mardi 20 mars 2018

A l'école du crottin de cheval

A ceux et celles qui souvent se plaignent qu'un texte, un passage, n'est pas assez clair, manque de clarté, semble vouloir s'en passer, on aimerait répondre que, même si souvent l'opaque ne cache que lui-même, par un vain effet de profondeur, il est vrai aussi que l'écriture n'est pas pur dévoilement, n'est pas travaillé epar le seul souci d'éclaircissement. Un livre qui ferait lumière sur tout, à commencer par lui-même, serait tellement surexposé à la lecture qu'il n'imprimerait sur nos rétines que sa simple trace, nous privant de perspectives et, partant, d'angles morts. Or nos imaginations – nos pensées – ont soif également d'angles morts.

Dans La fête des cabanes, texte prononcé à l'occasion de la remise du Prix Dentan 2016, l'écrivain David Bosc (qu'on suit ici attentivement) cite entre autre cette phrase de Kafka:
"Étions-nous fous? Nous courions la nuit à travers le parc et brandissions des branches",
qu'il commente ainsi:
"Pourquoi justement cette image? Parce qu'elle est un noyau de mystère qui va s'épaississant – et parce que j'aime une littérature qui ne se donne pas pour mission de tirer toute chose au clair. 'Le crottin de cheval est un grand poète', écrivit Jean Giono dans son hommage à Herman Melville. Giono a raison, l'image poétique frappe l'esprit comme une odeur de crottin forte et je me suis mis pour écrire à l'école du crottin de cheval."
Peu d'écrivain oserait le dire ainsi: se mettre à l'école du crottin de cheval. Et pourtant, c'est de cela qu'il s'agit si l'on veut coller au corps qui écrit en nous. Impossible de simplement retranscrire les ondes qui nous agitent au fond; inutile de simplement traduire les remous qu'on sent autour de soi. Tout se passe dans l'entre, dans la rencontre – empêchée, furtive, colérique ou sourde – entre plusieurs plans tentant d'échapper aux notions d'intérieur et d'extérieur. L'écriture tisse autant qu'elle brasse, la friction est sa chanson, si elle n'apprend pas à se perdre (et nous perdre un peu) elle n'est que collier de trouvailles.

Dans Le sang des hirondelles, texte d'André Wyss qui accompagne La fête des cabanes, et qui revient sur la force du roman de Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, on trouvera les dernières lignes de ce livre paru chez Verdier – lignes qu'on pourra saisir entre les dents ainsi qu'un mors, afin de chevaucher plus libre:
"Donner naissance à autre chose, expulser une forme vagissante, l'ectoplasme d'une notion griffonne, dans la très rapide simagrée d'une métamorphose, dans l'éventration scandaleuse, ravissante, d'une chrysalide."

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David Bosc, La fête des cabanes, avec 11 dessins de Philippe Fretz, accompagné de Le sang des hirondelles, d'André Wyss, éd. art&fiction, éditions d'artiste (avenue de France 16, 1004 Lausanne), 2016

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