Je pourrais essayer de vous résumer l’intrigue de Glow, le nouveau livre du jeune prodige anglais Ned Beauman, mais
ça risquerait de prendre trois cents pages, autrement dit autant de pages qu’en
comporte ce roman qui se déroule si on peut dire en temps réel – quinze jours
de mai 2010, découpés en heures précises, plus une coda. Pourquoi ? Parce
que en plus d’être le digne successeur du Pynchon de La vente à la criée du lot 49, Glow semble se nourrir de sa propre
substance – clairement illicite – pour faire de l’intrigue un processus
chimiquement instable. On pourrait d’ailleurs dire de ce roman ce qu’un des
personnages, Isaac, dit de sa vision rêvée du corps :
« Imagine que ton corps soit presque entièrement composé de doigts, et que ces doigts puissent se plier, se tordre et se tortiller dans tous les sens, qu’ils aient des ventouses au bout et qu’ils soient truffés de fibres sensorielles. Imagine un peu la densité synaptique qu’il te faudrait pour gérer tout ça. »
Eh bien, le lecteur va apprendre à jouer du synapse grâce à la prose
hyper dopée de Beauman, pour qui toutes choses ou presque peut s’expliquer de
façon chimique, qu’il s’agisse des sentiments, des motivations humaines, des
renards, de la lumière, etc., sans que pour autant son univers en soit dé-poétisée.
C’est en fait le contraire qui se produit, et les drogues – présentes sous
d’innombrables formes dans le roman – ne font que rehausser la grammaire du
réel que Beauman change tambour battant en attraction psycho-foraine. Au
départ, ce pourrait être une simple histoire de ravers en quête d’ectasy qui
fricotent autour d’une radio-pirate, mais très vite ça devient un
techno-thriller où tout est plus birman qu’on ne le croie. Ça commence par un
couple nu dans le tambour d’un sèche-linge et ça finit en extase boréale. La
terre tourne, les têtes tournent, et la bille du récit n’en finit pas de
rebondir sur les différentes cases de la roulette folle que fait tourner
l’auteur.
Il faut dire que le personnage principal – Raf, 22 ans – souffre du
syndrome hypernycthéméral. Son rythme circadien est donc déréglé, ce qui veut
dire en gros que son horloge interne comporte 25 heures, d’où un décalage
plutôt fâcheux avec le train-train jour-nuit. Pas de traitement connu – alors
autant s'exploser en marge. C’est ici qu’intervient une nouvelle substance, aussi
rare que mythique – le « glow » –, dont la seule rumeur (et les
enjeux qu’elle semble avoir mis en branle) équivaut à une menace. Apparemment, le glow intéresse une
société minière, Lacebark, qui cherche à diversifier ses activités (et éponger
ses dettes), suite une aventure industrielle assez calamiteuse en Birmanie.
Lacebark ne reculera devant rien pour imposer sa loi au marché. Et le pauvre
Raf se retrouve pris entre l’écorce complotiste et son idylle avec Cherish. En plus, il doit s'occuper d'un chien et apprendre à réussir le curry. J’arrête là le résumé, qui, je l’ai dit, nous emmènerait trop loin.
Ned Beauman a le chic pour bombarder son lecteur d’informations
scientifiques, relatives aux diverses réactions chimiques que notre corps
expérimente à son insu ou non, sans pour autant jamais nous égarer, et ce grâce
à un bon sens didactique qui fonctionne à la fois au carburant trivial et aux vitamines
poétiques. Par exemple, la copine de Raf s’enfile une rasade de vodka pour
d’excellentes raisons :
« J’ai eu deux orgasmes, alors j’ai le cerveau rempli d’ocytocine […], ce qui ne va me donner envie d’établir un lien de couple avec toi et ensuite, disons, de pleurer quand tu n’appelleras pas. Mais l’alcool contrarie la production d’hormones de l’hypothalamus et de l’hypophyse. Donc si je bois une substance neurotoxique juste après qu’on a baisé, je n’établis pas autant de lien avec toi. »
CQFD ? Tout comme. Après cette info, on peut aller s’égarer entre
Mandalay et la frontière avec le Yunnan, à Gandayaw. Oui, c’est parti.
Kidnapping, curry, renard intelligent, fourgonnettes blanches,
neurotransmetteurs catécholiques, Lotophages, jungle birmane… Avec Beauman, le
trip est le message, et le lecteur a
vite « les pupilles du diamètre d’un obusier ». C'est à peine une exagération, S’il ne vous reste
plus d’éthylbuphédrone, n’hésitez pas : défoncez-vous à Glow. C’est la meilleure façon qu’on ait
trouvée jusqu’ici de bien commencer l’année.
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Ned Beauman, Glow, traduit (avec brio) de l’anglais par Catherine Richard-Mas, éditions Joëlle Losfeld, 22 €
Il me faisait déjà envie donc plus d'hésitation, je vais m'y plonger dedans sans tarder. Dans le genre génialement barré (mais sans la drogue), c'est "Je m'appelle Nathan Lucius" de Mark Winkler qui m'a filé ma première claque littéraire de l'année. Ça paraît à la fin du mois chez Métailié.
RépondreSupprimerQuoi, 22 € !? Ça fait un quarantième d'iPhone !!!
RépondreSupprimerOrgasme ou pas, il n'y a pas de rapport sexuel.
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