A quels saint vouer Frère des astres de Julien Delmaire sinon à saint Benoît et
Germain Nouveau ? D’emblée, l'auteur en fait les astres dominants
sous lesquels son récit va cheminer. On sait quel pèlerin fut Benoît
Labre : né au milieu du dix-huitième siècle à Amettes (Pas-de-Calais) comme le
protaginiste de Frère des Astres, il mena une vie d’errance, de
mystique-vagabond, offrant aux pauvres le peu d’argent dont on lui faisait
l’aumône, et ce jusqu’à sa mort en 1783, quand un certain Zaccarelli
l’aperçut, gisant sur le parvis d’une église – le lecteur retrouvera d’ailleurs
ce Zaccarelli à la fin du livre. Benoît Labre, dont « les peines d’esprit
donnaient à craindre pour sa tête », ainsi qu’il est précisé dans le
registre du noviciat de l’abbaye de Sept-Fons.
Quant à Germain Nouveau, né un
siècle plus tard, en double tremblé de Rimbaud, il mena également une vie de
mendiant et de pèlerin sous l’égide, justement, de saint Benoît. Deux
« clochards célestes » donc, dans la lignée poignante desquels Delmaire place
son jeune Benoît, qui va errer de ville en ville au cours de sept chapitres
aux intitulés stellaires (Septentrion, Aldebaran, Sirius, Cassiopée…).
Pour raconter l’aheurtée
trajectoire de son saint contemporain, en proie aux tourments mystiques, jeune homme
supposé bipolaire ou du moins perturbé qui quitte sa mère et sa fratrie pour s’en aller
ausculter les lieux saints mais surtout battre la campagne, Delmaire parvient à
conjuguer deux partis pris stylistiques possiblement antinomiques : des
phrases courtes à la syntaxe en apparence rudimentaire, mais travaillées comme
des enluminures vivantes. Un récit au présent, essentiellement descriptif, qui
s’attache aux pas et trébuchements de Benoît et lui offre, en un perpétuel
recommencement, une multitude d’écrins sensoriels.
Envisagé sous le double
aspect de sa chair malmenée – par la faim, les coups, le climat, la route – et
de son esprit ivre de piété, cet « apôtre sans avenir » traverse la
France en quête d’épiphanies. Et c’est là où Delmaire surprend et bouleverse,
par l’acuité souvent décalée de ses notations, qui transforment le décor du monde en « opéra fabuleux ». Benoît, Delmaire ne le lâche pas, lui forgeant une langue à la radiance quasi animiste. A la fois profane et
contemplatif, à mi chemin du Saint Julien
l’Hospitalier de Flaubert et des Dharma
Bums de Kerouac, son récit mêle bohème et dévotion en une geste fervente sans
jamais perdre de vue l’horizon d'indigence sur lequel évolue, comme
sur une lame, son personnage.
En redonnant chair à l’expérience
hiératique, Delmaire fait de l’odyssée de Benoît un apprentissage du dénuement :
« Il s’éveille. Il se lève. Il prie. Il a soif. C’est auprès des morts que l’on s’abreuve. Dans un cimetière en bord de route, il déniche un robinet et boit à s’en faire gonfler le ventre. L’eau donne l’illusion de satiété, évite que l’estomac ne se rétracte. Personne n’a appris à Benoît les gestes de la débrouille ; les Evangiles n’enseignent pas la survie, les petites combines des mendigots. »
S’offrant parfois le luxe de
l’humour ou du clin d’œil, flirtant avec l’emphatique pour mieux lui inoculer
le trivial, Delmaire fait de chaque image une évidence réinventée : « La faim revient fouiller son
bide » ; « son visage est chaviré d’une joie
précaire » ; « la pluie s’impatiente » ; « le
crépuscule réconcilie les couleurs » ; « le pèlerin se saoule au
goulot du vent ». De page en page, Benoît avance, tutoie la boue, croise des
déchus, sème sa foi, invitant le lecteur à un sacre des saisons célébré avec vigueur et inventivité de bout
en bout.
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Julien Delmaire, Frère des
astres, éd. Grasset, 17 €
Oui, oui et encore oui. Son précédent roman, déjà...
RépondreSupprimerCe terme, "clochard céleste", il n'y a que nous, sédentaires confortablement assis, qui l'employons en regardant le ciel à travers la fenêtre double vitrage.
RépondreSupprimerLe beau livre suscite une belle critique.
RépondreSupprimerOriginaire d'un village situé à 5 km d'amettes, me procurer le livre je dois!!!
RépondreSupprimerJe n'aurai sans doute jamais l'occasion de lire ce livre, comme tant d'autres dont il est question sur ce blog. Je ne me donnerai pas l'occasion, je ne saisirai pas cette chance, on fait des choix. Et rien pourtant n'entame l'intérêt de lire ces quelques paragraphes, le plaisir de relire plusieurs fois une formule trouvée exprès, tout particulièrement pour le livre dont il est question. On ne s'ennuie pas sur ce blog, moi je m'amuse beaucoup, ça me réveille si c'est un jour où par hasard j'en ai besoin, par exemple ce matin.
RépondreSupprimerBeau texte.
D.