lundi 14 mars 2016

Le pèlerin nouveau: Delmaire aux étoiles

A quels saint vouer Frère des astres de Julien Delmaire sinon à saint Benoît et Germain Nouveau ? D’emblée, l'auteur en fait les astres dominants sous lesquels son récit va cheminer. On sait quel pèlerin fut Benoît Labre : né au milieu du dix-huitième siècle à Amettes (Pas-de-Calais) comme le protaginiste de Frère des Astres, il mena une vie d’errance, de mystique-vagabond, offrant aux pauvres le peu d’argent dont on lui faisait l’aumône, et ce jusqu’à sa mort en 1783, quand un certain Zaccarelli l’aperçut, gisant sur le parvis d’une église – le lecteur retrouvera d’ailleurs ce Zaccarelli à la fin du livre. Benoît Labre, dont « les peines d’esprit donnaient à craindre pour sa tête », ainsi qu’il est précisé dans le registre du noviciat de l’abbaye de Sept-Fons.
Quant à Germain Nouveau, né un siècle plus tard, en double tremblé de Rimbaud, il mena également une vie de mendiant et de pèlerin sous l’égide, justement, de saint Benoît. Deux « clochards célestes » donc, dans la lignée poignante desquels Delmaire place son jeune Benoît, qui va errer de ville en ville au cours de sept chapitres aux intitulés stellaires (Septentrion, Aldebaran, Sirius, Cassiopée…).

Pour raconter l’aheurtée trajectoire de son saint contemporain, en proie aux tourments mystiques, jeune homme supposé bipolaire ou du moins perturbé qui quitte sa mère et sa fratrie pour s’en aller ausculter les lieux saints mais surtout battre la campagne, Delmaire parvient à conjuguer deux partis pris stylistiques possiblement antinomiques : des phrases courtes à la syntaxe en apparence rudimentaire, mais travaillées comme des enluminures vivantes. Un récit au présent, essentiellement descriptif, qui s’attache aux pas et trébuchements de Benoît et lui offre, en un perpétuel recommencement, une multitude d’écrins sensoriels.

Envisagé sous le double aspect de sa chair malmenée – par la faim, les coups, le climat, la route – et de son esprit ivre de piété, cet « apôtre sans avenir » traverse la France en quête d’épiphanies. Et c’est là où Delmaire surprend et bouleverse, par l’acuité souvent décalée de ses notations, qui transforment le décor du monde en « opéra fabuleux ». Benoît, Delmaire ne le lâche pas, lui forgeant une langue à la radiance quasi animiste. A la fois profane et contemplatif, à mi chemin du Saint Julien l’Hospitalier de Flaubert et des Dharma Bums de Kerouac, son récit mêle bohème et dévotion en une geste fervente sans jamais perdre de vue l’horizon d'indigence sur lequel évolue, comme sur une lame, son personnage.

En redonnant chair à l’expérience hiératique, Delmaire fait de l’odyssée de Benoît un apprentissage du dénuement :
« Il s’éveille. Il se lève. Il prie. Il a soif. C’est auprès des morts que l’on s’abreuve. Dans un cimetière en bord de route, il déniche un robinet et boit à s’en faire gonfler le ventre. L’eau donne l’illusion de satiété, évite que l’estomac ne se rétracte. Personne n’a appris à Benoît les gestes de la débrouille ; les Evangiles n’enseignent pas la survie, les petites combines des mendigots. »
S’offrant parfois le luxe de l’humour ou du clin d’œil, flirtant avec l’emphatique pour mieux lui inoculer le trivial, Delmaire fait de chaque image une évidence réinventée  : « La faim revient fouiller son bide » ; « son visage est chaviré d’une joie précaire » ; « la pluie s’impatiente » ; « le crépuscule réconcilie les couleurs » ; « le pèlerin se saoule au goulot du vent ». De page en page, Benoît avance, tutoie la boue, croise des déchus, sème sa foi, invitant le lecteur à un sacre des saisons célébré avec vigueur et inventivité de bout en bout. 
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Julien Delmaire, Frère des astres, éd. Grasset, 17 €


5 commentaires:

  1. Oui, oui et encore oui. Son précédent roman, déjà...

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  2. Ce terme, "clochard céleste", il n'y a que nous, sédentaires confortablement assis, qui l'employons en regardant le ciel à travers la fenêtre double vitrage.

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  3. Le beau livre suscite une belle critique.

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  4. Originaire d'un village situé à 5 km d'amettes, me procurer le livre je dois!!!

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  5. Je n'aurai sans doute jamais l'occasion de lire ce livre, comme tant d'autres dont il est question sur ce blog. Je ne me donnerai pas l'occasion, je ne saisirai pas cette chance, on fait des choix. Et rien pourtant n'entame l'intérêt de lire ces quelques paragraphes, le plaisir de relire plusieurs fois une formule trouvée exprès, tout particulièrement pour le livre dont il est question. On ne s'ennuie pas sur ce blog, moi je m'amuse beaucoup, ça me réveille si c'est un jour où par hasard j'en ai besoin, par exemple ce matin.
    Beau texte.
    D.

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