EPISODE 6 – Car le lion
Dans Deux hommes en un, le contrebandier avec qui Andrews entretient une relation d’amour-haine s’appelle Carlyon. Ce nom peut évoquer à certaines oreilles une paroisse des Cornouailles mais il semble surtout l’étrange noce entre le nom de Carlyle, le grand écrivain écossais dont Greene, peu avant la rédaction de son roman, avait lu La vie de John Sterling et qui l’avait inspiré pour écrire son deuxième roman refusé. Le nom de Carlyon résonne également avec le mot anglais « carrion » (charogne), même si on y entend tout aussi bien le nom d’un fauve (lyon). Le fait est que le personnage de Carlyon est un étrange composite : à la fois pirate impitoyable, être simiesque (il est décrit ainsi dans le roman) et grand romantique (un coucher de soleil le rend extatique). Aux yeux d’Andrews, il vient remplacer le père – il est même celui qui lui annonce la mort du père. Père putatif donc, pirate lui aussi, mais ayant cette particularité que jamais il ne compare le fils au père, alors que son équipage passe son temps à dénigrer Andrews en agitant la mémoire vénérée du défunt géniteur. D’où l’amour qu’Andrews porte à Carlyon, et dont on a vu précédemment qu’un écrivain turc anonyme avait bien compris la portée.
Pour vaincre Carlyon, qu’il a trahi, Andrews semble vouloir à tout prix se prouver qu’il est un homme, au sens viril et limité du terme. A peine a-t-il rencontré Elizabeth qu’il en tombe amoureux (c’est une sainte, mais il menace au début du livre de la souiller), tout comme, succombant à l’appel de la chair (Lucy est semble-t-il une fille aux mœurs légères…), il consent à venir témoigner au procès des contrebandiers en échange de la promesse d’une nuit de luxure… Mais quand il retrouve finalement Carlyon, après le suicide d’Elizabeth, il se sacrifie pour le sauver. Bref, Andrews, en lâche émérite, semble avoir du mal à trouver une cible à son besoin d’amour. A maints égards, il ressemble à une… souris – sans cesse en train de fuir, de se cacher dans des coins et recoins, en alerte permanente, mais ne sachant pas résister aux tentations des sens (Lucy faisant office de fromage ?).
Mais ce sage écolier devenu presque malgré lui pirate aventurier semble faire écho à Greene lui-même, qui, d’élève inhibé et maltraité change un beau jour du tout au tout pour s’en aller sillonner des pays dangereux et s’adonner au double jeu de l’espionnage…
Sans parler d’un certain rapport aux femmes : les liens entre Andrews et Lucy (la putain) et Elizabeth (la sainte) faisant clairement écho aux liens entre le jeune Graham, qui fréquente les bordels tout en vouant une passion vibrante pour Vivien (laquelle accepte de l’épouser dans un premier temps à condition qu’ils respectent une certaine chasteté). Bref, « deux hommes en un » est une bonne définition de l’homme Greene – on remarquera à ce propos la récurrence de « l’humain » dans la bibliographie de l’auteur : Le troisième homme, Le dixième homme, Deux hommes en un, Notre homme à la Havane, Le facteur humain… Et quand il n’est pas homme, il est… « agent ».
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