Dans les années cinquante, des choses dans le ciel, qui vont et viennent, et hantent. Cocteau lit les journaux, regarde là-haut, ne pense plus qu'à ça, à ces choses, insistantes. Dès 1952, il écrit des lignes qui parlent d'elles, de ce qui l'attire chez elles, en elles. La passion devient douce obsession, un songe de métal. Cocteau aimait les avions, les anges – voici les soucoupes. Les soucoupes volantes. Qui survolent la France, et affolent. Elles l'occupent. Frappé d'un infarctus, alité mais pensant, il se sait sous leur coupe. Une théorie le travaille, il s'interroge, cherche l'astuce. Quelles voies suivent-elles, quels points relient-elles. Il se lie d'amitié avec un ufologue, lui écrit une préface. Tenace, il scrute. Parfois il lui semble toucher du doigt un but:
"5 juin 1952
Il est probable que les soucoupes signalées partout à l'heure actuelle ne sont qu'une, la même, qui a perdu sa formation et se demande avec angoisse comment la rejoindre. Si je devine juste, les créatures qu'elle abrite doivent vivre un drame terrible et circuler à une vitesse vertigineuse d'un point à un autre de notre ciel, s'approchant peu de notre globe et fuyant comme des flèches dès dès qu'elles se sentent observées. Si son engin a la dimension que lui supposent nos calculs, il peut contenir une cinquantaine de créatures de notre taille ou bien une multitude de créatures d'une taille d'insecte ou bien une seule créature géante par rapport à nous. De toute manière, le comportement de cet engin révèle davantage une inquiétude que de la curiosité. Il imite les trajectoires folles d'un bourdon enfermé dans une chambre. Si la formation cherchait une planète libre (colonisable) et si notre présence la gêne (il est possible que notre lenteur l'effraie) - il se peut que nous ne revoyions jamais les soucoupes et il est intéressant de se demander quel sera le sort de la soucoupe perdue. Elle reste sans doute le seul espoir terrestre d'apprendre quelque chose de son mécanisme, les forces qui la meuvent et la nature de ses pilotes."
Quel sort faire aux soucoupes? Dans quels vers les plonger et sur quoi les poser? Cocteau, terrassé, refuse de rester en rade. Lui qu'on admire, et vilipende, soupçonne. Bientôt l'apocalypse, et la bonne, autre chose qu'une mascarade. Le temps presse, il passe, c'est comme une éclipse. Que feraient les soucoupes si elles cessaient de voler? Cocteau pressent l'entourloupe, la controverse. L'heure est là, sur la terre comme au ciel. Pour Seghers, il écrit, enfin, un texte qui dit ce que sont les soucoupes:
Soucoupes volantes
Les soucoupes volaient à la terrasse du Café de la Rade. Les garçons n'y pouvaient rien et disaient que ce n'étaient pas des soucoupes mais des mirages. Terrible vol silencieux de soucoupes que les consommateurs se lançaient à la tête, qui ne touchaient personne et disparaissaient silencieusement vers l'est.
Le mythe de la soucoupe se tasse, on retire la nappe, on range les chaises. Un objet céleste a passé. Cocteau l'a visité, fixé, délaissé. L'étoile était filante, la soucoupe volante. Vers volé, volant. C'est assez. Soucoupe savante? Au Café de la Rade, on boit du vin, du rouge sang. La vie vaut ce qu'elle vole.
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