Je résume: Une nouvelle librairie – La Pharmacie des âmes – crée une nouvelle maison d'éditions – Les Nouvelles Editions du Réveil – et publie un nouvel auteur – Marouane Bakhti – qui vient d'écrire son premier livre – Comment sortir du monde. Autant de bonnes nouvelles, espère-t-on, devraient combler notre curiosité. On ouvre donc Comment sortir du monde avec une certaine appréhension. La peur d'être déçu est une ombre qui plane toujours sur la découverte d'un premier texte. La peur d'en lire deux pages puis de balancer le livre à l'autre bout du salon, en se disant: tout ça pour ça… La peur de tomber sur une énième histoire de trentenaires déboussolés qui décident de s'installer en Ariège, ou de vieil écrivain désabusé retrouvant le goût de vivre grâce à l'apparition mystérieuse d'une violoncelliste rousse, etc. La peur de lire des incipits du genre: "Ce jeudi 16 octobre n'allait pas être un jour comme les autres, mais un jour différent, Frank en avait l'intime conviction". La peur de comprendre que l'auteur.e a l'intention d'écrire d'autres livres. Mais cette fois-ci: ouf. La peur s'évapore. Le récit de Marouane Bakhti est tenu de bout en bout par une ténacité d'écriture qui, à coups de paragraphes pensés comme des versets, nous entraîne dans le sillage d'une vie bouleversée/bouleversante.
Ça commence dans le bocage, entre bêtes chaudes et spectres sylvestres, où un enfant se débat avec lui-même dans sa famille mi marocaine mi française, les souvenirs s'enchaînent comme autant d'éclats persistants dans la chair du narrateur, l'Aïd, le secret d'une étreinte mâle au fond des bois, l'injonction à faire du sport, la figure crispée du père, entre Jésus et Allah. L'enfant aux aguets, qui sans cesse engrange et n'ose exprimer ses ombres:
"Je les regarde tout le temps, je les écoute, je les observe, je suis cette antenne ronde, celle qui capte la télévision que l'on n'a pas ici."
Arabe ou pas? Le narrateur évolue dans les eaux troubles d'une éducation qui oscille entre intégration et mémoire des traditions, une éducation qui ne laisse aucune place à la découverte de sa sexualité. L'enfant devient adolescent, il se cherche comme on se fuit ("Personne ne m'a donné le droit de disparaître, je me l'octroie.") La colère le sculpte, la honte l'abreuve. Il faudra un jour trancher, partir – pour mieux revenir?
"Je suis d'une culture hors sol, un garçon né dans une boîte de Pétri, qu'on a fait flotter comme les jacinthes sur les étangs autour de la maison familiale."
Les notations se suivent, dessinant en pointillé un parcours en apparence erratique, quoique mené par le désir, la sarabande du désir. Désir de se réinventer, de s'oublier, pour ne pas avoir à affronter les orages cachées des origines:
"Je voudrais être la créature de quelqu'un d'autre, qu'on choisisse mon destin, que le soleil explose, devienne rouge et meurt sur la terre en déversant sa lave et que je fonde dans l'univers comme ça, complètement oublié et sans aucun monde à sauver ou abandonner."
Il y aura ensuite Paris, des retours au pays pour des deuils impossibles, des amours qui mordent, Grindr, des conversions et des inversions, une famille restaurée, des promenades dans Tanger, en Italie, une résurrection dans un hammam, une assignation à savoir où résider. Et cette vérité qu'il faut déplier:
"Les langues domptées par la pénombre disent des histoires."
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Marouane Bakhti, Comment sortir du monde, Les Nouvelles Editions du Réveil
"que le soleil explose, devienne rouge et meurt "... et meurE peut-être ? Du coup, pas vendu !
RépondreSupprimerSinon, je veux bien qu'on féminise "amour", mais "orages" pourquoi ? Non, mais pourquoi ? Franchement ! Et me voilà "insupportée" pour de bon !
RépondreSupprimerau lieu de se tuer, il aimerait que ce soit facile et que toute la terre meure avec lui. Les fantasmes d'aucuns ne sont à juger.
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