Avis aux traducteurs : si
vous débutez dans le métier, on ne saurait trop vous conseiller la lecture de
Portraits de traducteurs, le numéro 50 de la revue TransLittérature, qui fête par la même occasion ses 25 ans de
publication. Cette revue, née en 91, qui compte plus de trois cents
contributeurs, est édité par l’ATLF, l’Association des Traducteurs littéraires
de France. Et ce numéro 50 est exclusivement composé d’entretiens avec des
traducteurs, à qui l’on a demandé de retracer leur parcours, d’évoquer leurs
motivations, etc. Si donc vous faites vos premiers pas dans le monde enchanté
de la traduction – ou même si vous êtes un translateur chevronné – foncez
dessus.
Qu’est-ce qui fait qu’un jour on
devient traducteur ? A cette question, les réponses, si elles sont
multiples, restent toujours très personnelles et surprenantes. Pour Matthieu
Dumont, traducteur de l’allemand et de l’anglais, tout a commencé à un oratorio
de Haydn, La Création. Il chantait dans un chœur, en allemand, et « de
cette émotion esthétique initiale a germé [son] affection pour cet allemand
sensuel, courroucé, démiurgique ». Haydn, donc. Mais pas que. Dumont ne
pouvait également s’empêcher de traduire mentalement les paroles des chansons
de rock anglais qu’il écoutait. Oui, parce que Riders on the Storm, de Jim
Morrison, on peut le fredonner aussi « passagers de la tourmente »…
Autre élément fondateur : la lecture. Yes, because « faire des
trucs impensables comme lire toute La légende des siècles », c’est formateur.
Notez ça, jeunes traducteurs. Fermez votre Robert & Collins et ouvrez Hugo, ou Proust, ou Claude Simon, vous gagnerez non pas du temps mais de quoi exercez
votre mastication de la langue.
Traduire, c’est traduire un
texte. Un bon texte ? De préférence, car « un bon texte a pour fonction
d’empêcher qu’on s’encroûte, de soumettre toujours notre langue à son épreuve
inédite » (toujours Dumont). Donc, travaillez votre revers, les aminches,
puisqu’il en va « des traducteurs comme des joueurs ou des joueuses de
tennis » : il y a ceux qui bossent en fond de cour, et ceux qui
montent au filet – l’image, là encore, est de Dumont, et elle n’est pas sans
pertinence.
Les entretiens se succèdent, tous
passionnants, animés, sous-tendus par une évidente flamme. Emmanuelle et
Philippe Aronson vous apprendront comment fonctionner en binôme, pardon, en
couple, et qu’il peut être utile de se faire conseiller par le frère d’une amie
bibliothécaire corse, militaire fraichement débarqué d’Irak qui repart en
Afghanistan. Traduire, c’est aussi ça : s’engager.
Valérie Le Plouhinec, qui traduit
de l’anglais des textes pour la jeunesse, compare, elle, le traducteur à un
« brodeur-violoniste », ainsi qu’à une « dentellière-comédienne »
– tout un programme. François-Michel Durazzo
(traducteur de l’espagnol et du catalan, entre autres…), rappelle à juste titre
que « traduire, c’est lire de manière active. C’est lire et écrire en même
temps. »
Souvent, l’envie de traduire
vient d’une origine familiale (« j’ai commencz à apprendre le polonais,
parce que j’ai perdu ma grand-mère à ce moment-là, dont la famille, demeurant à
Lodz, ne parlait pas d’autre langue » — Frédérique Laurent), d’un voyage,
de l’achat d’un livre, comme c’est le cas pour Antoine Chalvin, qui, parti sac
à dos en Finlande, acheta sur place une méthode de finnois et la traduction
française du Kalevala. Vous pouvez
aussi vous fourvoyer en maths sup, comme Laurence Sendrowicz, mais rêver de
faire du théâtre pour finir par aller en Israël et devenir, chemin aidant,
traductrice de l’hébreu. Ou faire un saut dans une librairie, comme Danièle
Valin, et tomber sur un livre d’Erri De Luca, et hop, c’est le début d’une
idylle textuelle promise à un bel avenir. Ou, là encore par la magie d’un livre
– Le Merveilleux voyage de Nils
Holgersson à travers la suède, découvert au CM1, s’éprendre d’un pays, puis
de sa langue – le cas de Jean-Baptiste Coursaud, qui a retraduit Le Palais de glace, la merveille de
Tarjei Vesaas.
Le point commun à tous ces
travailleurs du texte ? La passion. Une passion née d’une rencontre, d’un
livre, d’un voyage – parce qu’un master, c’est bien joli, hein, mais si vous ne
brûlez pas déjà un petit peu, inutile de jouer avec les allumettes.
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TransLittérature, n°50, automne 2016, éditée par l’ATLF, 10€
(Merci à Corinna Gepner, trésorière de l’Association des
traducteurs littéraires de France (ATLF) et membre du conseil d’administration
du régime RAAP, le régime de retraite complémentaire des auteurs, qui a eu la
gentillesse de m’envoyer un exemplaire de la revue)