vendredi 27 mai 2016

L'écrivain ne fait-il vraiment travailler personne? Coucou le MEDEF !

Récemment, on a pu lire des propos édifiants de Laurence Parisot, présidente du MEDEF, propos visant à expliquer pourquoi elle ne signerait pas l'appel à limiter la rémunération des patrons du CAC 40. Selon elle, certaines catégories socio-professionnelles échapperaient honteusement à ce radar. ET de citer entre autres exemples:
"un écrivain à succès qui empoche 1,8 million de droits d’auteur et qui ne fait travailler personne."
C'est assez amusant, cette façon de considérer le travail de l'écrivain. "Quelqu'un qui ne fait travailler personne." Certes, un écrivain n'a pas la flamboyance débonnaire d'un patron qui fait travailler plein de gens (ou, alternative, en licencie plein…), mais bon, de là à dire que sa place dans la chaîne du travail fait de lui un acteur économique de dimension zéro, c'est un peu poussé.

Je suis loin de toucher 1,8 million de droits d'auteur, mais j'aime à considérer les choses ainsi: je ne suis pas l'employé de l'éditeur, parce qu'en fait c'est presque l'inverse qui est vrai. Du fait que j'écris, mon travail mobilise nécessairement l'embauche de différentes catégories professionnelles afin de transformer ledit travail en livre imprimé, diffusé, vendu, emprunté, photocopié, joué, cité, adapté, etc. Paradoxalement, donc, je pourrais très bien, en poussant le bouchon, considérer que l'éditeur est mon employé.

On me rétorquera que mes livres, comme ceux de la majorité de mes confrères, se vendent peu, donc que nous ne comptons pas vraiment dans la balance. Mais comme nous n'avons pas forcé l'éditeur à nous publier, nous en déduisons naïvement qu'il a jugé nécessaire de nous publier. Ce qui fait que, du moins théoriquement, si nous n'écrivions plus, ledit éditeur se retrouverait au chômage. Ça ne se produit pas ainsi, bien sûr, puisqu'il y aura toujours des auteurs à publier. Mais il n'empêche: mon travail, aussi peu reconnu soit-il, justifie à sa dérisoire mesure l'embauche des nombreuses personnes qui contribuent à faire fonctionner la chaîne du livre. Que la nécessité de nos livres soit toute relative ne les exclue pas de leur poids économique. C'est même précisément parce que leur nécessité est toute relative qu'ils permettent que l'économie du livre soit autre chose qu'une entreprise de traitement objectif de produits.

Chère Laurence Parisot, quand on défend aussi bien que vous les intérêts du patronat, on devrait, je pense, hésiter un peu avant d'utiliser le verbe "empocher" quand on parle des écrivains. Il vous va si bien, alors ne le prêtez pas à n'importe qui.

[Je signale par ailleurs qu'une pétition circule en ce moment sur ce sujet, signé par de nombreux écrivains.]








5 commentaires:

  1. Et un enfumage de plus de la part du MEDEF... cela me rappelle, en 2003, la grande grève des intermittents du spectacle, dont je fais partie (catégorie "techniciens", je le précise, je ne touche pas les salaires qu'empochent Depardieu et consorts, très loin de là !), nous nous sommes fait huer et prendre à partie par les commerçants, hôteliers, restaurateurs, loueurs de logements divers et pas toujours très reluisants, bien que chers (festival oblige, vous comprenez, c'est la loi du marché, celle de l'offre et de la demande...), sans parler du public, en raison justement de l'annulation d'un très grand nombre de festivals et du manque à gagner induit pour tous ces marchands du temple... qui sont prêts à empocher tous les bénéfices des multiples retombées des différentes manifestations culturelles, mais nous considèrent comme des saltimbanques nantis honteusement privilégiés, tout juste bons à faire tomber les deniers dans leurs escarcelles, mais surtout en acceptant tout, en fermant notre gueule et en disant "merci et amen !"... à quand les vrais chiffres des retombées économiques de la culture - sous toute ses formes- dans l'économie nationale ?

    Jules

    RépondreSupprimer
  2. Et du coup, bien que n'étant pas écrivain, j'ai signé la pétition !

    Jules

    RépondreSupprimer
  3. La grande tristesse de ces sombres politiciens qui ne mesurent l'intérêt d'un individu qu'à l'aune de la proportion de richesse qu'il génère. C'est aberrant mais tellement prévisible. M'enfin, c'est comme ça, et c'est pourquoi en ces temps de lobotomie perpétuelle, il faut plus que jamais serrer les rangs. Merci pour le lien sur la pétition !

    RépondreSupprimer
  4. que lis-je

    "Je suis loin de toucher 1,8 million de droits d'auteur"
    la durée n'étant pas précisée cela pourrait être sur 1000 ans, auquel cas....
    uchronie quand tu nous tiens....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Jean-Louis,

      Vous semblez oublier, dans votre uchronie, que les droits d'auteur s'arrêtent 70 ans après la mort de l'auteur en question, alors même avec les années de guerre qui comptent double, si jamais les 1,8 million d'euros de droits sont atteints, ils iront dans la poche des éditeurs, pas dans celle de l'auteur ni de ses ayants droit... ça reste donc bien de l'enfumage jusqu'au bout !

      Cordialement,

      Jules.

      Supprimer