jeudi 28 juin 2007

Du corps défait


La belle affaire est entendue, fuie, rouillée: à s'y déprendre on racle soi. Façon d'oublier tout ce qui grouille-toi on va rater le dernier métro s'ouvre en grand: assomption. L'utile babille. Le lien saigne. Je vous invite à ma morsure. Combien? Votre chiffre est légion et se raidit, c'est mieux ainsi. On ira ailleurs: là où ça foudroie très lentement ce qui, sens aidant, carbonise l'os.
C'est donc l'invention du monde: le dit du cul de la langue dont vous ne vouliez pas. Elle est.

Ce que l'écriture demande


Pas grand-chose, ni le diable ni la l'assiette sur la table de la cuisine. Ni ces pas posés comme des pièces sur le chemin que tuent l'ombre et la lumière. Le moignon qu'est devenue la main. Le potage d'où suinte le sentiment. L'ongle rogné du "je" repoussé sous le canapé que vêle l'insomnie. Ecrire: partir du milieu, de l'herbe, de l'anéantissement coutumier de tout ce qui pourrait foutre, parler, articuler, désigner. Le corps est sommé de parler mais au lieu de ça il scripte. Se crispe. Bienheureux ceux qui racontent et déploient. Bienheureux ceuc qui étalent et décrivent. Ecrire est l'abat. Que d'histoires se tartinent. Alors que: ce dont il s'agit: de quoi il retourne: est: tout: autre chose: ——— un si long et violent démantèlement. Une curée dont on est l'oignon premier. Dépelliculé de soi. Qu'apprendre sinon la haine fragmentée de tout ce qui vous veut tel que— Ecrirre c'est s'apprendre l'insuicide. Parce que la langue – ce bout de peau parlant – a peur des dents, et que les dents craigent l'articulante machinerie des mâchoires. Ce n'est pas un jeu. Ceux qui y jouent on perdu, donc gagné. "Je" m'y noie tant que je peux, tant et si tant et autrement tant qu'à balbutier ma soupesée grammaire j'approche de rivages que je croyais faubourgs. Vous n'en reviendrez pas. Un corps sans organe. Un feu d'artifice peuplé d'immondes solutions. Le cul tendu vers l'azimuth. Et, surtout, pas la moindre rognure de compromission Sachez que je casse. Veuillez que j'hache. C'est ainsi: la vitre de l'œil est fendue, et tout le soleil qui s'y vautre pue ce qu'il touche. La paume de mon ennemi se tend: qu'y puis-je? Sa main a déjà fondu dans la bouse omnisciente de ses convictions. Mon lendemain saigne de soi et y retourne. Longue vie à ma fille, aster unique de l'indignée convalescence. Et, bagages, pliez.

mercredi 27 juin 2007

Falling


Demain la joue contre le sol sera fruit mort. Du haut de tant d'étages. Pourquoi et pas. Question de temps, posé au temps. On y vient, à petit pas décompté. Patience.

Les entrailles de la grace


Traduisant le poème inédit de Vollmann, "Etoile de Paris", mes doigts censés être agiles tapent les mots croire, veine, satisfaction, et ainsi de suite. Ne jamais oublier, outre les mots, de se rappeler le sens qu'ont pris ces mots dan sla chair au fil des vies accumulées et dans la chair inscrite. Ne jamais écrire "satisfait" plutôt que "content", ou "rassasié ou je ne sais quoi, si l'on a pas souffert/joui de ces affects. Donc, non pas juste sentir qu'ils – tels des dés – roulent jusqu'à leur sort chiffré en bout de piste, en harmonie avec le vert feutré et la courbure de l'horizon défini par les règles du jeu verbal, mais se rappeler, comme dans un exercice d'évacuation d'urgence mentale, que ces mots ont poids, brûlure, faille, etc, dans ce mille-feuille gourd que devient notre expérience. Une forme de sincérité inédite: le baiser mouillé qu'on a eu avec ces sens avant qu'ils deviennent, papier oblige, mots. Parfois, c'est possible, mais pas toujours. Ce qui est sûr, c'est que traduire, dans ces cas-là, revient à passer – et, je le rappelle, à passer "vite" – par ces trous qu'on croyait pleins. Les doigts, alors, ne sont pas seulement, ne doivent pas seulement être agiles, ils doivent "conduire" la foule des perceps qui les a fait doigts (et donc agents de l'agir, du plaisir, et de pas mal d''autres choses). Dira-t-on assez, dira-t-on une seule fois qu'écrire (ou traduire) est une activité physique, pleine d'yeux et de culs, de cassages de gueule et de bras de fer, de bronze, de platine? Que le corps à corps secoue l'assis. Sinon, franchement, autant "rédiger". D'où le style "dictée" de tant de romans, depuis l'Astrée jusqu'à vous savez qui. Bien sûr, je schématise, mais comme on plie une tôle: pour que ça s'entende.

vendredi 22 juin 2007

Le cœur d'amour épris


Une "nouvelle" que j'ai écrite et qui a paru dans le plaisant magazine Krabo il y a quelque temps…





LE CŒUR D'AMOUR EPRIS




dimanche 7 août, 21h10

Sa pine, dure à jouir, va plus qu'elle ne vient, cassant, taillant, bavardant en somme. L'ennui rend sa peau imperméable à la pitié. Le cul mordu par le vent, il n'écoute que le cliquetis de son ceinturon sur les graviers du terrain vague et le bruit de sa graisse sur le ventre de la fille. Le bâillon, imbibé de colle de térébenthine, lui pique les yeux. La fille hoquette, comme sous le plaisir. Il soulève un peu sa masse pour mieux voir sa queue disparaître entre les poils blonds et la bordure rouge du slip. Un peu trop près, des oiseaux donnent des coups de bec dans la rouille amassée sur les jantes, les bidons, les téléviseurs. Agacé, il se dégage. Le ciel au-dessus de lui est de glaise, prêt à couler. Il retourne la fille. Le dos de sa robe bleue, incrusté de gravillons, est indéchiffrable. Il la force avec douleur.
Que faire contre l'ennui ? Telle est la question qui l'a conduit ici.


samedi 6 août, 23h15

Il n'a pas l'habitude d'écrire. L'unique stylo-bille de la maison est sec. Dans la penderie, sur une étagère, il retrouve la machine à écrire du père. Il met du temps à insérer une feuille dans le chariot. Les tiges se bloquent, le ruban bave. Il transpire. Je t'ai vue à la boutique de Marc. Les lettres sont grises, les lignes de longueurs inégales, sans cesse interrompues par la clochette. Il recommence au verso de la même feuille. Je t'ai vue à la boutique de Marc…
Il a mal aux doigts. Il n'aime pas perdre son temps. Pas comme ça en tout cas.


dimanche 7 août, 20h18

Elle est seule, sur un banc, à une centaine de mètres de sa voiture qui ne veut plus démarrer. Elle jette parfois un cri, qui se confond aussitôt avec la note haut perchée d'un véhicule surgissant du tunnel. La bride gauche de sa robe bleue pend sur son sein. De l'autre côté de la route, des cyclistes discutent entre eux en faisant des grands gestes. Leurs mufles gris en plastique étouffent leurs paroles. L'un d'eux s'avance vers la fille, mais il est retenu par le bras, au niveau du coude. Il renonce, et finalement le groupe s'éloigne en pédalant par à-coups.
Elle laisse sa tête aller entre ses jambes et contemple le triangle de terre battue entre ses pieds qui forment V. Un éclat de verre jaune pâle luit entre deux cailloux. Quand elle entend la voix de l'homme, quelque chose s'enracine dans son ventre comme au jour de ses premières règles. C'est un ami de Marc, elle ne l'a vu qu'une fois mais il ne lui a pas plu du tout.


vendredi 5 août, minuit

La mousse finit par se disperser. Entre les îlots blanchâtres, du rose apparaît, tremble – d'abord deux genoux, puis les tétons, les poils roux et tassé, l'ovale du ventre, la bite. Il sourit. L'eau est brûlante.
Le téléphone sonne, une première fois dans la télévision, puis sur la petite table basse à côté de la télévision. Les deux sonneries se chevauchent. Quand elles sont sur le point de se confondre, l'une d'elle s'interrompt.
Il fait couler un peu d'eau froide, prend le savon, qui lui échappe des mains et glisse tout contre le tas de vêtements sales. L'autre sonnerie se tait.


dimanche 7 août, 19h50

Accroupie, son gros cul posé sur ses talons, elle introduit la clef dans la serrure installée tout en bas de la porte vitrée. Elle trouve soudain cette position si humiliante qu'elle se demande s'il n'y a pas, dans la conception des portes de magasin, une certaine méchanceté préméditée par les patrons. Sa robe, qu'elle a négligé de remonter au-dessus de ses genoux, se tend sur ses jambes pliées. Elle sent ses cuisses s'écraser l'une contre l'autre. A l'intérieur du magasin, le téléphone sonne. Elle lève les yeux. Derrière la vitrine, les mannequins tremblotent dans les flammes. L'alarme ne s'est pas déclenchée.
Trois mille six cent sept francs: c'est la recette de la veille. L'incendie, c'est juste la colère.
Sa voiture est garée devant le magasin. Elle n'allume pas les phares quand le bruit du moteur recouvre ses pensées.


jeudi 4 août, 13h15

Tous mangent. Tous ont faim. Celui-ci offre ses lèvres à sa serviette. Celle-ci fait saigner une chair pourtant blanche. Les nappes sont tirées, lissées, les verres basculent, se remplissent, une silhouette se baisse, une autre tourne sur elle-même, la porte ne cesse de s'ouvrir et de se fermer. Personne ne remarque la flaque de sang en forme d'as de pique au pied de son voisin de table; le boudin à peine entamé refroidit dans son assiette.
Il a eu l'impression que le couteau poussait son manche entre ses doigts serrés puis filait de lui-même vers la gorge de ce vieux bonhomme qui mastiquait trop bruyamment à son goût. Il est parti sans se retourner, sans laisser de pourboire, sans penser à mal.
Mais l'agacement est toujours là, qui presse son pas.


dimanche 7 août, 18h05

Elle lève le rideau de fer, se baisse, déverrouille la porte vitrée, se redresse, pousse la porte, la referme. Une heure pour déshabiller tous les mannequins, dans l'obscurité. Vingt minutes pour les asperger d'essence. Puis encore dix minutes, recroquevillée derrière la caisse, à marmonner, le briquet à la main, la lettre de Marc froissée et pressée contre son nez à la manière d'un mouchoir. J'en ai marre de baiser une grosse conne. Tout d'abord, elle ne reconnaît pas l’écriture de Marc, puis elle s'aperçoit qu'elle n'a jamais eu l'occasion de la voir. La seule lettre. Trois lignes au stylo vert, glissé dans la poche de sa veste, à son insu, pendant qu'elle souriait sur le bidet, sûrement. Elle le revoit bander, ne comprend pas.
Marc est son patron, il est marié, la photo de sa femme est punaisée au-dessus de l'emploi du temps des vendeuses. Elle n'est jamais venu au magasin, mais elle appelle toujours à la même heure, avant le repas de midi. Sa voix est presque inaudible.


dimanche 7 août, 11h15

Marc l'ennuie. Ses exploits sexuels l'ennuient. C'est son seul ami. Il ne l'aime pas. Vautré sur le canapé, il l'écoute commenter les informations. Le taux de pollution a dépassé le seuil d'alerte. Les voitures immatriculées impair ne doivent pas circuler. Le vélo est recommandé. Les enfants n'iront pas dans la cour de récréation. Marc va dormir là. Ça ne lui plaît pas.
— Ça ne te dérange pas ?
Il ne répond pas. Il va chercher dans la penderie la balle de tennis avec laquelle jouait son chien avant de se faire écraser. Quand il revient, Marc somnole, la bouche grande ouverte, une canette de bière vide coincée entre les cuisses. Il lui flanque un coup de botte dans la tempe, Marc s'écroule sur le lino. Il pousse alors la balle jaune entre les dents de Marc. Puis il le regarde crever lentement.
L'agacement persiste. Il ôte le short de Marc, découpe le slip avec un cutter. Il a du mal à bander. C'est la première fois qu'il veut enculer un homme. Au moment de le pénétrer, il entend des cris d'enfants dans la cour d'école qui jouxte son immeuble. Il ne comprend pas.
Il se rhabille et finit à contrecœur la bière de Marc.


samedi 6 août, 15h

C'est la première fois que Marc la baise dans une chambre d'hôtel. D'habitude, c'est dans l'arrière-boutique, entre les cintres, près du compteur électrique qui tourne toujours trop vite à son goût. Ils n'ont même pas défait le lit. Marc la prend contre la porte de la penderie. Par la fenêtre ouverte, elle aperçoit un ouvrier qui mange un sandwich sur le toit. L'homme les observe peut-être. C'est fini, Marc se retire, remonte son pantalon. Pendant qu'il regarde la télévision, elle va s'enfermer dans la minuscule salle de bains. Le bidet est d'un blanc immaculé, qui jure avec les traînées brunes sur les murs. Elle a apporté son propre gant de toilette, qu'elle roule, tout humide, et glisse dans une pochette en plastique avant de l'enfouir tout au fond de son sac à main.
Si elle a joui, elle l'ignore. Mais pendant trois minutes elle a oublié un nombre considérable de choses.


mardi 2 août, 7h45

Il est chez lui. Il s'ennuie. Il pense à elle, mas il s'ennuie quand même. Le bruit du frigo l'agace. Les taches sur le lino ne cessent d'attirer son attention. Il joue avec son couteau, le plie, le déplie, le range dans sa poche, se rend dans la cuisine et ouvre en grand la porte du frigo. Le bruit est encore plus aigu.
Il allume la radio. On parle de la vague de chaleur, de la pollution, des bouchons sur les routes. Quand il se penche pour éteindre le poste, sa main est si moite que l'appareil lui échappe et tombe par terre. Il sort acheter de la bière.


dimanche 7 août, 20h 15

Tous ces cyclistes lui font peur. Leurs roues tournent dans le mauvais sens, ils semblent ne pas remarquer ses tentatives pour les doubler, le tunnel n'en finit pas. Elle baisse sa vitre, suffoque, ne se rappelle plus comment on actionne le klaxon.
Le groupe de cyclistes paraît se figer quand elle les dépasse, après un violent coup de volant à droite.
Quelques mètres plus loin, au sortir du tunnel, elle pile, arrache la clé de contact et sort du véhicule.


lundi 1er août, 18h30

Il n'ose pas lui parler et, s'il a envie de la suivre, n'en fait rien. Il pourrait lui écrire, mais il n'aime pas ça. La ville est étouffante. Ses yeux piquent. Marc lui a emprunté son vélo sans lui demander son avis. Il ne prend plus aucun plaisir à se boire et à se branler. Son père l'appelle trois fois par jour depuis un mois pour qu'il vienne dîner à la maison.
Dimanche prochain, il ira peut-être à la sortie du tunnel, près du terrain vague. Comme tous les dimanches soirs il la regardera s'éloigner au volant de sa voiture, comme tous les dimanches soirs elle ne le remarquera pas. Il ne l'a vue qu'une fois dans la boutique de Marc, mais elle lui a plu. Elle ne travaille que le dimanche, seule, au noir.
Il pense également qu'avec la chance qu'il a, la pollution sera telle qu'elle n'aura peut-être pas le droit de prendre sa voiture, immatriculée impair.
Mais si elle passe devant lui, il lui fera signe. Elle s’arrêtera. Sûrement. Il pourra alors lui parler. C’est la seule chose qui lui importe : parler.

mercredi 20 juin 2007

La conpète? [sic]


Le Guardian se plaint de ne pas avoir de grand roman britton, alors que les Ricains, eux, ont, le great american novel (et bien sûr, les frenchies, eux, se plaignent, mais pas trop, de ne pas avoir de grandiose narration françoise). Mouais. Dommage aussi que l'Auvergne n'est pas d'épopée. Ou que l'Irlande soit chiche en haiku. Et le PSG? Pourquoi n'a-t-il pas d'hymne tétraïambique? Ce genre de "claim" est pathétique. On a l'impression de viser le lego le plus haut de l'infantile podium. Comme si dix lignes de Cadiot ne pouvaient courir aussi vite qu'un paragraphe d'Osman Lins. Franchement. Ce qui menace le complexe d'infériorité, c'est l'infériorité de son complexe. Pas de course? On pense jogging. N'importe quoi. On connaît l'antienne: en France on n'a pas de Faulkner, on n'a pas de Joyce. On n'a que Beigbébé [sic]. But what? Un grand recensement de la population littéraire a-t-il été mis en œuvre? Quand Lautréamont bossait dans sa chambre de bonne, back from Montevidéo, le Transfuges de l'époque célébrait déjà Paul Bourget. Nothing new sous le soleil. Et les Chinois, ils ont Artaud? Et les Péruviens, ils ont Arno Schmidt? Et Bécaud, il a jamais écouté Eminem? Franchement. Tout cela est-il bien sérieux. On a – sourdement – l'impression que les déçus, ou les aigris, cherchent un moyen de provoquer un cotage en bourse de ce qui se contrefout de la Madeleine. Comptable seulement de ses errances, la littérature n'aime ni l'or ni l'argent ni le bronze. Les écrivains, eux, c'est une autre affaire. Mais fuck the palmarès, par pitié. Il n'y a pas d'histoire de la littérature qui tienne, ou alors relisons les yeux fermés le Lagarde et Michard. A ma connaissance, il n'existe pas de maisons de retraite pour les snipers aux doigt foulés. Vous me suivez? Dissidez, là, tout de suite.

Absolute beauty


"The small, vibratoless voices, wind in cottonwoods" (p. 203).
Cooper chante une chanson nostalgique et les gamins de l'école d'à côté, à l'ombre des peupliers, l'accompagnent de leurs timbres ténus. La phrase nominale, d'où tout verbe semble s'être absenté pour ne pas gêner le fragile plissé des syllabes, se déroule en trois temps, mais s'articule en deux, les "w" prenant le relais mouillé des "v", les "n" imposant leur sourdine aux sifflantes de "small" "less" et "voices", qui resurgissent in extremis dans le "s" final des arbres à peine agités. Moment d'épiphanie, assurément, où seul l'événement des notes importe, au-delà de la personnalité de Cooper (un badass motorisé rappelant le Brando de "L'Equipée sauvage"). Mais cette absence de vibrato conserve et son secret et sa magie. Voix célestes, voix d'anges, que rien ne vient fracturer? On songe au "sound of poplar trees" qu'évoque Woolf au tout début de "La promenade au phare": un son connu de tous, point trop surnaturel, donc. Pynchon met un article défini devant ces voix, mais pas devant le vent, brisant ainsi l'apposition pour suggérer une possible équivalence - à tout le moins une concordance. Des voies ténues, sans vibrato, le vent dans les peupliers? On sent bien qu'on rate, perd quelque chose. Les petites voix, sans vibrato, vent dans les peupliers. Techniquement on est raccord, mais la magie est encore loin. La sonorité fait défaut, qui pallierait la rupture syntaxique. Rechercher l'ondulation voulue. Le froissé. Tenter "simples" pour "small", au lieu de "petites" ou "ténues ? Des voix simples, sans vibrato (ouf, j'ai retrouve mes v, mes s…), mais ces peupliers ont perdu la texture nuageuse des cottonwoods. D'autant que ces fameux cottonwoods ne sont pas… des peupliers, enfin, pas des peupliers comme en a peint par exemple Monet (Les Quatre arbres). Le peuplier de Virginie, populus deltoides, est ce qu'on désigne au Québec, entre autres, par le vocable "liard". Mais ce "liard" fait-il mon affaire? Comment épouse-t-il mon "vent"? Dois-je préférer "brise"? La brise dans les liards? On dirait une contrepètrerie… Argh. Je pourrais utiliser "peupliers de Virginie", mais comme on a quitté l'Utah pour atterrir possiblement dans le Colorado, ma pauvre Virginie n'aurait pas l'air maline dans ce contexte. En fait, il convient de laisser se dérouler la suite du paragraphe, afin de s'imprégner de sa rythmique: on voit alors que Pynchon, comme Woolf, comme Faulkner, comme Monet, procède par touches légères. On note, surtout, qu'il parle immédiatement après d'un "windless sky" - il n'y donc aucun doute sur le sens de l'apposition qui nous turlupine. Ces voix rappellent le chant des peupliers, la musique des peupliers, le son des liards, ce que vous voudrez. On va donc s'y coller, ou laisser en l'état, comme de la mousse à la surface d'un liquide, en attendant que ça se lisse. Surtout, on va tendre l'oreille, écouter le bruit du vent dans les arbres, écouter les voix d'enfants dans les chorales, faire la chasse au vibrato. Puis, s'il ne pleut pas, on sortira du texte, tête nue.

mardi 19 juin 2007

You Bright And Risen Angels


Extrait:


On avait découvert qu’un des copains de chambrée de notre héros était un insecte. Ce fut horrible. Il existait au camp une règle interdisant les bonbons à cause des insectes, et elle s’avérait aujourd’hui fort sage. — La mère de Tony (une horrible bestiole à six pattes tachetée de noire, sans aucun doute ) avait dissimulé une douzaine de Rice Crispies dans sa valise. Les Rice Crispies étaient en fait de petits œufs blancs, semblables à ceux qu’on peut voir sur les feuilles atteints de la rouille. La nuit, ces œufs donnaient naissance à des larves. Le moniteur confisqua impitoyablement les gâteaux, et le personnel se réunit d’urgence pour discuter des mesures adéquates en vue de leur destruction. Si on se rendait en barque au milieu du lac et qu’on les jetait à l’eau, il y avait des chances pour que des bulles remontent du lit contaminé ; l’eau du lac, dont la pureté suffisait à elle seule à impressionner favorablement les parents citadins, deviendrait à la longue toute verte des suites de la couvée sacrifiée. On décida finalement d’incinérer les gâteaux.
L’époque était à la mansuétude. On se contenta de renvoyer Tony chez lui. C’était un petit gros aux cheveux ras qui mouillait souvent son lit et n’était guère doué pour le foot ou les sports nautiques. Il pleura en apprenant la décision. Sa mère allait être furieuse quand elle saurait qu’on l’avait démasqué.
Le directeur du camp devait le conduire à l’arrêt de car le lendemain matin. Entre-temps, les autres garçons, désormais au courant des ses origines scarabéenne, le battirent jusqu’à ce que du sang verdâtre coule de son nez.
Bug, qui la veille avait eu droit à une nouvelle paire d’yeux au beurre noir, resta terré dans son sac de couchage quand les garçons de sa chambrée entrèrent, jetèrent leurs gants de base-ball sur leurs couchettes et remontèrent leurs manches dans un silence solennel. Ils ne firent même pas attention à lui ; Tony était devenu la nouvelle attraction. Bug se fit tout petit dans son sac de couchage comme une bête prise au piège. Seul son nez dépassait. Il vit les autres garçons entourer Tony dans un nuage de poussière dorée filtrée par la fenêtre grillagée. Tony poussa un cri quand le cercle des gosses se referma sur lui. Aux abois, il scruta les lattes du plancher à la recherche, pensa Bug, d’un trou sous une couchette par lequel il pourrait se défiler. Il devait être capable se faire aussi petit qu’un ongle de pouce en cas d’urgence, mais, vu les circonstances, un tel recours se solderait sûrement par un désastre car l’un des gosses pourrait alors facilement l’écraser, la conscience tranquille. En attendant, il n’y avait aucune échappatoire. Les gosses encerclèrent Tony en silence. Parker lui fit un croc-en-jambe. – Allez, lève-toi ! cria Wayne furieux à cette créature qui offrait si peu de résistance. Lève-toi !
Mais comme Tony n’obéissait pas, Wayne se saisit de lui et le releva avec une telle brutalité qu’il frappa le sol avec un drôle de craquement, comme s’il venait de briser son exosquelette ; puis Roger Garvey lui fourra une chaussette dans la bouche et ils se mirent au travail. Ils lui tinrent les yeux ouverts et arrachèrent ses pupilles, qui parurent montées sur tiges comme celles d’un crabe. Ils découvrirent ses antennes, attachées sous sa perruque, et les arrachèrent. Ils le traînèrent dans un carré de lumière sous les fenêtres et brûlèrent son thorax avec un verre grossissant. Ils lui baissèrent son pantalon et lui balancèrent des coups de pieds dans le scrotum. Puis la cloche qui annonçait les activités forestières retentit. Wayne, qui était cette année le gosse le plus populaire, ne les aurait manqué pour rien au monde. Ils essuyèrent donc leurs mains sur la chemise de Tony et s’éloignèrent d’un pas tranquille, en riant et en discutant. La cabane sentait l’insecte écrasé et démembré.
Bug était navré. Tony ne l’avait jamais battu. Il s’extraya de son sac de couchage à présent qu’il n’y avait plus de danger (ce n’était pas le genre à prendre des risques) et ramassa les antennes de Tony. Ces dernière gisaient par terre des, tels de noirs cure-pipes abandonnés. Les appendices à l’agonie s’entortillèrent timidement autour de ses doigts ; leurs cils vibraient encore. S’il avait été comme tous les autres, il aurait été dégoûté et les aurait jetées, mais elles lui firent pitié et il les assista dans leurs derniers moments en les caressant, et il ne les abandonna pas, même quand un mince liquide verdâtre coula le long de son bras. Elles se raccrochèrent à ses doigts et moururent calmement. Pendant ce temps, Tony s’était relevé. Il se tenait au milieu de la cabane et émettait un gémissement doux et irrégulier, une espèce de sanglot guttural et grillonnesque typique de ceux de sa race. Des taches vert sombres maculaient le sol là où les gosses l’avaient battu. Avec la plus extrême prudence, il tendit les mains à l’aveuglette et toucha le visage de Bug.
- Ce n’est que moi, dit Bug en regardant autour de lui (personne ne pouvait le voir).
- Tu ne me feras plus de mal ? demanda Tony.
- Je ne t’en ferai jamais, dit Bug. Voici tes antennes si tu en as besoin.
Elles s’effritaient déjà entre ses mains, comme des ailes de mouches recroquevillées.
- Elles ne servent plus à rien maintenant, sanglota Tony.
C’était surtout la mort de ses antennes qui semblait l’affecter ; de même, un homme dont la famille a été massacrée et dont la maison a brûlée déplorera surtout la perte de ses belles chaussures du dimanche. J’ai lu quelque part que cette attitude était un mécanisme de défense très utile.
- Est-ce que tu vas mourir ? demanda Bug.
Il déposa les antennes dans la corbeille à papier, sans faire de bruit pour ne pas faire de peine Tony, et essuya ses mains sur son pantalon.
- Ma mère va me manger quand elle le saura. Elle a toujours dit qu’elle le ferait si ça m’arrivait.
- Peut-être qu’elle dit ça pour te taquiner, dit Bug. Essaie de voir le bon côté des choses.
– Ça ira, dit Tony. Je l’ai vu le faire à d’autres gosses. Ça ne fait pas mal.
– Oh, alors, dit Bug, tout va bien.
On avait découvert qu’un des copains de chambrée de notre héros était un insecte. Ce fut horrible. Il existait au camp une règle interdisant les bonbons à cause des insectes, et elle s’avérait aujourd’hui fort sage. — La mère de Tony (une horrible bestiole à six pattes tachetée de noire, sans aucun doute ) avait dissimulé une douzaine de Rice Crispies dans sa valise. Les Rice Crispies étaient en fait de petits œufs blancs, semblables à ceux qu’on peut voir sur les feuilles atteints de la rouille. La nuit, ces œufs donnaient naissance à des larves. Le moniteur confisqua impitoyablement les gâteaux, et le personnel se réunit d’urgence pour discuter des mesures adéquates en vue de leur destruction. Si on se rendait en barque au milieu du lac et qu’on les jetait à l’eau, il y avait des chances pour que des bulles remontent du lit contaminé ; l’eau du lac, dont la pureté suffisait à elle seule à impressionner favorablement les parents citadins, deviendrait à la longue toute verte des suites de la couvée sacrifiée. On décida finalement d’incinérer les gâteaux.
L’époque était à la mansuétude. On se contenta de renvoyer Tony chez lui. C’était un petit gros aux cheveux ras qui mouillait souvent son lit et n’était guère doué pour le foot ou les sports nautiques. Il pleura en apprenant la décision. Sa mère allait être furieuse quand elle saurait qu’on l’avait démasqué.
Le directeur du camp devait le conduire à l’arrêt de car le lendemain matin. Entre-temps, les autres garçons, désormais au courant des ses origines scarabéenne, le battirent jusqu’à ce que du sang verdâtre coule de son nez.
Bug, qui la veille avait eu droit à une nouvelle paire d’yeux au beurre noir, resta terré dans son sac de couchage quand les garçons de sa chambrée entrèrent, jetèrent leurs gants de base-ball sur leurs couchettes et remontèrent leurs manches dans un silence solennel. Ils ne firent même pas attention à lui ; Tony était devenu la nouvelle attraction. Bug se fit tout petit dans son sac de couchage comme une bête prise au piège. Seul son nez dépassait. Il vit les autres garçons entourer Tony dans un nuage de poussière dorée filtrée par la fenêtre grillagée. Tony poussa un cri quand le cercle des gosses se referma sur lui. Aux abois, il scruta les lattes du plancher à la recherche, pensa Bug, d’un trou sous une couchette par lequel il pourrait se défiler. Il devait être capable se faire aussi petit qu’un ongle de pouce en cas d’urgence, mais, vu les circonstances, un tel recours se solderait sûrement par un désastre car l’un des gosses pourrait alors facilement l’écraser, la conscience tranquille. En attendant, il n’y avait aucune échappatoire. Les gosses encerclèrent Tony en silence. Parker lui fit un croc-en-jambe. – Allez, lève-toi ! cria Wayne furieux à cette créature qui offrait si peu de résistance. Lève-toi !
Mais comme Tony n’obéissait pas, Wayne se saisit de lui et le releva avec une telle brutalité qu’il frappa le sol avec un drôle de craquement, comme s’il venait de briser son exosquelette ; puis Roger Garvey lui fourra une chaussette dans la bouche et ils se mirent au travail. Ils lui tinrent les yeux ouverts et arrachèrent ses pupilles, qui parurent montées sur tiges comme celles d’un crabe. Ils découvrirent ses antennes, attachées sous sa perruque, et les arrachèrent. Ils le traînèrent dans un carré de lumière sous les fenêtres et brûlèrent son thorax avec un verre grossissant. Ils lui baissèrent son pantalon et lui balancèrent des coups de pieds dans le scrotum. Puis la cloche qui annonçait les activités forestières retentit. Wayne, qui était cette année le gosse le plus populaire, ne les aurait manqué pour rien au monde. Ils essuyèrent donc leurs mains sur la chemise de Tony et s’éloignèrent d’un pas tranquille, en riant et en discutant. La cabane sentait l’insecte écrasé et démembré.
Bug était navré. Tony ne l’avait jamais battu. Il s’extraya de son sac de couchage à présent qu’il n’y avait plus de danger (ce n’était pas le genre à prendre des risques) et ramassa les antennes de Tony. Ces dernière gisaient par terre des, tels de noirs cure-pipes abandonnés. Les appendices à l’agonie s’entortillèrent timidement autour de ses doigts ; leurs cils vibraient encore. S’il avait été comme tous les autres, il aurait été dégoûté et les aurait jetées, mais elles lui firent pitié et il les assista dans leurs derniers moments en les caressant, et il ne les abandonna pas, même quand un mince liquide verdâtre coula le long de son bras. Elles se raccrochèrent à ses doigts et moururent calmement. Pendant ce temps, Tony s’était relevé. Il se tenait au milieu de la cabane et émettait un gémissement doux et irrégulier, une espèce de sanglot guttural et grillonnesque typique de ceux de sa race. Des taches vert sombres maculaient le sol là où les gosses l’avaient battu. Avec la plus extrême prudence, il tendit les mains à l’aveuglette et toucha le visage de Bug.
- Ce n’est que moi, dit Bug en regardant autour de lui (personne ne pouvait le voir).
- Tu ne me feras plus de mal ? demanda Tony.
- Je ne t’en ferai jamais, dit Bug. Voici tes antennes si tu en as besoin.
Elles s’effritaient déjà entre ses mains, comme des ailes de mouches recroquevillées.
- Elles ne servent plus à rien maintenant, sanglota Tony.
C’était surtout la mort de ses antennes qui semblait l’affecter ; de même, un homme dont la famille a été massacrée et dont la maison a brûlée déplorera surtout la perte de ses belles chaussures du dimanche. J’ai lu quelque part que cette attitude était un mécanisme de défense très utile.
- Est-ce que tu vas mourir ? demanda Bug.
Il déposa les antennes dans la corbeille à papier, sans faire de bruit pour ne pas faire de peine Tony, et essuya ses mains sur son pantalon.
- Ma mère va me manger quand elle le saura. Elle a toujours dit qu’elle le ferait si ça m’arrivait.
- Peut-être qu’elle dit ça pour te taquiner, dit Bug. Essaie de voir le bon côté des choses.
– Ça ira, dit Tony. Je l’ai vu le faire à d’autres gosses. Ça ne fait pas mal.
– Oh, alors, dit Bug, tout va bien.

Enigma


Reçu, par e-mail, un texte américain assez "unusual" - l'auteur joue laz carte mystère (il a eu mes coordonnées par, dit-il, Evan Dara, ce qui est possible, et souhaite, absurdément, une traduction "au fur et à la mesure" de son texte). Je me suis plié un temps à ce funny exercise, mais manque de temps j'ai quelques dizaines de pages de retard. Voilà le peu que j'ai réussi, sûrement pas très bien à faire: si vous avez un avis sur la chose, n'hésitez pas. Je reste perplexe:


Ici, ça commence:



1. Témoignages

[Sonya :] Je n’aime pas les enregistrements. C’est comme si vous découpiez ma voix en petits bouts de voix, des morceaux que personne n’a envie de digérer, même les animaux ne… Il est quelle heure ? J’étais en train… je veux dire… pourquoi est-ce que… ? Vous êtes sûr ? Je sais ce qui se passe là-dedans [elle désigne le magnéto avec le verre de vin qu’elle tient dans sa main droite] c’est sale, il s’y trafique des choses pas… Ça doit durer combien de temps ? J’ai un rendez-vous… Enfin, j’avais… je ne peux pas… [Elle se lève et disparaît pendant dix minutes – j’arrête le iRec au bout de cinq minutes, jette un œil à mes notes. J’ai mal au foie. Je sais pourquoi. Je suis venu à l’heure qu’elle m’avait indiquée sur mon répondeur, mais quand elle a ouvert la porte j’ai compris que ce n’était pas le bon moment, et ça ne serait jamais le bon moment, mais sait-on jamais ? Sonya était… Bref, j’allais perdre ma matinée, et sans doute ma journée. J’envisageais de partir, sans faire de bruit, quand soudain elle revint. Elle s’était changée. Je pourrais dire : méconnaissable. Mais la vérité n’y gagnerait rien. Elle m’avait ouvert en jeans et en tee-shirt UCLA et revenait à présent en peignoir, mais je ne sentis aucune humidité émaner de son corps, aucune odeur de savon – elle voulait juste adapter sa tenue à une vulnérabilité qui la déshabillait de l’intérieur à chaque seconde. Et que j’avais sentie en serrant sa main, une main qui pourtant –] Ne prenez pas de notes, déjà que le magnéto me rend… Merci, je veux bien. [Elle allume la Chesterfield, la regarde, puis la pose dans le cendrier où elle se consumera sans qu’elle cesse de la regarder.] Je ne pensais pas que ça serait publié un jour. Lui-même ne voulait pas. Il était contre. Il n’avait pas pris d’avocat ? [Je fais signe que non, puis, voyant les larmes, ou autre chose, je sors de ma sacoche le papier officiel rédigé par l’éditeur ; elle le parcourt, longtemps, trop longtemps, comme si c’était une convocation au tribunal – et justement, c’est peut-être ça : en tout cas, un appel à témoin.] Ne me posez pas de questions, je sais très bien quoi dire. Très bien. Je l’ai aimé, moi. [Le téléphone sonne, elle décroche sans hésiter, je laisse tourner le iRec, tant pis : – Allô ? Allô ? Oui. Non, je… Bien sûr. Je la connais pas cœur, qu’est-ce que tu crois ? Attends, attends… Ne… C’est pour demain ? Bon. Bien. Elle me jette un regard agacé, semble réfléchir, hésiter. – Tu as de quoi écrire ? Oui, j’attends. Elle se remplit un autre verre de chardonnay, elle ne m’en a pas proposé. – C’est bon. Alors voilà. Raclement de gorge. – C’est comme un heurt indescriptible d’avortements. Oui, c’est tout ! C’est ça. Demain. Elle raccroche.] La question de l’avocat étant réglé, je vais vous demander de me… Pardon, je pensais à autre chose. Vous ne trouvez pas qu’il fait chaud ? Qu’il fait… Je l’ai relu hier et avant-hier, presque d’une traite, enfin j’ai dû m’arrêter pour… vous savez… mais sinon, oui, d’une traite ! Ça faisait dix ans, ça fera dix ans le mois prochain. La première fois, ce n’était pas vraiment une lecture, c’est lui qui lisait. A voix haute. Il marchait sans cesse, ou bien je le suivais, ou j’attendais qu’il revienne et j’avais raté des passages, mais ce n’étais pas comme… comme s’il s’en foutait, plutôt comme s’il avait décidé que certains passages n’avaient… oui, n’avaient pas besoin de moi. Dans ma tête, je m’imaginais les passages manquants encore accrochés aux murs des autres pièces, ou tombant par terre. Il a lu sans s’arrêter, ça n’en finissait pas. Ses yeux me manquaient. [Elle extirpe une cigarette de mon paquet, l’allume, croise les jambes en maintenant le tissu éponge sur ses genoux. La douleur au foie est passée. Je me revois ce matin, à cinq heures, en train de regarder la ville par la fenêtre, j’étais étonné par le nombre de phares. Et quand j’ai —] Vous savez, je crois, enfin, j’espère qu’en parler me fera du bien, de toute façon vous n’allez pas utiliser tout ce que je dis, vous allez couper ? Je veux dire, vous allez monter tout ça. On verra quoi ? Défiler des pages de son manuscrit avec une musique en fond. [Son rire va casser, elle se reprend.] J’aime bien votre montre. Vous avez dû la… Non, excusez-moi. Où en étais-je, c’est mon problème, chaque fois que je suis… ah oui, vous avez déjà entendu sa voix alors vous savez vous connaissez le… Quel salaud ! On s’est déjà vus ? Ne dites rien ! Ne dites rien ! Ça ne pourrait que… A l’époque il n’avait pas trouvé de titre, il me disait : La seule chose que je peu te dire, c’est que ça ne s’appellera pas L’histoire de Sonya. Non, ça c’était quand il m’en voulait, pourquoi je ne sais plus les raison étaient… enfin… c’est comme ça… on a dû vous dire que…On n’est restés que trois mois ensemble, bon, on s’était déjà vus, oui, croisés, et après… à part la fois où… hein ? oh, c’est si compliqué et c’est si simple, pourquoi est-ce que je… [Elle se lève et s’approche de moi, je sens son haleine.] Vous voulez quoi ? [J’attends, au cas où.] Vous… voulez… QUOI !? [Elle tremble.] Bien sûr. Bien sûr. Bien sûr. D’accord. OK. Parfait. Je vais jouer le jeu, tant pis pour lui, vous garderez ce que vous voudrez. La première fois qu’il m’a lu son texte, je n’ai rien compris, enfin très peu, j’étais bourrée, et puis il y avait cette histoire de… Mais c’est vrai que le début est… bon, je ne suis pas… enfin si, je peux, quand on me… mais là, franchement, j’étais… bien sûr, la beauté fait peur, hein ? hein ? d’ailleurs je ne l’ai pas lu quand c’est paru, je vivais avec… comment s’appelait-il, vous savez, ce type qui… qui… Shit. [Elle lève la main, la passe dans ses cheveux. Je sais qu’elle n’a que trente-deux ans mais je ne peux m’empêcher d’avoir peur.] Bon, je ne vous aide pas beaucoup. Vous voulez que je vous parle de sa voix ? Je veux dire sa vraie voix, pas celle des… des enregistrements. Quand on était là, devant lui, et qu’il lisait, je peux vous dire qu’on… J’aimais ça. J’aimais vraiment ça. C’était comme s’il me parlait même si ça m’éloignait. Ça m’éloignait, oui, c’était vraiment vraiment vraiment doulou… non, c’était généreux, en fait. Je reviens. Bougez pas. [Elle grimpe l’escalier sans poser la main sur la rampe, mais la main quand même au-dessus de la rampe. Avant de n’être plus visible, elle –] Prenez des notes, je m’en fous. Je dois… [Une heure s’écoule. J’ai arrêté le iRec au bout de dix secondes, j’avais peur qu’on… d’entendre mon souffle. Je regarde autour de moi, c’est la première fois, ça ne sert à rien, il n’y a rien à voir. Je ne vois rien. C’est foutu. Elle ne redescendra pas. Je le sais autant que je l’espère.] Partez ! [Je rassemble mes affaires.] Attendez ! [Elle réapparaît, dans une robe que je crois d’abord noir mais qui, au fur et à mesure qu’elle descend l’escalier, devient grise, puis, bleu foncé, puis –] Ça ne parlait pas de moi, pas une seule seconde, pas le moindre détail, pas une seule émotion pas un seul… rien… il m’avait amputé, c’est comme ça que je vois les choses alors qu’à l’époque sans moi il était comme une… il ne… et rien rien rien rien rien c’est ça qui me rendait folle, mais je vous l’ai dit j’étais bourrée quand il m’a lu la première version, après il a changé des choses, apparemment, mais je n’étais pas… c’est dur de réaliser que… Oh, j’ai compris des choses depuis, des choses qui alors… J’étais vraiment… Vous voulez qu’on recommence ? [Je claque la porte.]


[Sonya :] J’ai ça pour vous. [Une semaine s’était écoulée. J’avais entre-temps relu le brouillon de la lettre qu’il lui avait écrite avant de se suicider, et du coup Sonya n’était plus la même, les dix ans avaient disparu de sa voix et de son corps, la lettre disait, et en très peu de mots, trop peu à mon goût, sûrement trop aux siens si elle l’avait lue, mais elle ne l’avait jamais lue, enfin je ne croyais pas, c’était un brouillon, s’il l’avait recopiée puis envoyée ? Elle disait, cette lettre : « Le simple fait de savoir que tu ne comprendras pas m’aide à aller jusqu’au bord [au bout ?]. N’essaie même pas de comprendre. Ne me lis plus. Découvre l’envers. Et fuis. » J’avais trouvé ça au début un peu mélo, un peu trop lui, puis je m’étais dit que si je devais sauter du onzième étage d’un appartement qui n’était même pas le mien, qu’est-ce que j’écrirais ? Sûrement pas quelque chose d’évident. Sûrement pas quelque chose que les autres puissent comprendre, et encore moins la personne à qui c’était adressé. Juste quelque chose à moi écrit. Mais il est vrai que je –] Vous l’avez peut-être déjà lu, je ne sais pas, je ne sais pas si ça se trouvait dans ses affaires, si depuis on l’a…mais lisez… oui, tout de suite, vous allez comprendre, on va gagner du temps. [J’ai pris le papier, déplié et je suis allé m’asseoir au même endroit, et j’ai lu.]

Les loups m’on dit. Sans façon. Les loups m’ont dit qu’il existait cent façons de mourir. Puis j’ai pris le temps, et leurs crocs ont fondu à peu près comme fond la glace : lentement quand la chaleur le veut, et

Alors ? [Je pensais à ces mots qu’il avait écrits avant de sauter : Découvre l’envers. Les loups restaient muets. J’avais toujours mal au foie. Que lui dire ? Elle était moins belle que la dernière fois. Je m’en voulus de me poser le problème Sonya en terme de beauté. Je n’y étais pas.] Vous saviez pour les loups ? Non ? Alors on va pouvoir… Excusez-moi, je pensais que peut-être vous saviez ? Pour les loups. C’est un peu compliqué, mais… Ecoutez, le plus simple c’est que je vous rappelle vous pouvez garder ce… si, gardez-le, je m’en fiche, je le connais pas cœur… [Le téléphone sonna.] Je dois répondre, c’est sûrement l’autre… Je vous appelle, merci, merci, gardez-le.


[Sonya :] Alors ? [ Deux semaines s’étaient écoulées. Je ne voyais toujours pas ce que c’était que cette histoire de loups. De toute façon, avec l’autre, on ne savait jamais où on mettait les pieds ni si quelque chose n’allait pas vous les bouffer tout cru – alors des loups, oui, pourquoi pas ?] Vous voulez qu’on parle des loups ? [Je me suis laissé tomber sur le canapé et j’ai regardé par la fenêtre le soir qui tassait tout. Je n’avais pas le choix. J’ai fait signe que oui, d’accord, va pour les loups. Elle a vidé le sac. Dès les premiers mots, j’ai compris que les loups, bon bref, j’ai compris.] Il avait cinq ans la première fois que c’est arrivé. C’était horrible. Son souvenir était déjà… oui… on peut dire mutilé. Il n’aurait pas utilisé ce mot, il aurait dit quelque chose comme « retardé dans sa dégénérescence » ou « immature d’horreur », vous savez comment il parlait, à croire qu’il avait croqué dans un verre en cristal, et aimait ça, il avait cinq ans, ne l’oubliez pas, son père était mort quelques mois plus tôt et il se trouvait seul chez lui, sa mère avait dû aller… peu importe… je ne sais même pas s’il s’agit d’un seul souvenir ou si c’est… s’il a collés ensemble plusieurs souvenirs, collés des flashes ensemble… on fait tous ça quand c’est trop… bon… Cinq ans ! qu’est-ce que j’ai pleuré… ça l’a énervé et il a fallu que j’attende deux semaines, non, trois, avant qu’il m’en reparle, et quand il m’en a reparlé ce n’était plus du tout le même enfant ni la même… horreur… Il avait dû y réfléchir [Le téléphone sonne. Elle hésite puis décroche : – Mmm. Sa robe est si courte que je vois sa culotte. – Encore ? Je me concentre sur mes notes, mais rien à faire, je me ressers un verre de chardonnay, il tiédit vite, elle a dû mettre le chauffage à fond même si on est en automne, et qu’il fait –Surtout ne viens pas. C’est comme ça. J’en ai marre, je ferais mieux de rentrer chez moi, elle va parler pendant des heures, ou encore s’absenter, et alors je – Je dois te laisser. Si. Oui, non. Je m’en… Elle raccroche, sourit.] Vous saviez qu’il avait un frère ? [Je sais que c’est faux, je ne dis rien. Puis je me demande comment je sais que c’est faux, puis je] C’est une façon de parler. Ce n’était pas un vrai frère au sens… frère du mot. Plutôt un ennemi en fait, mais très proche. Mon lointain, il disait. [J’ai déjà lu le mot dans ses livres – je me souviens d’un passage précis, même : « Mon lointain m’abstient, faute de pire – comme, ô, comme il a raison. Ligne de mire, entre nous. » C’est également le] Mais je préfère ne pas en… vous voulez que je baisse le chauffage ? Et puis zut, autant en venir aux loups, non ? Ouuuuuhhh [Elle imite un loup qui hurle à la lune – pas drôle] Quand il m’a reparlé de ce soir-là, quand il avait cinq ans, j’ai pris soin de ne pas pleurer. J’ai fixé mes chaussures tout le temps, par précaution, du coup je me souviens très bien de mes chaussure, c’était des tennis toutes simples sauf qu’elles étaient d’une couleur sur laquelle on n’arrivait à mettre de nom, comme ça vous auriez dit jaune, mais bon, plus vous les regardiez, et moi je les ai regardées, longtemps, très longtemps, toute la nuit pour être précis, précise, je peux vous dire que jaune, non, ça ne fait pas l’affaire – c’est comme si elles rêvaient d’être autre chose que jaune, et qu’elles essayaient, à chaque seconde, bon, on s’en fout. Je peux vous dire un truc ? Ce matin, je me suis fait jouir avec sa photo. [Elle sort une photo de la poche de son chemisier et me la tends. Je la prends et m’empêche de la respirer.] Je veux dire, je ne me suis pas caressé en regardant sa photo. Je me suis branlé avec sa photo, en me frottant avec. Parce que… [Du coup, je comprends que l’idée absurde qui m’était passée par la tête que rien dans sa syntaxe n’étayait était précisément ce qui s’était passé. L’envie de respirer la photo disparaît instantanément, puis, une fois la réflexion dissipée, revient en force, comme si j’avais soif de quelque chose.] … mais je ne dis pas ça pour vous choquer… vous m’écoutez ? Vous comprendre mieux quand j’aurai dit ce que j’ai à dire sur les loups. Les loups. Putain… Bon, le problème c’est que je ne sais pas exactement ce que vous savez… exactement. S’il vous a raconté pour… quand il avait cinq ans. Le connaissant, il a dû dire qu’il avait dix ans, ou en parler comme s’il s’agissait d’un autre. Peu importe ? C’est à prendre ou à laisser, comme à peu près tout avec lui. Il n’en a jamais voulu à sa mère, qui de toute fa [Le téléphone sonne. Elle décroche sans hésiter. – Bien. D’accord. Ça va de soi. Je… Pourquoi est-ce que… Vous ne… vous n’avez rien qui… Non. Non. Certainement pas. Je le. Je lui. Bien. Dix ans ? Ça m’] Je vais prendre la communication là-haut, ne bougez pas. [Quittez pas. Non, quittez pas. Elle rit. – Et comment ! Elle monte à l’étage après avoir fait une manipulation avec le téléphone et raccroché le combiné. J’en ai marre. Je vais dans la cuisine et j’ouvre les placards. Ils sont vides. Vides. Sur le plan de travail il y a une feuille pliée en quatre. Je la déplie sans réfléchir. Je lis, puis je vais chercher mon carnet et je recopie ce que je viens de lire, ne le comprenant qu’en le recopiant. Une heure plus tard, elle n’est toujours pas redescendue. Je m’en vais.]

[Sonya :] Quand je me suis aperçu que vous étiez parti, c’était quand ? l’an dernier ? Eh bien j’ai eu envie de coucher avec vous. [Je m’en vais.]

[Sonya :] Vous êtes revenu. Je savais que vous reviendriez. Et il y a à cela une raison bien précise. Vous avez fini par voir les loups, vous aussi. [C’était vrai. Elle avait raison, pour une fois. Plus d’un an s’était écoulé depuis le jour où j’avais décidé de ne plus l’interviewer, sans compter la fois, très brève, où elle m’avait fait des avances, enfin, pas des avances, elle m’avait juste dit qu’elle me trouvait séduisant, un truc comme ça, elle voulait qu’on baise, ce genre, peu importe. Entre-temps, j’avais fait, disons, un certain chemin.] Venez. Allez, venez. On va aller dans son bureau. Ça nous fera du bien à tous les deux. Ça remettra les pendules à l’heure. Ding-dong.


[P. :] Je n’ai rien à dire. Partez. C’est elle qui vous a… ? Sonya est une explosion. Vous voulez voir mes cicatrices ? [J’étais persuadé qu’après l’impasse avec Sonya, P. m’ouvrirait des portes. En fait, j’en doutais fort. Je le voulais, c’est tout. Je voulais passer dans d’autres pièces, par d’autres pièces. Et qu’il] Ça enregistre ce truc ? C’est une antiquité, dites donc ? C’est quoi l’autonomie ? Trois heures ? Quatre ? Cinq ! Oui, bon… Même les… Il m’en avait offert un, tout noir, j’ai jamais compris comment ça… Je l’ai vendu. Ou donné. Je ne sais plus. Je peux vous poser une question ? C’est un peu… mais bon. Bon. On a dû déjà vous… eh puis merde. Vos yeux, il leur est arrivé quoi exactement ? [J’ai pourtant gardé mes lunettes mais on a dû lui dire. Quelqu’un. Sonya ?] Vous avez raison, ça ne me regarde pas. Pardon. Je ne… [Il rit bêtement.] Tous ceux qui vous diront que j’ai couché avec Sonya et que c’est pour ça que… C’est n’importe quoi. La dernière personne avec qui j’ai couché, c’est ma… Six ans que… Ça ne me manque pas. Vous baisez souvent, vous ? Oh et puis je m’en fiche. Je suis… Je ne me sens pas bien, vous voulez bien revenir plus tard ? Appelez avant, hein ? Je. Il. Dès fois j’ai l’imp— Vous me… Non. Rien. Laissez-moi maintenant.

[Sonya :] Désolée pour la dernière fois. J’ai retrouvé la clef. On peut y aller. C’est un peu en désordre, j’y suis allé hier mais je n’ai rien voulu toucher. Toutes ces pages, ça me…

[Moi :] « Hier, je suis entré pour la première fois dans la pièce où il a écrit ses dernières pages. Sonya avait retrouvé la clé. Elle portait sa minijupe habituelle, celle qu’on voit sur les photos, quand elle pose avec lui comme si elle était conne et lui trop loin. Alors que… bon. La table était recouverte d’une fine couche de poussière. Il y avait dessus trois verres, tous différents, au fond croûté, et des stylos qui se touchaient comme des tiges de mikado. L’ordinateur était éteint, bien sûr, et fermé. Un Mac. Elle avait dû passer la manche dessus parce qu’il n’y avait presque pas de poussière dessus, juste des flocons gris aux angles. Aucune trace du cordon. Pas de clé USB. Très vite elle m’a laissé, soi-disant pour… je ne sais plus trop. J’y suis resté près de trois heures, à prendre les feuilles une à une et à les lire. C’était difficile. Tout était tellement raturé. Et puis cette manie de ne jamais paginer… » J’ai replié le papier et l’ai laissé sur le comptoir, j’ai relu ce que j’avais écrit sur mon calepin : « Hier je suis entré pour la etc. » J’ai refermé les portes des placards et je suis retourné dans le salon. J’ai attendu dix minutes et je suis parti.


[P. :] Ce n’est pas lui qui a écrit ça. C’est elle. Je reconnais son écriture. Je veux dire, je vois bien que c’est la vôtre, mais à la façon dont vous l’avez recopié je sais que… C’est comme les descriptions de descriptions, vous pigez ? Vous connaissez ce texte sur New York qui parle en fait de Boston ? Bien sûr. Voilà. C’est exactement ça. Comme le coup des loups. Tout pareil. Mon conseil : évitez-la. Elle mord. Pire qu’un loup. Vous voulez voir mes cicatrices.

[Moi :] Il était clair qu’il n’avait jamais écrit dans cette pièce. Le désordre qui régnait était dû sûrement à autre chose. Et puis, pas une seule page, rien. Des piles de livres, les siens, des exemplaires récupérés chez l’éditeur. Quelques lettres, même pas décachetées. Sur le mur à droite de la fenêtre, encadrée, une photo de lui avec cet actrice. On ne voyait qu’elle. Comme si elle était Marilyn et lui l’ombre du frère de DiMaggio. Je ne suis resté que cinq minutes, avec Sonya dans mon dos. Son odeur. Pas question de.

[Sonya :] C’est bizarre d’avoir enregistré… ça, non ? J’ai fait beaucoup de bruit ? D’habitude je ne crie pas. Le côté animal de la chose me… Je ne sais pas. Mais c’est vos yeux, ça m’a… Oui, ça m’a excité ! [Elle alluma une cigarette qu’elle me tendit immédiatement.] Tu fais quoi ce soir ?

[P. :] Pour les loups, ne la croyez pas.


2. Mise au point

A l’origine de ce projet, il y a la publication posthume du roman encore plus posthume de cet écrivain anthume qu’est JBH. Nombreux furent ceux qui lurent, à l’époque de sa parution, le premier recueil de H., Maximum Identity. Le New York Times Review of Books, via la plume mordante et souvent tétanisante de S. Birk, déclara qu’il s’agissait « du livre le plus prometteur qu’un dissident de l’avant-garde ait jamais livré au lectorat américain – bien que l’ouvrage en soi relève purement et simplement de l’anarchie chaotique d’un esprit enclin aux variations les plus décadentes » – et la Guilde du Livre nationale le qualifia, non sans aménité, de « roman pour déçu du roman », quel que soit le sens qu’on veuille bien attribuer à ce jugement.
A l’époque, je sortais d’une trop longue histoire d’inceste : mon père. J’avais dix-neuf ans et je sortais avec la fille d’un magnat de

Comme dit Hailey


Et Sam ne serre même pas
un poing pouvant détruire
la moindre doute sur ce
qui fait son charme : cette implacable jubilation
qui achève la conviction de la vie.
– Cassons-noUS d’ici, je salte.
Sam approuve. On dégage.
Dans un cri strident. Des
Ginkgo, des Liquidambars et des Sauges
bizarrement fauchés et faiblissant.
Notre Alfa Romeo hurlant hors
d’un terreurtoire transcontinental
s’épanchant sur ce qu’on goutte,
trissant des volutes de froid pour les roches
du vacarme estompé, strident, impuissant.
Même les Kudzu meurt étrangement
parmi les côtés qu’éparpillent le vent.

Ma mère est un poisson…

On a fait un tour là-bas et on a pas été déçu. Et puis un titre de blog reprenant le texte intégral d'un chapitre de Faulkner, c'est déjà un exploit, non? (Cliquez sur le titre ce post, vous comprendrez…)

lundi 18 juin 2007

"Une alchimie de la lumière", dixit Schuh


On fera bien de copier le lien suivant et de l'activer fissa sans son thermomètre http - ce commentaire sur Against the Day vaut le détour:

http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=818

[Oui, promis, un jour je saurai faire des liens en couleur sur lesquels tu cliques et paf tu voyages… mais le copier-coller conservera toujours son charme genre je-fais-mes-bagages-puis-j'y-vais.]

Le théatre et la gaité


De passage à Paris en 2004 pour la sortie de son roman "La Famille royale", William Vollmann commençait l'écriture d'un long poème en prose, achevé deux ans plus tard à Sacramento. Le livre devrait paraître d'ici moins d'un an chez l'éditeur américain Void (éditeur entre autre de Cooper), accompagné de reproductions d'aquarelles faites par Bill. En voici le début, traduit en français, en attendant une éventuelle parution en France…

1.
Toi qui vois au-delà des toits, comment peux-tu savoir cela ? Avant de trouver le courage de boire le vin vert des jardins à la nuit tombée, je croyais qu’être de faction était une forme de constance, et j’allais même jusqu’à en tirer fierté. Et même si le dernier étage communiquait avec le ciel, jamais je n’y allai ; car, dans le Théâtre de la rue de la Gaîté, je vis un jour une pièce où ce que le récitant disait était vrai :
Osant fuir son dédale de réverbères et de briques, qu’il avait construit dans un élan altruiste et superficiel, un ingénieur s’envola par la fenêtre au moyen d’un engin improvisé. Son fils aimait voler, et c’est pour ça qu’il mourut. Pour être précis, il connut la dissolution entre les cuisses ignées d’une femme. Laquelle fut fécondée froidement par l’ingénieur. C’était une putain marocaine qui gardait son chemisier, et quand le fils caressa ses cheveux elle dit : Non, pas la tête ; ne touche pas ma tête. Quand il toucha ses fesses, elle grimaça et le réprimanda farouchement. C’est alors qu’il bascula dans la défunte luxuriance des feuilles de marronniers et s’écrasa contre la Tour de Jean Sans Peur. Mais revenons au père, dont le périple fut sans ambages : Elle le suça sèchement sans recracher puis, quand il la pénétra sur le lit, elle se contenta de râler et gémir de douleur. Au dernier moment, elle se redressa d’un bond et s’écria en grimaçant : on crève de chaud ! puis elle ouvrit la fenêtre et pissa dans le lavabo, les chevilles dégoulinantes de sueur. L’Algérienne et elle durent duper notre ingénieur, car quand le récitant demanda : Quelle est la couleur du désir ? ce dernier resta coi. Bien sûr, il n’avait pas le droit de pleurer la mort de son fils, sous peine de connaître un sort semblable. Et tous ces soirs où le ciel ne fut que menstruation, des ailes blanches se déployèrent dans la flamme de la bougie, mais ses yeux ne voulurent pas les voir. Prenant l’air pour de la terre, il expliqua : si je pouvais voir à travers le sol, je ne verrais que des ossements. Aussi tourna-t-il dans le ciel, célébrant son succès avec ceux dont les ventres sont des cimetières de vignes. On dit qu’il tourne encore, qu’il est poussière, herbe ou chair.

Quant à moi, je refusais de voler sans rien ressentir. Mieux vaut hocher la tête tel un pigeon, qui va et picore sans penser à rien ! Du fond de mon propre dédale, j’implorai : Si jamais une étoile voulait bien se donner à moi, faites qu’elle cesse de tourner. – Le récitant répondit : Mais alors elle aussi périrait dans les flammes, au lieu de végéter dans l’illusion du mouvement.