour imposer sa loi au marché. Et le pauvre Raf se retrouve pris entre l’écorce complotiste et son idylle avec Cherish. En plus, il doit s'occuper d'un chien et apprendre à réussir le curry. J’arrête là le résumé, qui, je l’ai dit, nous emmènerait trop loin.

Ned Beauman a le chic pour bombarder son lecteur d’informations scientifiques, relatives aux diverses réactions chimiques que notre corps expérimente à son insu ou non, sans pour autant jamais nous égarer, et ce grâce à un bon sens didactique qui fonctionne à la fois au carburant trivial et aux vitamines poétiques. Par exemple, la copine de Raf s’enfile une rasade de vodka pour d’excellentes raisons :
« J’ai eu deux orgasmes, alors j’ai le cerveau rempli d’ocytocine […], ce qui ne va me donner envie d’établir un lien de couple avec toi et ensuite, disons, de pleurer quand tu n’appelleras pas. Mais l’alcool contrarie la production d’hormones de l’hypothalamus et de l’hypophyse. Donc si je bois une substance neurotoxique juste après qu’on a baisé, je n’établis pas autant de lien avec toi. »

CQFD ? Tout comme. Après cette info, on peut aller s’égarer entre Mandalay et la frontière avec le Yunnan, à Gandayaw. Oui, c’est parti. Kidnapping, curry, renard intelligent, fourgonnettes blanches, neurotransmetteurs catécholiques, Lotophages, jungle birmane… Avec Beauman, le trip est le message, et le lecteur a vite « les pupilles du diamètre d’un obusier ». C'est à peine une exagération, S’il ne vous reste plus d’éthylbuphédrone, n’hésitez pas : défoncez-vous à Glow. C’est la meilleure façon qu’on ait trouvée jusqu’ici de bien commencer l’année.

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Ned Beauman, Glow, traduit (avec brio) de l’anglais par Catherine Richard-Mas, éditions Joëlle Losfeld, 22 €

3 commentaires:

  1. Il me faisait déjà envie donc plus d'hésitation, je vais m'y plonger dedans sans tarder. Dans le genre génialement barré (mais sans la drogue), c'est "Je m'appelle Nathan Lucius" de Mark Winkler qui m'a filé ma première claque littéraire de l'année. Ça paraît à la fin du mois chez Métailié.

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  2. Quoi, 22 € !? Ça fait un quarantième d'iPhone !!!

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  3. Orgasme ou pas, il n'y a pas de rapport sexuel.

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